Genève, une autre capitale du Cameroun?

Douala, 03 Septembre 2013
© PONUS | Ouest Littoral

 

Qualifier un Président d'absentéiste ou de vacancier devrait être suffisamment gravé dans un pays normal, mais, «le Cameroun c'est le Cameroun», Paul Biya ayant tout banalisé. Qu'aurait-il d'ailleurs fait s'il était présent au pays de l'inertie? Un conseil de ministres? En villégiature à Mvoméka'a, sa seconde capitale? Avec son retour, on attend voir.

 

 

Une situation aussi honteuse et récurrente ne peut se passer qu'au Cameroun et nulle part ailleurs. Tout part toujours d'un communiqué redondant: «le Président de la République a quitté le Cameroun pour un court séjour privé en Europe». Ensuite, le court séjour devient étrangement long: puis il revient comme sorti de nulle part. Et la prochaine fois, on reconduit le même scénario comme pour narguer davantage les Camerounais. 

Partie du Cameroun le 5 août dernier pour un court-séjour privé, la délégation présidentielle s'est envolée pour une destination inconnue, en tout cas vers l'Europe comme d'habitude, sans la moindre précision. Le Chef de l'Etat est revenu hier après quasiment un mois pendant lequel l'Etat du Cameroun était sur «pilotage automatique». Ailleurs, cela relèverait de l'imaginaire, mais au Cameroun, le peuple s'est déjà habitué à un Président de la République qui a le don d'enchaîner les longs séjours de plaisir à l'étranger, et plus particulièrement en Suisse. 

En tout cas, lorsqu'on observe la fréquence infernale de ses déplacements, on comprend que «rien n'est plus délicieux aux yeux de Biya que ses séjours privés». C'est pratiquement devenu pour lui un mode de vie quand on sait que même au Cameroun, il passe le clair de son temps dans son village natal à Mvomeka'a, dans un autre palais qui fait office d'une capitale bis de nos institutions. 

Epinglé par les médias internationaux qui le peignent dans un unanimisme rare comme un Chef d'Etat «intermittent» et «vacancier», plus disposé à passer ses vacances dans les hôtels luxueux de Genève ou de la Baule que dans son pays, Paul Biya a su mettre en pratique l'adage selon lequel «le chien aboie la caravane passe». L'année dernière, la presse avait d'ailleurs publié des chiffres selon lesquels, «le Président camerounais avait passé 124 jours à l'étranger, soit pratiquement le tiers d'une année, entre le 03 août 2010 et le 16 août 2011. L'année d'avant, il avait passé 123 jours dans les mêmes lieux de villégiatures»; ce qui fait de lui une véritable exception et de Genève un autre capitale du Cameroun (?) à partir de laquelle Paul Biya gouverne pendant une bonne partie de l'année. Ce n'est donc pas à tort qu'un journaliste rappelait si bien, avec un humour certain, que le scoop au Cameroun est plutôt lorsque le Président de la Ré¬publique est dans son palais à Etoudi. 


C'est le contribuable qui paye! 

En réalité, tout homme a droit à un congé, comme il a aussi le droit d'être malade, fut-il Président d'une République. Mais la manière avec laquelle la situation est gérée, laisse croire que Paul Biya n'a jamais de vacances et ne peut même pas être malade. Le tout est entouré d'un flou et laisse la place aux rumeurs les plus folles. A chaque fois, c'est à travers les journaux que les Camerounais apprennent qu'il est à Genève dans un certain hôtel. Pourtant, il est important de relever que depuis le 6 novembre 1982, Paul Barthélémy Biya n'est plus un simple citoyen; il est une institution et représente l'Etat du Cameroun partout où il se trouve. Par conséquent, les Camerounais doivent savoir où se trouve leur Président et ce qu'il est en train de faire en ces lieux. 

Le plus grave est qu'à chaque fois, il est accompagné d'une forte délégation officiellement annoncée et dont les membres ne font en principe rien de privé. Et quand on y ajoute la délégation officieuse, cela fait tout un peuple, aux frais du pauvre contribuable. Selon certaines informations, la chambre la moins chère à l'hôtel intercontinental de Genève coûterait 600.000 francs CFA la nuitée. En prenant en compte une délégation de 40 personnes logées à cet hôtel, la note s'élèverait à 24 millions de francs CFA par jour. On se souvient que son séjour à la Baule en juillet 2009, avait fait grand bruit. Selon le journaliste français qui avait publié une enquête à cet effet, la note de cette villégiature du Chef de l'Etat et sa suite d'une quarantaine de personnes avait alors coûté environ 585 millions de francs CFA. De même, en 2012, la presse faisait état de ce que le Chef de l'Etat et sa suite avaient dépensé plus d'un milliard de francs CFA en 34 jours passés en Suisse du 31 janvier au 4 mars 2012. Certainement, à l'heure du bilan, le long court-séjour privé qui s'est achevé hier n'en sera pas si éloigné. 

Tout se passe comme si la priorité des séjours privés de notre Chef de l'Etat était au-dessus de toutes les autres quels que soient leurs motifs. Tant pis si pendant ce temps, il n'y a pas de Conseil de ministres pour évaluer la feuille de route annoncée en grande pompe, le budget-programme qui présente plutôt les allures d'un slogan, ou encore le budget d'investissements publics qui n'a même pas été réalisé au quart alors qu'on est déjà au 967 mois de l'année. 

En d'autres termes, l'absentéisme se constate à tous les niveaux, ce qui est dommage pour un Président de la République qui se dit élu par le peuple et dont la première obligation est de gouverner le Cameroun à partir du Cameroun et non à partir de Genève. C'est quand même proches des différents problèmes auxquels sont confrontés ses compatriotes que ce dernier peut d'ailleurs trouver des solutions. 


Paul Biya et Genève: une histoire d'amour? 

Au-delà de l'absentéisme et de la saignée du contribuable pour des causes privées, l'une des curiosités est la fidélité de Paul Biya envers la Suisse qui ne s'explique pas par la seule beauté du lac Léman. Une situation qui avait d'ailleurs mis à mal les autorités helvétiques à la suite des mouvements de contestations du Code sur la présence quasi permanente de Chef de l'Etat dans cet endroit, pour dilapider l'argent des Camerounais. C'est ainsi qu'en 2010, «les Suisses avaient alors prescrit au Chef de l'Etat camerounais, calme, discrétion et, surtout, réduction de sa délégation qui se composait, selon des sources de l'hôtel, d'une quarantaine de personnes incluant famille, assistants, secrétaires, gardes du corps et personnel de maison». On lui avait même fait part de la «préoccupation du gouvernement fédéral Suisse sur les retombées politiques négatives des séjours fréquents» en territoire helvétique. Mais rien n'a changé, le Chef de l'Etat a choisi de gouverner à partir de Genève. Il en revient après environ un mois d'absence. Cela pourrait s'appeler la gouvernance par télécommande». Une marque déposée du Cameroun qui n'attend plus qu'une reconnaissance à travers un droit d'auteur bien mérité. 

Pour ceux qui n'arrivent toujours pas à comprendre comment quelqu'un peut abandonner un palais aussi luxueux que celui d'Etoudi pour préférer un hôtel, certains observateurs le justifie par le fait qu'on a à faire à un homme qui est conscient du fait que la Cameroun se porte mal et qu'il vaut mieux pour lui d'aller mieux vivre ailleurs, loin de la misère des siens. En tout cas, la présence coutumière de Paul Biya à Genève est loin de la recherche d'un luxe qui n'existerait pas chez lui au Cameroun. Selon eux, Paul Biya détesterait être en contact avec les citoyens ordinaires, ni même d'ailleurs avec ses collaborateurs signalés comme les plus proches qu'il reçoit d'ailleurs rarement. La preuve est la presqu'inexistence de Conseil de ministres, de même qu'il suffit de constater que depuis1982, il n'a sillonné le pays qu'à de très rares occasions. 

Qu'à cela ne tienne, la question demeure: d'où vient le Chef de l'Etat du Cameroun, parti depuis le 05 août dernier? Une question qui mérite une réponse officielle, au lieu de demander plutôt aux populations affamées de se masser le long des rues pour quelqu’un dont on ignore la provenance.



03/09/2013
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