Garga Haman Adji: « Je ne serai pleinement utile au gouvernement que si j’en suis Premier ministre »
Pourquoi acceptez-vous encore de parler au Messager ?
D’abord merci pour cette invitation. En vérité je considère Le Messager comme mon journal, non pas que j’en sois actionnaire, mais un adepte. Comme le disait le DP M. Njawé, la proximité que j’ai en 1992 avec Le Messager avait conduit à ce que les adresses de toutes les agences de presse du monde me furent communiquées par monsieur Pius Njawé, sans d’ailleurs qu’il sache ce que je voulais en faire. C’était pour que le jour de ma démission du Gouvernement, je puisse transmettre le communiqué annonçant cet évènement à toutes ces agences de presse ; ceci pour garder le secret et éviter d’être court-circuité par un remaniement ministériel de complaisance, juste pour annihiler l’effet de ma décision de démissionner. Inutile de dire combien j’ai été heureux d’avoir réussi le coup de surprendre tout le monde, y compris les services secrets. En fait c’était ma manière de dénoncer haut et fort l’annihilation de mes initiatives et l’étouffement de mes actions de lutte contre la corruption. Ayant par le passé occupé les fonctions de secrétaire général du ministère de la Fonction publique et d’inspecteur d’Etat, le ministère de la Fonction publique et du Contrôle de l’Etat me convenait à merveille. C’est comme si on l’avait expressément façonné pour moi. J’avais en effet déjà acquis une bonne expérience dans l’un et l’autre volet de ce département ministériel. Je m’étais donc aussitôt lancé pour donner satisfaction à celui qui m’y avait nommé. Car, je ne sais pas être ingrat. Je lui avais d’ailleurs affirmé que je resterais à son écoute et à sa disposition à n’importe quel moment de la journée. Je m’engageais ainsi à servir le Cameroun certes, mais dans l’intérêt bien compris de celui qui le dirige. Je voulais son succès et j’y tenais, car on se connaissait bien avant qu’il m’ait nommé ministre. Ma manière de le remercier était de lui enlever toutes les épines qui pouvaient lui coller aux pieds. Malheureusement, les cancans, l’ont emporté et sur moi et sur lui. On lui a dit que dans ma répression de la corruption, je ne poursuis que les Bétis. Or, je ne poursuivais pas les Bétis en tant que ressortissants d’une ethnie. Je poursuivais et condamnais toute personne qui, dans sa gestion, avait confondu la fortune publique avec une propriété personnelle ou familiale. J’agissais ainsi collégialement avec tous les autres membres du Conseil de discipline budgétaire et comptable sur la base des rapports de missions de contrôle dressés par les inspecteurs d’Etat, tous assermentés, et des éclairages complémentaires du rapporteur du CDBC. Des preuves accablantes y étaient matériellement assorties de documents signés, de chèques endossés (parfois même par les membres de la famille du gestionnaire incriminé), des travaux facturés mais non réalisés, de relevés bancaires faisant ressortir des virements de compte à compte, y compris à l’étranger, de règlements de factures de tiers, etc., toutes preuves récoltées en toute indépendance et sous leur responsabilité par les inspecteurs d’Etat au cours de leurs missions de contrôle dans les administrations et les entreprises publiques. Il n’y avait rien à redire. Et moi-même j’accomplissais honnêtement mon travail pour le bien du pays, mais aussi pour le président Biya. Je savais qu’au départ il me comprenait et appréciait sincèrement mon action. C’est par la suite qu’il avait été empêché de me comprendre et de me soutenir. Heureusement, , c’est 16 ans après ma démission qu’il a de nouveau compris que je ne lui racontais pas des histoires. Malheureusement beaucoup (42) de ceux qui sont en train d’être arrêtés ou qui le seront plus tard étaient déjà dans mes listes en 1990/1992. L’un de ceux-là n’avait pu échapper que parce qu’il n’est pas permis de traduire un ministre en fonction au conseil de discipline budgétaire et comptable. Celui-ci n’était pas ministre mais en avait le rang et les prérogatives. Je m’en étais référé au président Biya pour suite à donner à ce dossier délicat. Il m’avait alors instruit de ne pas traduire le responsable en question au CDBC. Il m’avait demandé d’attendre jusqu’à ce qu’il le nomme DG d’une entreprise publique avant de le prendre. Mais cela avait pris tellement de temps qu’entre temps j’avais démissionné de mes fonctions ministérielles. Finalement le président a tenu parole. Mais sa nomination comme DG d’une entreprise a permis d’y dérober plus de cinquante milliards de francs. Ce qui finalement lui a valu d’être enfin arrêté et emprisonné à plusieurs décennies. Ce retard a lourdement été préjudiciable à la fortune publique tout autant qu’il a conduit à aggraver la durée de sa peine. Ce cas explique largement que si j’avais été écouté, notre Etat et nos entreprises publiques n’auraient pas été délestés de tant de milliers de milliards de francs. Je suis persuadé que tous ceux que j’avais dans mes filets auraient été mis hors d’état de nuire bien avant 1994. Car je travaillais le plus consciencieusement et le plus patriotiquement du monde. Je consacrais tout mon temps à mon travail pour assainir la gestion financière du secteur public. Je dois enfin signaler que Le Contrôle supérieur de l’Etat fut paradoxalement retiré des compétences de mon département ministériel à cause, entre autres, de la traduction d’un DG Béti qui avait soustrait plus d’un milliard de francs des comptes et des caisses de l’entreprise publique qu’il était censé diriger. Sachant qu’il était traqué et qu’il ne pouvait pas s’en sortir, il se trouva un membre complaisant du conseil de discipline pour se rendre auprès de certains collaborateurs du chef de l’Etat et défendre la thèse selon laquelle le ministre Garga poursuivait que les Bétis. In fine, c’est à cause de ce monsieur qui n’est pas encore arrêté mais qui le sera j’en suis sûr, que mon département ministériel fut amputé du Contrôle de l’Etat. Ce qui provoqua ma démission du Gouvernement. Je m’en suis allé tranquillement et je ne regrette pas d’avoir agi ainsi. Car, à mon entendement, il n’est pas possible de continuer de travailler alors qu’on a cessé de bénéficier de la totalité de la confiance dont était initialement dépositaire. Agir dans le sens contraire serait faire preuve de malhonnêteté et de fourberie. Ce qui équivaudrait à travailler pour son intérêt égoïste tout en se moquant en sourdine de son patron. Or, je n’ai jamais voulu considérer ma personne comme un personnage qui ne poursuivrait que ses seuls intérêts personnels. Je dois servir mon pays en me rangeant toujours du côté de l’intérêt général et non en engraissant ma modeste personne. Un proverbe Peul dit que ; j’y crois fermement. Cela explique pourquoi 17 ans après ma démission, je reste lucide, respectable et respecté. Tout simplement parce que je sais gérer mes affaires. Ainsi, les maisons de rente que j’avais construites sur crédits BCD, SCB et BICIC entièrement remboursés sont-elles successivement revendues pour me permettre de continuer à vivre décemment. Il faut savoir investir en période de vaches grasses et désinvestir en celle de vaches maigres. Il faut surtout savoir gérer sa vie avec les moyens du moment. Un ancien Premier ministre du Canada conseille qu’il ne faut jamais être au-dessus de ce qu’on est, mais jamais non plus en-dessous de ce qu’on est. Il faut rester à son niveau et je crois que je fais tout pour rester à mon niveau. On me retrouve parfois au palais de l’Unité. Je me sens à l’aise aussi bien dans les qu’au palais de l’Unité. C’est ce qui justifie que beaucoup de Camerounais de différentes couches sociales aient de la sympathie pour moi.
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C’est donc parce qu’on vous a retiré le Contrôle supérieur de l’Etat que vous avez démissionné ?
Je viens de vous dire que c’est plutôt parce qu’on m’a partiellement retiré la confiance. Cette situation m’interpelait à résoudre beaucoup d’équations. Certes mon passage au ministère de la Fonction publique et du Contrôle de l‘Etat avait été une occasion pour moi de révéler aux fonctionnaires et au public camerounais mes aptitudes politiques et ma capacité de gérer des structures et des hommes. Mais je reste convaincu que la valeur d’un ministre ne se mesure pas à la dimension du ministère qu’il dirige. A mon sens, c’est plutôt le ministre qui donne de la valeur à son département et non l’inverse. Si la Fonction publique et le Contrôle de l’Etat faisaient beaucoup en bien à l’époque, je crois sans me vanter que c’était dû à mes initiatives et mon action que d’aucuns jugeaient positives. La Fonction publique existe toujours ; le Contrôle de l’Etat aussi. Mais il est parfois arrivé qu’on ne savait même pas qui était ministre chargé de l’une ou de l’autre de ces structures. Pour dire vrai ce n’est qu’avec les ministres qui en ce moment gèrent ces ministères que je me suis quelque peu senti remplacé depuis 1992. Les autres qui s’y étaient succédés étaient venus faire du cinéma ou du cirque. Ils m’ont semblé ne comprendre rien à rien. Et malheureusement ceux-là n’ont pas encore compris le SIGIPES que j’avais mis en place. Et qui devait empêcher de détourner les salaires des fonctionnaires ou d’entretenir des fonctionnaires ou des salaires fantômes. Il devait rationnaliser et faciliter la gestion des carrières et permettre à tous les agents publics, civils ou militaires, atteints par la limite d’âge de percevoir leurs pensions dès le mois de leur mise à la retraite sans constituer le moindre dossier. Le SIGIPES avait prévu tous ces cas de figure pour que l’administration soit nettoyée de tous ces problèmes dont elle est aujourd’hui encore maquillée. N’ayant pu saisir le contour et le contenu du SIGIPES, ils l’ont transformé en une sorte de programme informatique pour dresser des listings ou confondre les organigrammes des ministères à des postes de travail. Du reste, le SIGIPES signifie . C’est donc avant tout un système intégré, c’est-à-dire quelque chose qui couvre tout, à l’image d’une toile d’araignée et qui est mis en réseaux. Cela veut aussi dire que ce qui se passe à la Justice, à la Santé ou aux Eaux et Forêts par exemple, est géré suivant une même logique et de la même manière avec des clés d’accès différentes selon la spécificité et le niveau de responsabilité des utilisateurs. Le SIGIPES que j’ai mis sur pied est malheureusement défiguré, travesti même. C’est bien dommage que cet instrument extrêmement précieux et ultramoderne ait été incompris, travesti et perdu toute sa valeur informatique.
A vous entendre parler, vous avez déjà eu à rencontrer M. Biya. A écouter ce qu’on dit de lui, il n’est pas très accessible. Comment procédiez-vous pour le rencontrer ?
Moi non plus je ne le rencontrais pas tous les jours. Je n’étais pas le directeur du Cabinet civil, ni encore moins le secrétaire général. Mais il faut aussi garder à l’esprit que je gérais un département sensible. En fait je recourais à deux méthodes. S’il me reçoit, je lui dis ce que j’ai à lui dire. Ou bien je lui envoyais de notes succinctes qu’il se plaisait d’ailleurs à lire. Il n’a jamais rejeté mes notes. En fait, il avait aussi de l’estime pour moi. Je suppose qu’il doit encore en avoir aujourd’hui. Bien avant qu’il me nomme ministre, on se connaissait. Quand j’étais à la Sûreté nationale et aux Finances, il était secrétaire général de la présidence. Quand j’étais secrétaire général de la Fonction publique, il occupait les mêmes fonctions. En guise d’illustration de sa position à l’égard de ma modeste personne, je vais vous raconter une anecdote. C’était un samedi 19 Mai 1973. Je devais me rendre en mission officielle au Maroc pour signer au nom du Cameroun et pour le compte du CAFRAD une convention avec le PNUD. A 13 heures, juste à la fermeture des bureaux, le directeur du protocole de l’époque, M. Happi Gabriel (paix à son âme), me remet le dossier contenant . Il s’agit en langage simple d’un document signé seulement par le président de la République et qui accrédite et habilite le porteur à signer un accord ou une convention en son nom faute de quoi la signature du porteur est nulle et non avenue. Or, je devais impérativement voyager le lendemain 20 mai 1973 pour être présent à la cérémonie de signature irrévocablement programmée pour le 21 Mai à 10h. Comment puis-je parvenir à faire signer ce document par le président Ahidjo ? Je me suis souvenu que les samedis après-midi le secrétaire général de la présidence, M. BIYA, se rend immanquablement au terrain de golf. Ce serait indécent que j’y aille l’enquiquiner. A 19h30 je me rends chez lui, à son domicile. Il me reçoit immédiatement et m’écoute. Je lui explique la situation et il me répondit, contrarié mais souriant . Il monte dans ses appartements, sans doute pour téléphoner au Président Ahidjo. Cinq minutes après, il revient et me demande de le suivre au palais. Il était au volant de sa DS 23 et moi à celui de ma Coccinelle. Je l’ai suivi jusqu’au palais. Il était 20h. Arrivé dans son bureau, il m’y installe et m’y laisse. Il revient avec signés et me retrouve contemplant son bureau. Il me fit savoir que normalement le document devrait frappé d’un cachet sec. Mais celui-ci est enfermé dans un coffre-fort au bureau d’à côté dont il n’avait pas les clés. Il se contenta de prendre du cachet humide de son bureau. Il souffle dessus pour l’humidifier davantage et l’appose sur le fameux document. Il me dit de ne pas m’en inquiéter et me rassura en ces termes ? Il est difficile d’oublier la disponibilité et la simplicité que M. Biya m’avait manifestées ce soir-là, moi petit (29 ans) secrétaire général d’un ministère qu’il accepte de l’escorter jusqu’au palais et à qui il remet un document nuitamment signé par un chef d’Etat, à l’heure du dîner. Evidemment, c’est une preuve de l’entente cordiale qui régnait entre le président Ahidjo et son SG/Pr M. Biya. Cette anecdote illustre le type de relations dont il m’honorait. Sinon je ne me serais pas permis d’oser aller le retrouver à son domicile à 19h30’. Il faut aussi souligner j’étais assez suivi car après tout, j’étais le premier du grand nord à entrer et à sortir diplômé de l’ENAM et être classé parmi les meilleurs. Excusez le manque de modestie (rires). Car, sous directeur de la Sûreté nationale à 25 ans, directeur adjoint aux Finances à 27 ans et secrétaire général du ministère de la Fonction publique à 28 ans, c’est tout le monde qui me lançait des regards admiratifs, sinon même laudatifs. Quand j’étais sous directeur, nous étions seulement trois du Grand nord à avoir atteint ce niveau de responsabilité à cause de la rareté des cadres administratifs originaires de cette partie du pays. Les deux autres (d’ailleurs plus anciens que moi) étaient Adji Ali Boukar à l’administration pénitentiaire et Youssoufa Daouda à la Jeunesse. Il faut donc convenir que le chef de l’Etat me connaissait depuis fort longtemps. Je crois même savoir qu’à sa nomination au poste de Premier ministre en 1979, c’était moi qu’il avait pressenti pour être son secrétaire général. Mais le président Ahidjo lui préféra mon promotionnaire et ami Abouem à Tchoyi. Et quand il est devenu président de la République, j’étais dans le peloton de tête de ceux qui le soutenaient aux côtés de ses inconditionnels. C’est par exemple avec l’appui du Pr Georges Ngango que je l’avais convaincu de l’opportunité de faire éclater le Nord en trois provinces, ce qui conduisit par ricochet à créer la province du Sud. C’est par l’intermédiaire de Samuel Enam Mba que j’avais suggéré au président de séparé la fonction de sous-préfet de celle de maire de la commune rurale, ce qui lui faisait autant de postes à de responsabilité à attribuer à tous ceux qui attendaient du nouveau président quelques postes de responsabilité. C’étaient des soutiens politiques concrets. Tout cela a dû contribuer à ce que l’estime qu’il avait pour moi soit maintenue. Et explique pourquoi mes notes étaient lues rapidement et avec bienveillance. Qu’il soit cependant précisé que je n’ai jamais écrit ni à Ahidjo ni à Biya pour demander une quelconque faveur. Et jamais je ne le ferai ! Quand vous travaillez bien, le président finit par le savoir. Je vous donne un autre exemple susceptible de vous éclairer encore davantage. En 1992 lors des élections législatives, l’UNDP régnait en maitre absolu dans le Grand nord. J’ai écrit au président en lui disant que « j’aurais bien voulu lui ramener les 29 députés de l’extrême-Nord. Je ferai tout pour réussir mais à défaut je lui ramènerai le maximum. Sur les 29, j’ai pu lui ramener 13. C’est moi qui avais confectionné toutes les listes du Diamaré où j’avais lamentablement échoué, du Mayo-Danay, du Mayo Tsanaga et du Mayo Sava. Cavayé Yégué Djibril compte parmi ceux que j’avais réussi à convaincre chez moi, à mon domicile de Makabaye, pour à être candidat. Je mesure mes mots en disant parce qu’il était très réticent à accepter de partager mes convictions et ma stratégie. Et ce fut avec lui que nous avions dressé la liste des quatre députés et de leurs suppléants du Mayo Sava. Tous ont été élus. C’était également à moi qu’était revenu le privilège de confectionner, la liste du Mayo Danay non sans difficulté, à cause des dissensions internes qui scindait en deux camps opposés l’élite de Doukoula dans l’arrondissement de Kar-Hay, et dont l’un des tenants autre que l’actuel président du Conseil économique et social. A Kar-Hay comme à Kaélé j’avais été contrarié par deux personnages de l’élite qui refusaient de comprendre que, seul moi, ministre de l’Extrême Nord, j’avais les mains libres pour agir et en assumer la responsabilité. Par contre je n’avais rencontré ni hostilité ni incompréhension dans le Mayo Tsanaga. Je m’étais abstenu d’interférer dans les investitures des candidats du Logone et Chari. Je savais qu’ils étaient tous acquis à la cause du RDPC. A cause des émeutes intestines entre les Arabes Choas et les Kotokos, chacun des deux groupes voulait se faire apprécier du nouveau régime. Ma moisson fut nettement meilleure que celle du Nord ou de l’Adamaoua. Bien que Premier ministre pourvu d’énormes moyens financiers, Sadou Hayatou n’avait pu arracher à l’UNDP aucun des 12 sièges à pourvoir de la Province. Il en était de même pour l’Adamaoua où l’UNDP avait facilement emporté la totalité des 10 sièges de députés de la province. Ainsi, de tout le Grand Nord, j’étais le seul à avoir ramené 13 députés. C’était insuffisant par rapport à mes objectifs. Mais comparés à ceux de mes grands frères qui avaient battu campagne dans les deux autres provinces, mes résultats n’étaient pas mauvais. Je sais que le président avait apprécié. L’ex première dame, Jeanne Irène Biya avait laisser entendre que tout le monde faisait comme le ministre Garga, on serait vraiment sauvés. Tout ceci contribue à montrer jusqu’où j’étais engagé. Cette campagne m’avait coûté quolibets, hostilité, dénonciation calomnieuse, menaces et même tentative d’assassinat dans la localité de Gazawa. Mais m’avait aussi beaucoup appris sur les Hommes et la politique.
Après le coup d’Etat………………………
D’abord en 1984, je n’étais pas encore ministre, mais inspecteur d’Etat et directeur adjoint des inspections et de la réforme. En 1984, suite au coup d’Etat avorté du 6 avril, c’était aussi tragique qu’amusant. Une grande chasse non pas aux baleines mais aux nordistes avait été organisée. On tirait sur eux comme sur des lapins, pour des objectifs différents et souvent divergents. Il y en a qui les poursuivait pour réprimer la tentative, ce qui était tout à fait compréhensible. Il y en a qui les poursuivait pour arracher les postes qu’ils occupaient (CAMAIR, Office des produits de base, garde républicaine, etc…). Il y en a qui les poursuivait pour des règlements de comptes. Après 41 jours de privation de liberté, j’appris à ma sortie de prison que je relevais quant à moi de la 2è catégorie. J’avais en effet été mis aux arrêts parce qu’un commissaire divisionnaire qui convoitait le poste de DG du CENER avait appris que le président Biya envisagerait de m’en confier la responsabilité et que l’enquête menée à cet effet m’était plutôt favorable. Sentant venir le risque de voir s’effondrer ses rêves, notre divisionnaire inventa de toute pièce une histoire selon laquelle j’étais subversif, donc susceptible d’être mêlé au coup d’Etat. Le montage de cette dénonciation calomnieuse prit du temps. Ce qui explique que je ne fus convoqué par la commission chargée d’enquêter sur le coup d’Etat que le 19 mai, soit un mois et treize jours après la tentative du coup. J’avais réussi à démontrer que je n’étais nullement mêlé au coup d’Etat, ni de près ni de loin. Mais sur manigances de celui qui tenait à être mon bourreau je finis par l’être le 6 juillet. J’eus juste le temps d’en alerter le secrétaire général à la présidence de la République qui n’était autre que mon ami Abouem. Car et en principe, un inspecteur d’Etat ne peut être arrêté que sur accord écrit du président de la République. Mais ce n’était certainement pas aux militaires de la SEMIL de s’encombrer de tant de procédures et de subtilités. Je fus donc cueilli sans autre forme de procès. Je fus transféré à Kondengui le 31 juillet, juste la veille du procès qui finalement me blanchira et ordonnera ma relaxe pure et simple. Le commissaire du gouvernement (procureur) Valdez n’avait pas daigné obtempérer à la demande du standardiste qui avait été instrumentalisé pour soutenir que j’avais conversé en fulfuldé au téléphone avec Issa Adoum qui était présenté comme l’un des cerveaux du putsch. Le commandant Valdez avait haussé les épaules en signe de refus de s’exécuter. Il a dû se dire qu’au moment où la délation contre les nordistes était à son apogée, emprisonner un délateur risquerait de décourager non seulement les délateurs mais également ceux qui étaient de bonne foi pour dénoncer. Bien relaxé, je resterai encore une semaine en prison. Il fallait attendre la fin du tri entre ceux qui devaient être maintenus et envoyés en internement administratif et ceux qui devaient être libérés et rejoindre leur domicile. De notre cellule où nous étions au nombre de trois je fus le seul à quitter la prison pour mon domicile. Je laissai à l’un de mes compagnons de misère toute ma richesse de prisonnier : deux serviettes de toilette, une boîte de lait, un morceau de savon, une somme de 30 000 francs camouflés dans la mie de pain (rires) qui faisait office de coffre-fort. Mes deux co-celluliers dont Issa Tchiroma furent conduits à Yoko où ils passeront sept ans d’internement administratif. C’est une malheureuse expérience qu’il fallait vivre surtout si elle est de très courte durée, car elle m’a permis de connaître l’envers et l’endroit du coup d’Etat.