France : Francine Bitée "Le système de débrouille règne au Cameroun entraînant avec lui son corollaire de corruption"
France : Francine Bitée "Le système de débrouille règne au Cameroun entraînant avec lui son corollaire de corruption"
Francine Bitée,née au Cameroun et qui vit en France, auteur de « La transition démocratique au Cameroun de 1990 à 2004 », un très bel ouvrage édité les éditions Harmattan,présente la situation politique au Cameroun dans tous ses contours obscurs. Diplômée d’un Master en sociologie politique à Paris 8, Francine Bitée est également doctorante à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris- France. Camer.be votre média de proximité en ligne lui a tendu son micro. Lisez plutôt.
Comment êtes-vous venue à l'écriture ?
Bonjour à vous Camer.be, je vous remercie de me tendre votre micro pour que je puisse répondre à vos questions. Je suis tombée dans l’écriture un peu par hasard. C’est en licence que j’ai travaillé sur le thème de l’excision au Mali pour mon mini-mémoire de fin d’année. Et en fait au cours de mes recherches et de mes entretiens avec les excisées que j’ai éprouvé de la révolte pour tous ces sujets tabous qu’on sait mais qu’on tait volontairement. C’est ainsi que j’ai pris goût à l’écriture, cela permets de pas garder pour soi ce qu’on découvre et ce qu’on apprend soit sur le terrain , soit à travers la vie quotidienne , soit par de entretiens avec les autres…
Vous avez publié récemment un essai aux éditions l’Harmattan collection Point de vue. Pourquoi un livre sur la transition démocratique au Cameroun de 1990 à 2004 ?
Je profite d’ailleurs de l’occasion qui m’est
donnée de remercier les éditions l’Harmattan qui ont bien voulu publier
mon premier livre , et qui donne ainsi la chance aux jeunes de faire
leurs preuves et qui essayent d’alerter les autres jeunes sur ce qui se
passe réellement chez nous. Pourquoi un livre sur la transition
démocratique au Cameroun de 1990 à 2004 ?
Premièrement j’aurai pu donné un autre titre à mon ouvrage par exemple
``essai de transition au Cameroun`` ou ``transition ratée au Cameroun`` ,
mais cela n’aurait plus eu de mystère et n’est politiquement pas
correct car on ne peut rien affirmer sans des éléments concrets , sans
présenter les faits, sans histoire ni de réelles recherches
scientifiques .
Je m’arrête sur 1990 parce que c’est à ce moment qu’il y a rupture avec
l’ère monolithique instaurée sous Ahidjo le 15 octobre 1959 lorsqu’il
demanda les pleins pouvoirs à l’assemblée nationale et jusqu’à son
élection présidentielle du 05 mai 1960.Car il faut bien comprendre avant
l’indépendance , le Cameroun avait une réelle démocratie et une
assemblée constituée où siégeait différents partis comme l’Union
camerounaise (Ahidjo), le mouvement d’action nationale du Cameroun
(Daniel Kemajou),le parti des démocrates camerounais de ( André-Marie
Mbida) etc…on a aussi l’UPC qui milita aussi beaucoup pour
l’indépendance du Cameroun dès 1956. Le 20 mai 1972 Ahidjo grâce à la
ruse politique réussit l’unification du pays qui passe république
fédérale à la république unie du Cameroun réunissant ainsi la partie
anglophone et celle francophone pour asseoir son autorité et l’avènement
du parti unique qui est l’UNC (union national Camerounaise).son
successeur le président Biya qui prit le pouvoir en 1982 continua sur
cette lancée monolithique bien que étant passé de l’UNC au RDPC en 1985
pour marquer définitivement la rupture avec Ahidjo son ex-mentor.1990
sonne comme un glas pour les chefs d’Etats Africains notamment chez nous
au Cameroun. Car sur la scène internationale le mouvement des vents
d’Est déclenchés depuis Moscou par la Perestroïka introduit par Mikael
Gorbatchev qui à l’époque était le chef de l’exécutif en Union
Soviétique. Ce dernier voulait instaurer, pour les négro-africains
broyés par les pouvoirs autoritaires, la dimension symbolique de la
chute du mur de Berlin, et ce qui a entraîné le revirement de la France
jusque là Etat- patron, Mitterrand dans son discours à la baule demande
des comptes aux dictateurs africains qui jusqu'à cette date
bénéficiaient de son soutien. Le mouvement de liberté qui souffle sur
l’est souffle aussi en direction des pays du Sud. Même la France
encourage les présidents Africains à l’ouverture et à un peu plus de
liberté ce qui signifie à une ouverture de pluralité politiques, ce qui
heureusement n’épargne pas le Cameroun qui depuis Ahidjo ne connaissait
jusque là qu’un régime monolithique et patriarcat avec Biya, où la
corruption, le clientélisme, le pouvoir abusif sont passées dans la
normalité. 1990 c’est le moment de sursaut du peuple où apparaît un
nouveau leader fait une entrée fracassante sur l’échiquier politique
camerounais c’est John Fru Ndi qui prend la tête des émeutes et des
villes mortes à Douala le 26 mai 1990.Biya par les lois du 19
decembre1990 qui devaient inaugurer la nouvelle transition démocratique,
parle une première fois de ``concurrence``pour le RDPC. 2004 je me suis
arrêtée à cette date car s’est celle des dernières élections au
Cameroun. Le président Biya a été de nouveau élu avec près de 75% de
voix dans un pays où l’opposition semble avoir baisser les bras et où le
peuple ne croit plus à du tout à un système démocratique Camerounaise.
Dans cet ouvrage, vous abordez avec insistance les questions liées à la situation politique au Cameroun. Pourquoi on n'a pas réussi au Cameroun le processus de démocratisation comme vous l'évoquez dans votre ouvrage?
J’aborde avec insistance les questions liées à la situation politique au Cameroun parce si on part de la situation de stagnation politique, d’échec politique tel que vécu chez nous, on arrive à mieux saisir le problème socio-politique qui existe au Cameroun depuis les années 80 à nos jours avec la récession, le tribalisme, le népotisme, le clientélisme, la corruption à toutes les échelles, les détournements de fonds publiques ( l’opération épervier), le chômage, la déliquescence de la moralité publique, la peur et la méfiance du Camerounais vis-à-vis de l’autre vient du manque de confiance aux institutions et à la politique de ce pays en générale.
Au Cameroun le processus de démocratisation n’a pas réussi à causes de toutes ces raisons énumérées mais les véritables facteurs sont : Il n’y a pas eu de rupture avec le régime néo-patrimonial en ceci que le président Biya confronté en 1990 à une forte demande populaire sur la conférence nationale, son régime a choisi la voie de la modernisation conservatrice du régime néo-patrimonial. Voie présidentielle où on observe une assimilation réciproque des élites, la cooptation et l’absorption des contres élites (l’opposition) au contrôle des institutions étatiques.
L’usure de l’opposition divisée dès les élections
législatives de 1992 car le président Biya a par son approche
autoritaire et clientéliste de la transition, usé et déstabilisé
l’opposition institutionnelle, incarnée par les partis politiques et
leurs leaders, les affaiblissant ainsi par des alliances ponctuelles et
ciblée avec une partie de l’élite des grands partis d’opposition et la
fraude. C’est le cas de Samuel Eboua leader charismatique de l’UNDP lors
de la rencontre tripartite qui s’est tenu le 30 octobre 1991qui devait
réunir le gouvernement –opposition -société civile.
L’instrumentalisation de l’armée pour punir les populations qui se
rebelles, la fraude électorale, le boycotte des élection présidentiel du
03 novembre 1997 par l’opposition Biya se présente sans adversaire et
gagne à 92,50% de voix.
En quelques mots on peut dire que les blocages structurels de la transition sont liés :
Au manque de transparence lors des élections présidentielles, à la
politique du ventre instaurée au Cameroun, à une armée répressive qui
use de son pouvoir, aux médias plus ou moins libre de s’exprimer….
Quelle appréciation générale faites-vous de la situation sociopolitique du Cameroun actuellement ?
L’appréciation générale que je fais de situation socio politique rejoins ce que je viens de dire, le pays en gros va mal, il y a toujours autant de chômeurs, des vacataires, des étudiants surdiplômées qui sont obligés de faire des « call-box » et autres, la fraude aux examens dès le CM2, le système de débrouille règne au Cameroun entraînant avec lui son corollaire de corruption. A l’heure actuelle il n’y a pas de réelle opposition pour les élections de 2011, quelques nouveaux se préparent certes mais bon !!! L’avenir reste très incertain pour la jeunesse qui préfère s’expatrier au détriment de notre cher et beau pays. Le camerounais n’a plus foi en l’avenir politique de son pays.
A travers votre ouvrage, quel est le message que vous voulez véhiculer à l'intention de nos Etats africains et du Cameroun votre pays de naissance en particulier ?
C’est ça que moi je conteste car si on ne croit plus à l’avenir, on baisse les bras et on va arriver au chaos. Je veux que nous les jeunes luttions pour notre futur, que nous imposions nos idées et nos idéaux car même si le chemin est semé d’embûches on peut y arriver. Imaginez-vous un gouvernement où les nominations reprennent à chaque fois les mêmes personnalités aux fils des ans, il n’y a pas de jeunes à des postes clés ministériels pourtant des jeunes intellectuels existent. Le monde change alors nous aussi on doit changer, toujours les mêmes têtes au gouvernement depuis 20, 30ans que voulez-vous qu’il puisse changer car leur vision du monde et de l’évolution se sont arrêtées il y a 20 ans sinon plus. C’est tout pour eux et rien pour le peuple. Imaginez avec la mascarade de l’opération épervier où on n’apprend qu’un tel et un autre ont détourné des milliards de FCA , on les met en prison pour 30, 40, 50ans pour calmer le peuple soit disant mais la question fondamentale que l’on doit se posée est : « où est l’argent ? Comment le récupéré dans les banques off-shore pour renflouer les caisse de l’Etat ? Pourquoi une fois ces personnes emprisonnées on a plus la suite des transactions financières des dits vols ? Où est l’argent détourné ? » Ces milliards de FCA peuvent pourtant relancer une dynamique économique permettant ainsi de créer des emplois…
Est-ce vous qui avez choisi le titre ?
Oui, j’ai choisi le titre de mon livre. Je ne voulais pas un titre qui dévoile d’emblée le contenu directe de ce qu’il y a dans le livre. Le titre prête à confusion car le premier réflexe de l’érudit est de dire « foutaise elle n’a rien compris, il n’y a pas de transition démocratique au Cameroun », ou encore d’autres qui critiquent sans avoir lu le livre « l’histoire politique du Cameroun ne commence pas en 1990 et ne s’arrête pas à 2004 » Mais ces réactions montrent que le sujet ne laisse néanmoins pas indifférent et suscite un débat même si malheureusement ce débat est caduque , car on ne peut faire une réelle critique que si on prend le temps de lire l’ouvrage avant d’en débattre. Je souhaite recevoir des critiques, débattre avec ceux qui ont lu le livre, qu’ils aient la même vision ou non que moi.
Avez-vous eu des réactions de lecteurs africains (résidant en Afrique ou en dehors d'Afrique) au sujet de votre livre ?
J’attends toujours les réactions des lecteurs, le livre vient de sortir, je leur laisse le temps d’acheter et de lire livre. Ensuite j’attends leur commentaires et critiques. Quelques personnes qui on lu le livre en font une critique positive mais craignent surtout pour ma sécurité si jamais je vais dédicacer mon livre au Cameroun. Car disent-ils j’aborde des sujets trop tabous…. Mais bon je n’invente rien je dis juste ce que tout le monde sait mais tait par peur des représailles ou par lâcheté.
Comment procéder pour commander votre ouvrage ? Est t-il déjà disponible au Cameroun ?
Pour ceux qui vivent en France le livre est
disponible en librairies Gilbert Jeune, FNAC…Vous pouvez le commander
sur le site Internet de l’harmattan, et sur plusieurs autres sites qui
distribuent à l’étranger Suisse, Belgique, Allemagne et autres. Vous
tapez le titre de l’ouvrage et vous passez la commande c’est simple et
disponible en 48h.
Au Cameroun il sera disponible sous peu je dois d’ailleurs rencontrer le
responsable des éditions l’harmattan Cameroun la semaine prochaine pour
discuter de la distribution et de la diffusion du livre au Cameroun.
Retournez-vous souvent au Cameroun ?
J’adore mon pays, j’y vais 2 à 3 fois par an. Mon pays c’est mon opium, c’est ma batterie, vous savez même si tout va mal aujourd’hui, le Cameroun est mon repère. Je pense qu’on est réellement heureux que chez soi. A l’étranger malgré la stabilité, le confort on n’est pas chez-nous. Il n’y a pas cette simple joie d’être en famille. L’odeur de notre terre est captivante et nous rappelle nos origines profondes. C’est pourquoi on doit se battre pour changer les choses et pouvoir renter mettre notre savoir et nos expériences acquis à l’extérieur au profit de notre pays pour faire bouger les choses. Que tous ces vieux dirigeants nous laissent faire nos preuves. Qu’ils laissent la jeunesse s’exprimer.
Une question plus personnelle. Quel sera le thème de votre prochain ouvrage ?
Actuellement je travaille sur les conséquences de la politique d’ajustement structurel sur la société civile camerounaise. C’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur et qui va dans la continuité du premier ouvrage.
Je vous remercie de m’avoir permis de parler de mon livre, d’en expliquer en quelques phrases le contenu. Et j’espère que les Camerounais le liront majoritairement. Je vous remercie.