François Hollande, venez un peu à Yaoundé - Patrice Nganang
05 JUILLET 2012
© Patrice Nganang | Correspondance
Alors que le chef de l'Etat reçoit cette semaine ses homologues du Gabon, de Guinée et du Sénégal, l'écrivain camerounais Patrice Nganang rappelle que «jamais la tyrannie ne s’est autant concentrée qu’aujourd’hui dans l’espace francophone africain», et invite le président français à « venir voir les résultats les plus désastreux de ce syndicat d’hommes de paille dont il a hérité de la droite ».
© Patrice Nganang | Correspondance
Alors que le chef de l'Etat reçoit cette semaine ses homologues du Gabon, de Guinée et du Sénégal, l'écrivain camerounais Patrice Nganang rappelle que «jamais la tyrannie ne s’est autant concentrée qu’aujourd’hui dans l’espace francophone africain», et invite le président français à « venir voir les résultats les plus désastreux de ce syndicat d’hommes de paille dont il a hérité de la droite ».
Le président français a reçu des
pouvoirs comme aucun président de gauche n’en a jamais eu au cours de la
Ve République. Qu’en fera-t-il ? Telle est la question que les cinq
prochaines années lui poseront, car comme le muscle, tout pouvoir qui ne
s’utilise pas s’atrophie. Or, cela serait une opportunité historique
gâchée, encore plus pour l’Afrique !
En effet, devant François Hollande qui avec le PS contrôle l’Elysée, l’Assemblée nationale, le Sénat et les régions, la présidence de François Mitterrand et la révolution de mai 1981 apparaissent soudain bien impuissantes. Et pourtant, si le bilan de Mitterrand pourra toujours compter en Afrique, avec la chute de tyrans comme Moussa Traoré, Mobutu Sese Seko, bref, avec la pratique du pluralisme politique en Afrique francophone, celui de Hollande reste encore à établir. Et pour cause ! Jamais la tyrannie ne s’est autant concentrée qu’aujourd’hui dans l’espace francophone africain, jamais ! Quiconque regarderait ce continent verrait en effet que ce n’est plus l’Afrique du nord qui fait problème, elle à qui la révolution arabe a donné une nouvelle jouvence, ni d’ailleurs l’Afrique de l’Ouest, qui malgré la disparition du Mali, a le Ghana, le Sénégal, le Benin, le Nigéria démocratiques à montrer, ni l’Afrique du sud qui vient de voir le triomphe de la Zambie, ni non plus l’Afrique de l’Est avec la Tanzanie dont on parle si peu ; oui, chacun verrait que la surface de réparation de la dictature, c’est désormais l’Afrique centrale, véritable jungle de la tyrannie. Le président français peut bien recevoir Ali Bongo, comme Barack Obama l’a fait jadis ; nous savons que le président gabonais, dans le pays de qui l’Assemblée nationale est devenue quasiment monopartisane, est l’Assad francophone, lui qui a reçu le pouvoir de son père qui avait passé quarante (40 !) ans au sommet de son pays ; il peut avoir écouté Faure Eyadema, la carrière de ce dernier demeure le miroir de celle d’Ali Bongo, Faure ayant lui aussi reçu le pouvoir de son père qui avait passé quarante (40 !) ans à la tête du Togo. François Hollande ira bientôt parler à Kinshasa, au sommet de la Francophonie, ville où Joseph Kabila, un autre fils de tyran francophone installé au pouvoir sans le mériter par la sanction du peuple, enfonce son pays dans les profondeurs ténébreuses d’une violente pauvreté. Oui, pendant les cinq ans de son mandat, le président français ne pourra pas éviter de regarder dans la profondeur obscure mais sanglante de l’Afrique centrale, où des putchistes militaires qui se sont rapidement habillés de costume civil, François Bozizé de Centrafrique, Idriss Deby du Tchad, Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville, tiennent en otage leurs peuples respectifs avec des présidents qui, comme Obiang Nguema, installent leur fils comme vice-président en attendant la succession au sommet, ou qui comme Paul Biya, sont au pouvoir depuis trente (30 !) ans et viennent de se donner sept (7 !) autres années ! Si seulement telle tyrannie produisait le bien-être économique, comme nous miroitent l’Arabie saoudite, ou d’ailleurs le Koweit ! C’est qu’à cause de la dictature qui les a pris en otage, les pays d’Afrique centrale, pourtant si riches, sont devenus les plus pauvres d’Afrique ! Il suffit de voir le PIB d’un pays comme le Cameroun pour pleurer de pitié – et comment ! C’est au Cameroun que François Hollande devrait venir voir les résultats les plus désastreux de ce syndicat d’hommes de paille dont il a hérité de la droite, et qui tous sans exception avaient misé sur Sarkozy lors de l’élection présidentielle passée pour se sauver de la chute. Pourquoi choisir le Cameroun ? Eh bien, l’échec économique de ce pays n’est pas seulement monumental ; il est légendaire, comparé au décollage de pays similaires, comme par exemple le Ghana, le Kenya, l’Ethiopie, ou alors la Zambie ! L’oppression produit la misère. Pour mesurer la terreur dans laquelle vivent mes compatriotes, j’y ai passé trois semaines, en mai et juin. Eh bien : au bout de mon séjour, parmi les personnes que j’ai rencontrées, quatre ont déjà été jetées en prison, l’activiste Mboua Massok qui a assisté à la cérémonie de remise de prix aux journalistes que j’avais organisée, accusé d’incitation à désobéir aux lois et de manque de respect au président de la république ; le journaliste ivoirien Armand Ire La Haye, du Nouveau Courrier d’Abidjan, qui a été emprisonné “ pour sa protection ” à la DST, les services secrets ; Hervé Nzouabet et Majaly Souleyman Njonkou, étudiants et activistes de l’Addec, arrêtés pour avoir protesté contre la gestion du recteur de leur université. Que dire alors d’Enoh Meyomesse, écrivain, incarcéré pour tentative de coup d’Etat, vol aggravé, association de malfaiteurs, trafic de minerais, toutes charges qui se sont avérées nulles et montées, mais qui est tout de même maintenu en prison ? Plusieurs des personnes de mon équipe, le Tribunal Article 53, ont reçu et reçoivent encore des menaces par téléphone du SED, le service de gendarmerie où est emprisonné Titus Edzoa, mais aussi Marafa Hamidou Yaya, dont le crime à tous les deux est d’avoir montré ouvertement chacun son ambition de devenir président du Cameroun après Paul Biya. Même le marché où j’ai fait des achats à Yaoundé, le marché de Mokolo, s’est réveillé il y a quelques jours dans une émeute violente au bout de laquelle quatre Camerounais ont été exécutés par les forces de police après chasse à l’homme, pistolet au poing. Quant à moi je me suis retrouvé, avec mes collaborateurs, livré à la vindicte populaire par un journal pro-gouvernemental, La Météo, qui nous présente en Une à côté de nos photos, comme « ces nouveaux charognards qui polluent le pays ». Que produit telle terreur d’Etat ? Le désastre économique ! Le Cameroun, pays bilingue et situé stratégiquement au centre de mille échanges, n’a jamais été aussi isolé qu’aujourd’hui ! A l’aéroport international de Douala, qui comme le port est la possession monopolisée de la compagnie Bolloré, seuls deux avions attendaient au sol toutes les fois où j’y étais. Et comparez telle pauvreté avec les aéroports de Nairobi, ou d’ailleurs d’Accra ! Il m’a fallu deux jours, au lieu d’une heure trente minutes, deux jours, je disais, pour aller de Lagos, le poumon économique de la région, à Douala, et à mon retour, ces deux jours de voyage réglementaires ont inclus un aller retour Douala-Nairobi ! A l’heure des échanges panafricains, le Cameroun se donne ainsi le luxe de se couper du marché régional le plus populeux et porteur, Lagos, quand en même temps, pour continuer le bluff qui lui sert de politique, le tyran fait signer par l’Assemblée nationale (l’Assemblée nationale !) une loi permettant l’existence d’une ligne aérienne entre Douala et la Chine ! Seul un dirigeant qui volontairement a décidé de condamner son pays à la mort peut en 2012 prendre de telles décisions ! Car au fond, depuis son coup d’Etat électoral d’octobre 2011, le seul véritable geste public de Paul Biya aura été la “ pose de la première pierre ”, sous grand matraquage des médias d’Etat, d’un barrage qui de toute évidence ne sera jamais construit ! Que dire sinon de sa photo qui est partout sur des posters, le présentant comme « le choix du peuple » qui pourtant est allé seulement à 30% voter à la présidentielle de 2011 ? Que dire de son sourire qui orne jusqu’aux deux ou trois toilettes publiques qui seuls montrent ce qu’il appelle « grandes réalisations » dans un pays qui a besoin aujourd’hui de rattraper vingt ans de ronron ? C’est qu’au soir de ses trente ans (30 !) de bail au sommet de l’Etat, le tyran n’a plus qu’un recours : immobiliser le pays et le peuple pour mourir au pouvoir. Le pourra-t-il pendant sept (7 !) ans ? Et à quel prix ? La France qui l’a mis au pouvoir va-t-elle le laisser faire ? Voilà pourquoi pour tromper celle-ci, il essaie de couvrir la légitimité politique qu’il n’a jamais reçu des urnes par une campagne de communication internationale qui vante, dans Le Monde par exemple, les mérites d’un Sénat qu’il n’a jamais institué, tandis qu’au pays dans une campagne d’affichage d’Afrik.com, il se présente comme le garant de l’unité nationale, lui qui pourtant a transformé le pouvoir au Cameroun en un Etat tribal aux mains de son ethnie béti, et poussé la minorité anglophone aux pensées de sécession. Oui, il faut voir ça pour le croire ! C’est que pour encore plus distraire ce peuple pris en otage, le tyran a libéralisé le culte religieux, plongeant les Camerounais chrétiens, c’est-à-dire la moitié d’un pays divisé de manière égale entre musulmans et chrétiens, dans une démentielle hystérie de possédés écervelés que formatent des “ églises éveillées ”, véritables temples de l’intolérance, de la division et de la haine, tandis que les musulmans sont de plus en plus noyautés par des islamistes de Bokom Haram, creusant ainsi les fondations d’un conflit inter-religieux comme le Cameroun n’en a jamais connu vraiment jusqu’aujourd’hui ! Oui, il faut véritablement voir ce désastre orchestré par un homme et une clique protégée par les forces françaises stationnées autour du Cameroun pour leur protection, pour croire qu’il fût possible en une génération ! Voilà pourquoi il faut vraiment que le président français vienne à Yaoundé que Nicolas Sarkozy avait évité par honte sans doute, afin de voir jusqu’à quel point un pays au potentiel immense, peut être transformé en inévitable poudrière, et comment toute une génération de jeunes camerounais à l’intelligence immense peut être condamnée à fuir une terre pourtant si riche ! Et comment ne fuiraient-ils pas ? Car les Camerounais ont payé en sang plus que les Sénégalais, plus que les Tunisiens, sans pourtant avoir le résultat escompté : la libération de leur pays d’une des tyrannies les plus kleptomanes, corrompues et sanguinaires d’Afrique que la silencieuse complicité de Paris maintient dans un criminel confort. Car la jeunesse camerounaise, aujourd’hui néantisée par un des pouvoirs les plus illégitimes et les plus vieux d’Afrique, ne se voit offrir comme perspective que d’être recrutée à la pelle dans l’armée ou la police pour s’entretuer, quand ce n’est pas dans la fonction publique (pour ceux de l’ethnie du président), qui d’ailleurs ne paye pas les salaires qui leurs sont dus. Car les Camerounais aujourd’hui étranglés par un homme qui a commis sur eux des crimes les plus graves, à la dimension des crimes contre l’humanité, dans leur entière majorité, seront heureux de se débarrasser du tyran – y compris ses ministres dont plusieurs sont d’ailleurs actuellement injustement jetés en prison. Il faut que le président français vienne voir ça, pour agir. Après tout, l’histoire politique camerounaise d’aujourd’hui est plutôt rectiligne : de 1958, avec son institution en même temps que la Ve République, à aujourd’hui, le changement à la tête de ce pays n’a jamais eu lieu par la rue malgré de nombreuses insurrections, une guerre civile et deux génocides, ou d’ailleurs par des élections transparentes, mais par des révolutions de palais ; toutes les fois, le tyran, qui est au fond un homme de paille, est tombé quand il se croyait au sommet de sa puissance : 1958, avec la chute d’André-Marie Mbida, alors premier ministre du Cameroun français ; 1982, avec la démission d’Ahmadou Ahidjo, le premier président du Cameroun. Pour mesurer l’urgence, il faut sans doute que le président français visite quelques pays africains, pour de manière comparative, voir comment les pays d’Afrique centrale, si riches et tous francophones !, sont frappés d’un retard historique de vingt ans, à côté de leurs voisins anglophones de même potentialité qui ont décollé en 1990. Oui, il faut vraiment que François Hollande vienne voir pourquoi toutes les fois où il sera assis avec ses pairs européens et américains, la jungle tyrannique d’Afrique centrale, dont le centre c’est le Cameroun et la capitale Yaoundé, sera cette tache de boue sanglante qui sur son vêtement transformera le président de France en esclavagiste assis à la table de gens respectables. Il faut qu’il vienne voir pourquoi toutes les fois où il parlera de croissance, sa parole ne pourra qu’être une charade devant l’écho morne de ces rues exiguës et étouffantes de Yaoundé frappées d’immobilisme depuis 1997, quand Paul Biya aura fait avec les leaders du Nord du Cameroun un pacte lui garantissant le pouvoir à vie au prix de l’assurance que celui-ci reviendra après lui à un Nordiste dont l’avantage pour la France est de ne pas être anglophone ! Vraiment, il faut que François Hollande vienne voir à Yaoundé, cette ville où en 2012 les salons des maisons sont pleins de seaux d’eau remplis à cause des coupures d’eau intempestives, où dans la nuit on écrit encore à la lampe-tempête à cause des coupures d’électricité, et où Internet prend une heure de temps pour vous ouvrir un e-mail, ce qui restera à jamais comme le musée de la tyrannie francophone. Ceci est une invitation personnelle d’un citoyen camerounais au président français, afin qu’il vienne dans mon pays voir de lui-même la signature du cinglant échec humain, économique et social d’un projet politique fondé en 1958 dans la filouterie et le sang par Charles de Gaulle, projet qui en France s’appelle la Ve République, mais en Afrique centrale n’a qu’un nom bien connu dans l’histoire de l’oppression : l’esclavage. |
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