François Hollande, aidez-nous à déposer Paul Biya - Par Patrice Nganang

14 MAI 2012
© Patrice Nganang | Correspondance

«Monsieur le président, nul ne peut impunément jouer à cache-cache avec l’avenir trop longtemps. A quelques leaders seulement il a été donné de saisir le moment où l’intérêt de leur pays coïncide avec celui des peuples opprimés, et donc de lâcher les dictateurs qui font barrage à la marche inexorable du monde.»


Patrice Nganang
Photo: © Patrice Nganang


«Monsieur le président, nul ne peut impunément jouer à cache-cache avec l’avenir trop longtemps. A quelques leaders seulement il a été donné de saisir le moment où l’intérêt de leur pays coïncide avec celui des peuples opprimés, et donc de lâcher les dictateurs qui font barrage à la marche inexorable du monde.» Par Patrice Nganang, écrivain camerounais.



Monsieur le président,

«Je veux que le 6 mai soit une bonne nouvelle pour les démocrates et une terrible nouvelle pour les dictateurs», avez-vous déclaré lors de votre campagne électorale, et nous, démocrates africains d’expression française, vous avons bien entendu. Nous vous écrivons cette lettre au lendemain de votre victoire pour vous dire que ces phrases résonnent à Yaoundé, où depuis trente ans Paul Biya est au pouvoir, vient de se donner sept années de plus, et isole encore plus systématiquement le Cameroun en l’installant dans un réseau international auto-défensif de la dictature, qui comporte les présidents soudanais El-Bashir, zimbabwéen Mugabe et syrien Assad, tous mis au ban de la communauté mondiale.

Deuxième président socialiste de la cinquième république en soixante ans, votre victoire réveille des espoirs qui cependant demeurent encore sobres en Afrique à cause de ceux déçus par François Mitterrand, le seul qui nous ait montré ce que le changement politique en France voulait dire pour les Africains. Pourtant, l’arrivée de Mitterrand au pouvoir en 1981 avait mis Ahmadou Ahidjo à la retraite au sortir d’une élection que celui-ci avait gagnée à 100% selon des chiffres promulgués par la Cour suprême du Cameroun, et avait sonné le glas de Mobutu Sese Seko, de Moussa Traoré et de bien d’autres dictateurs francophones encore !

Comme Ahidjo en avril 1980, Paul Biya vient de se déclarer vainqueur d’une élection frauduleuse. Votre arrivée au pouvoir marquera-t-elle aussi l’interruption de sa carrière, lui qui est la tête de file des dictateurs dans l’espace francophone ? Et s’empressent les voix qui profitent du status quo de sa dictature, pour dire qu’il n’y a rien à attendre en Afrique du changement que vous annoncez, tandis que les médias mis au pas de sa propagande clament au Cameroun la nullité de vos promesses démocratiques et la primauté des intérêts mercantiles français sur toutes vos paroles et déclarations. La France ne connaît que ses intérêts, nous disent ici et là d’autres dictateurs francophones qui, dans leur frilosité, se découvrent nationalistes africains. La France n’aura aucun intérêt à sevrer de leur pouvoir ceux qui servent ses intérêts, nous refroidissent-ils. Soit !

Si la chute d’un tyran est expéditive, l’agonie de son régime est toujours coûteuse. Que Paul Biya, plus vieux dictateur dans l’espace francophone, ne serve pas et n’ait jamais servi les intérêts du peuple camerounais, la paupérisation à outrance du Cameroun, ce pays situé pourtant au cœur de l’Afrique et donc au carrefour de toutes les possibilités, le montre clairement. Qu’il ne serve pas les intérêts du Cameroun, le fait que le 21 mai 2009, au lendemain même de la fête nationale de ce pays, il ait signé un contrat de soutien militaire avec François Fillon, alors premier ministre de France, l’a fait voir à Yaoundé. Qu’il se maintienne au pouvoir contre la volonté du peuple camerounais, les élections du 9 octobre 2011 où seuls 30 % de la population en âge de voter au pays et 1 % à l’étranger –dont à peine 500 citoyens camerounais en France– étaient allés aux urnes l’ont montré au besoin. Et finalement, qu’il ne s’y maintienne que par la violence sanctifiée par le silence de Paris, l’exécution de centaines de ses jeunes compatriotes les 27, 28 et 29 février 2008 qui protestaient désarmés contre l’extension anticonstitutionnelle de son mandat et qu’il qualifia d’«apprentis sorciers», nous l’a fait vivre avec horreur.

Pourtant, Monsieur le président, Paul Biya et les dictateurs francophones comme lui servent-ils vraiment les intérêts de la France ? Voilà la seule question qui vaille aujourd’hui. Nous savons que le système esclavagiste se condamnait en maintenant une partie des Etats-Unis dans la production du coton, quand le reste de ce pays vivait les bonheurs de l’industrialisation. Nous savons également que le système communiste qui de Moscou tenait une moitié de la terre enchaînée et emmurée s’étranglait, satisfait d’exporter ses Trabant et ses Lada dans les pays mis au pas de ses chars, quand le reste du monde vivait une croissance sans précédent. De même l’Afrique du sud de l’apartheid, nous le savons, se tirait une balle dans le pied en maintenant esclaves des millions de noirs et captive leur intelligence, quand le reste du monde vivait le bonheur de la productivité dans la diversité. L’histoire a une logique implacable qui est autant celle des peuples enchaînés qui se battent pour leur liberté, que celle des intérêts mercantiles qui étouffent quand la définition de leurs intérêts est court-circuitée parce que mesurée de manière myope, au prix seul de la maintenance tous azimuts, par la dictature de commandeurs, d’une économie condamnée.

Monsieur le président, quel intérêt la France a-t-elle donc à ce que le Cameroun ne soit pas un Brésil africain ? En quoi cela fait-il sens, économiquement parlant, pour Paris de traiter au gras tous ces nombreux tyrans, leurs cours dépensières, et ces quelques compagnies françaises sangsues comme Bolloré ? Devant un monde de plus en plus compétitif et une Europe en crise, est-ce vraiment si rentable de maintenir à genoux ces nombreux pays africains qui avec vous parlent le français, quand leurs populations n’ont plus en commun entre elles que la misère comme la liste des pays les plus pauvres de la terre nous le montre clairement ? A quel prix la France va-t-elle continuer de fermer les yeux sur le fait si évident à la terre en fin de compte, que les pays d’expression anglaise, portugaise, espagnole et arabe se portent en Afrique beaucoup mieux, de loin mieux que leurs confrères d’expression française ? De combien de soldats français aurez-vous encore besoin pour maintenir enchaînés tous ces jeunes francophones dans la poche de qui le Trésor français a mis une forfaiture, le Franc CFA, qui n’a de valeur que dans leurs arrières-cours à eux seuls, quand le monde des échanges du futur, lui, est vaste et celui de leur mobilité infini ? Au Togo et au Gabon que vous célébrez comme démocratiques mais dont les Assemblées nationales sont vidées d’opposition, la France a fait succéder des fils à des dictatures qui avaient duré quarante ans ; allez-vous donc faire de la démocratie héréditaire et de la succession de dictateurs par leurs fils le modèle démocratique pour les pays où le français est la langue d’expression ? Allez-vous vraiment parler de croissance, et laisser Paul Biya condamner le Cameroun pendant trente-sept ans à une économie de fainéantise, passer la moitié de l’année paresseusement en Suisse, tandis qu’en même temps la Zambie, le Ghana, le Kenya, l’Afrique du sud, le Nigeria, s’enrichissent ?

Monsieur le président, l’implosion francophone ne peut plus être désamorcée par la fuite en avant, car la sanction de l’histoire sera implacable. Il a été donné à quelques leaders seulement d’être les navigateurs d’un futur de liberté et de prospérité, et les préempteurs d’un tumultueux avenir. A quelques-uns, il a été donné de voir que l’aride de la terre brûlée sur laquelle survivent les dictateurs francophones qui comme Paul Biya éliminent tous les personnages alternatifs et de calibre de successeur autour de lui, tel Marafa Hamidou Yaya, ne produira jamais un futur de croissance et de promesses, mais enfoncera encore plus les pays francophones dans la misère qui est leur présent, sinon dans la violence qui comme au Mali est leur lot quotidien. Malgré le chantage dont se sert un Paul Biya auprès de vous quand il miroite aux Camerounais la promesse d’une moisson chinoise, nous savons qu’aucune armée chinoise ne viendra jamais aider un dictateur francophone aux abois ; au contraire, nous avons vu les forces armées nationales de Côte d’Ivoire anéanties, et les forces armées nationales maliennes se transformer en brigands, quand sevrées du soutien logistique de Paris. Quant à l’armée nationale camerounaise, nous savons qu’elle serait vaporisée sans la ceinture française qui au Gabon, au Congo, en RCA et au Tchad la protège depuis toujours. Nous savons donc que seule l’armée française se tient entre les peuples africains et les dictateurs, et que des contrats militaires signés à la hâte ces dernières années par l’ex-président Sarkozy ici et là ont voulu donner une perfusion à des régimes dociles mais condamnés comme celui du Cameroun, et fidéliser ceux émergeants mais de même famille idéologique tel le nouveau pouvoir au Sénégal.

Monsieur le président, nul ne peut impunément jouer à cache-cache avec l’avenir trop longtemps. A quelques leaders seulement il a été donné de saisir le moment où l’intérêt de leur pays coïncide avec celui des peuples opprimés, et donc de lâcher les dictateurs qui font barrage à la marche inexorable du monde. Ce sont ces leaders qui font l’Histoire. Vous arrivez au pouvoir au bon moment car votre victoire à l’élection présidentielle en France est certes la seconde venue de la gauche à Paris en plus d’un demi-siècle, sa chance est qu’à la différence de 1981, elle découvre une économie francophone qui aujourd’hui est clairement condamnée. Vous arrivez au moment où les dictateurs francophones comme Biya emprisonnent un pays des plus riches de l’espace francophone dans les caisses du désinvestissement en voulant s’imposer à vie au pouvoir au moyen de milices tribales et de sectes, alors que la France, secouée par la crise de l’euro, a plus qu’intérêt à voir un espace francophone prospère et riche. Vous arrivez donc au pouvoir au moment où l’intérêt de la France coïncide avec celui objectif des peuples africains en soif de liberté et de bien-être, car le prix de la dictature est devenu insoutenable pour chacun de nous. Vous arrivez au moment où la sortie de l’impasse francophone laisse à la France au fond peu d’options autre que se mettre aux côtés des peuples africains, la violence des coups d’Etat et des génocides qui ont peuplé l’histoire de l’espace francophone depuis les indépendances de 1960, fabriqué des dictateurs et maintenu des millions de personnes en otage, n’ayant pas transformé celui-ci en espace de productivité mais en plantation esclavagiste. Vous arrivez au moment où l’espace francophone est devenu après l’implosion du monde communiste et après la démocratisation du monde arabe, l’avant-poste de la dictature sur terre. Monsieur le président, oui, vous arrivez au moment juste. Vous pouvez inscrire dans l’histoire des peuples qui se libèrent le sceau de vos actes, et écrire avec nous l’histoire inexorable de notre commun progrès vers la démocratie. Vous pouvez faire l’Histoire : aidez-nous à défaire les dictateurs francophones ! Vous pouvez faire du 6 mai une bonne nouvelle pour le peuple camerounais : aidez-nous à déposer Paul Biya ! Nous n’attendons rien de moins.


Patrice Nganang, écrivain camerounais



15/05/2012
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