LA HAYE (Reuters) - Laurent Gbagbo est devenu mercredi le premier ancien chef d'Etat remis à la Cour pénale internationale (CPI), qui entend le juger pour "crimes contre l'humanité" commis durant la brève guerre civile commencée il y a un an en Côte d'Ivoire.
L'ancien président ivoirien est arrivé dans la nuit au centre de détention du tribunal de La Haye.
"M. Gbagbo est pénalement et personnellement responsable, en tant qu'acteur indirect, de quatre chefs de crimes contre l'humanité, à savoir meurtre, viol et autres formes de violences sexuelles, persécutions et autres actes inhumains, qui auraient été commis sur le territoire ivoirien du 16 décembre 2010 au 12 avril 2011", dit la CPI dans un communiqué.
L'institution née en 2002 précise qu'il comparaîtra rapidement. Elle enquête depuis octobre sur les violences qui ont suivi la victoire d'Alassane Ouattara à l'élection présidentielle de novembre 2010, résultat entériné par la communauté internationale mais que Laurent Gbagbo a toujours refusé de reconnaître.
Selon le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, le conflit de l'hiver et du printemps derniers a fait au moins 3.000 morts, auxquels s'ajoutent 520 arrestations arbitraires.
La guerre a pris fin avec la capture de Laurent Gbabgo le 11 avril à Abidjan et son placement en résidence surveillée à Korhogo, dans le nord de la Côte d'Ivoire.
Son transfert à La Haye a été salué par les organisations de défense des droits de l'homme, qui rappellent que des exactions ont également été commises par le camp d'Alassane Ouattara, ce que n'a pas manqué de souligner le procureur de la CPI mercredi.
Luis Moreno-Ocampo a indiqué à la mi-octobre que son enquête se concentrait sur deux à six personnes considérées comme les principaux responsables, sans citer de nom.
"PRISONNIER DE LA FRANCE"
L'extradition de l'ancien président ivoirien est une victoire pour Luis Moreno-Ocampo, qui peine à mettre la main sur ses cibles les plus prestigieuses.
"Nous avons des preuves que la violence n'est pas arrivée par hasard: les attaques généralisées et systématiques contre des civils considérés comme partisans de l'autre candidat étaient le résultat d'une politique délibérée", a dit le procureur dans un communiqué.
La justice internationale s'apprête à juger Laurent Gbagbo à un moment délicat, à moins de deux semaines des élections législatives du 11 décembre.
Le procès risque de diviser le pays comme l'avait fait l'élection présidentielle il y a un an - Laurent Gbagbo avait obtenu près de la moitié des voix.
Les miliciens qui le soutenaient ont pour la plupart pris la fuite, déposé les armes ou choisi de se cacher, mais la colère de la population, en particulier dans l'ouest du pays traditionnellement favorable à l'ancien président, peut éclater à tout moment.
Un conseiller de l'ancien président, Toussaint Alain, a estimé que Laurent Gbagbo était "le prisonnier de la France", dont l'armée avait contribué à l'arrestation de l'ancien président.
"C'est une parodie de justice. Il a tenu tête au gouvernement français, il a fini par être un os dans la gorge de M. (Jacques) Chirac et de M. (Nicolas) Sarkozy, il fallait l'expulser de Côte d'Ivoire, c'est tout", a dit Toussaint Alain à Reuters.
"La CPI est instrumentalisée par la France puisque le ministre français de la Justice était il y a encore quelques jours à la Cour pénale internationale où il a rencontré des juges de la CPI", a-t-il ajouté.
En septembre, Alassane Ouattara avait annoncé que Laurent Gbagbo serait jugé chez lui et par la CPI. L'ex-chef de l'Etat et son épouse ont été inculpés le 18 août de crimes économiques par la justice ivoirienne.
Les charges retenues sont "infractions économiques, vol aggravé, pillage, détournement de fonds publics".
Avec Michael Kooren à La Haye, Vanessa Romeo à Rotterdam, Tim Cocks et Ange Aboa à Abidjan et Patrick Vignal à Paris, Jean-Stéphane Brosse et Clément Guillou pour le service français, édité par Gilles Trequesser