Gbagbo défie ses voisins
Gbagbo défie ses voisins
(Le JDD.fr 26/12/2010)
Le camp du président sortant, sous pression maximale, juge "inacceptables" les menaces d’intervention armée de la Cédéao
"Innaceptable." C’est la réponse opposée samedi par le porte-parole du gouvernement de Laurent Gbagbo aux menaces brandies la veille par les pays d’Afrique de l’Ouest. Réunis vendredi à Abuja (Nigeria), les Etats de la Cédéao avaient clairement adressé un ultimatum au président ivoirien sortant : s’il ne quitte pas le pouvoir, les Etats de l’organisation régionale se réservent le droit d’utiliser la force pour le déloger.
Depuis le 28 novembre et le second tour de l’élection présidentielle, la Côte d’Ivoire traverse une crise politique sévère. Le pays dispose de deux présidents: l’un, Alassane Ouattara, reconnu par la quasi-totalité de la communauté internationale mais qui vit reclus dans un palace d’Abidjan ; l’autre, Laurent Gbagbo, isolé sur la scène diplomatique mais gardant la main sur l’appareil d’Etat et l’armée. Depuis un mois, l’Union européenne, l’ONU et les EtatsUnis ont déjà décidé de sanctions contre Laurent Gbagbo et ses proches. C’est la première fois que l’option d’une intervention militaire a été avancée, et ce, par les pays voisins de la Côte d’Ivoire.
Pour tenter de convaincre une dernière fois Laurent Gbagbo, une délégation "de haut niveau" de la Cédéao – elle réunira les présidents béninois, sierra-léonais et capverdien – doit se rendre mardi à Abidjan. Pas sûr qu’elle soit particulièrement bien reçue au palais présidentiel. A priori, le chef de l’Etat, que seul le Conseil constitutionnel a reconnu comme vainqueur de l’élection, ne semble prêt à aucune concession. Son camp s’enferre dans une habituelle rhétorique anticolonialiste : ainsi, Ahoua Don Mello, le porteparole du gouvernement, a-t-il expliqué samedi que l’injonction de la Cédéao résultait d’"un complot du bloc occidental dirigé par la France". Depuis plusieurs jours, la presse pro-Gbagbo affirme même que Paris chercherait à éliminer physiquement le chef de l’Etat autoproclamé.
"Tous les pays d’Afrique de l’Ouest ont des ressortissants en Côte d’Ivoire "
A la menace venue d’Abuja, Ahoua Don Mello a également répondu par la menace: "La Côte d’Ivoire est une terre d’immigration, a-t-il souligné. Tous les pays [d’Afrique de l’Ouest] ont des ressortissants en Côte d’Ivoire, ils savent que s’ils attaquent la Côte d’Ivoire de l’extérieur, ça va se transformer en guerre civile à l’intérieur." Et de questionner : "Est-ce que le Burkina Faso est prêt à accepter trois millions de Burkinabés de retour" dans leur pays d’origine?
En apparence, le camp Gbagbo semble donc imperméable aux pressions extérieures. Il dit d’ailleurs ne pas croire "du tout" à une possible intervention armée de la Cédéao. Il est vrai que la mise sur pied d’une force régionale pourrait se révéler compliquée. Pour le moins, cela pourrait prendre des semaines, voire des mois avant que celle-ci ne voie le jour.
Jamais, cependant, depuis le début de cette nouvelle crise, le camp Gbagbo ne semble avoir subi une telle pression. Car, en complément du volet militaire, les voisins de la Côte d’Ivoire ont aussi frappé Laurent Gbagbo au portefeuille. L’Union économique et monétaire ouestafricaine (UEMOA) a en effet décidé jeudi d’interdire à la banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest de lui laisser l’usage des comptes du pays. Comment le gouvernement Gbagbo fera-t-il pour payer le salaire des fonctionnaires, et surtout de l’armée, qui pour l’heure lui est restée fidèle ? Les agents de l’Etat ont semble-t-il été payés ce week-end, même si certains d’entre eux, joints par téléphone, assuraient n’avoir "rien reçu". Le mois prochain risque d’être plus difficile à boucler.
Après trois semaines de silence, Ouattara s’exprime
Le camp Ouattara, lui, se réjouit de la tournure des événements. "Jamais Gbagbo n’aurait pensé que la communauté internationale serait si pugnace", se réjouit un proche de "l’autre" président. Vendredi soir, ce dernier, s’exprimant publiquement pour la première fois depuis trois semaines, a enjoint Laurent Gbagbo "une dernière fois de se plier au choix des Ivoiriens en cédant le pouvoir immédiatement". Il a aussi demandé aux FDS (Forces de défense et de sécurité) de le rejoindre et de protéger les populations des "atrocités" qui ont été commises ces dernières semaines par "la Garde républicaine" et « le Cecos » (forces spéciales), "appuyés par des mercenaires et des miliciens étrangers". Selon les Nations unies, 173 personnes seraient mortes lors des violences entre le 16 et le 21 décembre.
Si Abidjan et le reste du pays semblent avoir vécu un Noël plutôt tranquille, les craintes d’un conflit armé et de nouvelles exactions sont toujours présentes dans la population. Selon un dernier bilan publié samedi par l’ONU, 14.000 Ivoiriens ont fui le pays vers le Liberia voisin.
Antoine Malo - Le Journal du Dimanche
Dimanche 26 Décembre 2010
(Le JDD.fr 26/12/2010)
Le camp du président sortant, sous pression maximale, juge "inacceptables" les menaces d’intervention armée de la Cédéao
"Innaceptable." C’est la réponse opposée samedi par le porte-parole du gouvernement de Laurent Gbagbo aux menaces brandies la veille par les pays d’Afrique de l’Ouest. Réunis vendredi à Abuja (Nigeria), les Etats de la Cédéao avaient clairement adressé un ultimatum au président ivoirien sortant : s’il ne quitte pas le pouvoir, les Etats de l’organisation régionale se réservent le droit d’utiliser la force pour le déloger.
Depuis le 28 novembre et le second tour de l’élection présidentielle, la Côte d’Ivoire traverse une crise politique sévère. Le pays dispose de deux présidents: l’un, Alassane Ouattara, reconnu par la quasi-totalité de la communauté internationale mais qui vit reclus dans un palace d’Abidjan ; l’autre, Laurent Gbagbo, isolé sur la scène diplomatique mais gardant la main sur l’appareil d’Etat et l’armée. Depuis un mois, l’Union européenne, l’ONU et les EtatsUnis ont déjà décidé de sanctions contre Laurent Gbagbo et ses proches. C’est la première fois que l’option d’une intervention militaire a été avancée, et ce, par les pays voisins de la Côte d’Ivoire.
Pour tenter de convaincre une dernière fois Laurent Gbagbo, une délégation "de haut niveau" de la Cédéao – elle réunira les présidents béninois, sierra-léonais et capverdien – doit se rendre mardi à Abidjan. Pas sûr qu’elle soit particulièrement bien reçue au palais présidentiel. A priori, le chef de l’Etat, que seul le Conseil constitutionnel a reconnu comme vainqueur de l’élection, ne semble prêt à aucune concession. Son camp s’enferre dans une habituelle rhétorique anticolonialiste : ainsi, Ahoua Don Mello, le porteparole du gouvernement, a-t-il expliqué samedi que l’injonction de la Cédéao résultait d’"un complot du bloc occidental dirigé par la France". Depuis plusieurs jours, la presse pro-Gbagbo affirme même que Paris chercherait à éliminer physiquement le chef de l’Etat autoproclamé.
"Tous les pays d’Afrique de l’Ouest ont des ressortissants en Côte d’Ivoire "
A la menace venue d’Abuja, Ahoua Don Mello a également répondu par la menace: "La Côte d’Ivoire est une terre d’immigration, a-t-il souligné. Tous les pays [d’Afrique de l’Ouest] ont des ressortissants en Côte d’Ivoire, ils savent que s’ils attaquent la Côte d’Ivoire de l’extérieur, ça va se transformer en guerre civile à l’intérieur." Et de questionner : "Est-ce que le Burkina Faso est prêt à accepter trois millions de Burkinabés de retour" dans leur pays d’origine?
En apparence, le camp Gbagbo semble donc imperméable aux pressions extérieures. Il dit d’ailleurs ne pas croire "du tout" à une possible intervention armée de la Cédéao. Il est vrai que la mise sur pied d’une force régionale pourrait se révéler compliquée. Pour le moins, cela pourrait prendre des semaines, voire des mois avant que celle-ci ne voie le jour.
Jamais, cependant, depuis le début de cette nouvelle crise, le camp Gbagbo ne semble avoir subi une telle pression. Car, en complément du volet militaire, les voisins de la Côte d’Ivoire ont aussi frappé Laurent Gbagbo au portefeuille. L’Union économique et monétaire ouestafricaine (UEMOA) a en effet décidé jeudi d’interdire à la banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest de lui laisser l’usage des comptes du pays. Comment le gouvernement Gbagbo fera-t-il pour payer le salaire des fonctionnaires, et surtout de l’armée, qui pour l’heure lui est restée fidèle ? Les agents de l’Etat ont semble-t-il été payés ce week-end, même si certains d’entre eux, joints par téléphone, assuraient n’avoir "rien reçu". Le mois prochain risque d’être plus difficile à boucler.
Après trois semaines de silence, Ouattara s’exprime
Le camp Ouattara, lui, se réjouit de la tournure des événements. "Jamais Gbagbo n’aurait pensé que la communauté internationale serait si pugnace", se réjouit un proche de "l’autre" président. Vendredi soir, ce dernier, s’exprimant publiquement pour la première fois depuis trois semaines, a enjoint Laurent Gbagbo "une dernière fois de se plier au choix des Ivoiriens en cédant le pouvoir immédiatement". Il a aussi demandé aux FDS (Forces de défense et de sécurité) de le rejoindre et de protéger les populations des "atrocités" qui ont été commises ces dernières semaines par "la Garde républicaine" et « le Cecos » (forces spéciales), "appuyés par des mercenaires et des miliciens étrangers". Selon les Nations unies, 173 personnes seraient mortes lors des violences entre le 16 et le 21 décembre.
Si Abidjan et le reste du pays semblent avoir vécu un Noël plutôt tranquille, les craintes d’un conflit armé et de nouvelles exactions sont toujours présentes dans la population. Selon un dernier bilan publié samedi par l’ONU, 14.000 Ivoiriens ont fui le pays vers le Liberia voisin.
Antoine Malo - Le Journal du Dimanche
Dimanche 26 Décembre 2010
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