France : Dominique Sopo, "Michel Atangana emprisonné depuis 16 ans : l'affaire qui fait honte au Cameroun"
En ce 11 février 2013, la fête nationale de la jeunesse au Cameroun sera à nouveau l’occasion pour maints officiels de prononcer des discours qui se voudront inspirés. Paul Biya, le chef de l’État camerounais, devrait comme chaque année s’adresser à la nation et exhorter la jeunesse à construire une "République exemplaire", selon l’expression qu’il employa dans son discours de l’an dernier.
La réalité, c’est qu’un tel appel risque fort d’être reçu comme une plaisanterie tant ceux-là mêmes qui sont censés incarner cette "République exemplaire" ne peuvent se targuer d’une quelconque exemplarité.
Un Français plongé dans l'enfer carcéral
Ces derniers jours, le Cameroun assiste ébahi au dévoilement trop longtemps différé de l’affaire Atangana, du nom de ce Français d’origine camerounaise qui se trouve plongé dans l’enfer carcéral depuis que le pouvoir camerounais a décidé, en mai 1997, de le retenir prisonnier.
Quel est le crime de Michel Atangana ? Simplement d’avoir été en lien avec Titus Edzoa lorsque, présidant le comité de pilotage de la construction d’axes autoroutiers au Cameroun, il avait – à la demande du pouvoir ! – à rendre compte de ses activités à Titus Edzoa. Lorsque Titus Edzoa, ancien numéro deux du régime camerounais, voulut défier le pouvoir en se présentant à l’élection présidentielle de 1997, des forces au sein de ce régime se mirent en mouvement pour l’éliminer de la course.
Arrêté, Titus Edzoa fut accusé de détournements de fonds dans le cadre des projets autoroutiers sus-mentionnés. Mais cette accusation devait, pour présenter un début de crédibilité, incriminer les responsables des projets en question et en premier lieu le principal responsable : Michel Atangana.
C’est ainsi qu’à l’issue d’un procès qui se déroula sans avocats entre 17h et 4h du matin, Michel Atangana fut condamné en juillet 1997 à 15 ans de prison pour "détournement de fonds publics".
Depuis lors, Michel Atangana est détenu à Yaoundé dans les sous-sols du secrétariat d’État à la Défense dans une cellule de 7m² qui ne reçoit pas la lumière du jour. Précisons que jusqu’en 2012, cette cellule ne figurait pas parmi les lieux officiels de détention au Cameroun.
Les relations franco-camerounaises affectées
Une fois cette première condamnation obtenue, une deuxième procédure judiciaire sur des faits similaires et tout aussi imaginaires fut lancée à l’encontre de Michel Atangana. Un courageux juge d’instruction prononça un non-lieu total en 2008.
Faisant feu de tout bois, le parquet – mais qui doute de qui se cache derrière le parquet ? – fit appel et, par des manœuvres sordides qui consistèrent entre autres méfaits en une manipulation de la composition du tribunal, obtint une condamnation à vingt nouvelles années de prison le 4 octobre 2012.
Le récent voyage de Paul Biya en France s’est déroulé dans un climat apocalyptique tant la France, après une longue période d’inertie de ses canaux diplomatiques, a fait savoir qu’elle ne pouvait accepter qu’un chef d’État se présentant comme son ami puisse se comporter de la sorte vis-à-vis d’un de ses ressortissants.
Cette affaire Atangana a ainsi transformé en fiasco le voyage de Paul Biya en France. Mais, de façon bien plus fondamentale, elle illustre jusqu’à la caricature ce qui dégoûte et révulse une grande partie de la jeunesse camerounaise.
Un État de droit très imparfait
Ce qui révulse la jeunesse camerounaise, c’est tout d’abord un arbitraire grossier sur fonds de personnalisation et de privatisation des institutions étatiques.
Comment la jeunesse camerounaise pourrait-elle être à la fête face à un arbitraire dont elle sait pouvoir pâtir à chaque instant de sa vie ? Comment la jeunesse camerounaise pourrait-elle être à la fête alors qu’elle sait que cet arbitraire est lourd de conséquences économiques ?
On comprend en effet que les entreprises françaises soient réticentes, malgré les appels du pied de Paul Biya, à investir dans un pays où l’État de droit est si peu effectif que l’embastillement peut frapper n’importe qui, n’importe quand.
Ce qui révulse la jeunesse camerounaise, c’est également cette liberté d’expression brimée alors que la jeunesse, par l’œil neuf et exigeant qu’elle porte sur le monde, doit avoir les moyens d’exprimer ses aspirations
Ce qui révulse la jeunesse camerounaise, c’est enfin, du fait de cet arbitraire et de cette liberté brimée, l’organisation consciencieuse de sa fuite vers l’extérieur. D’ailleurs, l’affaire Atangana n’est-elle pas la confirmation qu’il vaut mieux pour les jeunes camerounais fuir leur propre pays ?
Rappelons en effet que Michel Atangana est né camerounais. Naturalisé français en 1988 suite à son mariage avec une Française, il avait commencé à bâtir sa vie à Paris, avec sa femme et ses enfants. Il a pourtant fait le choix de revenir dans son pays de naissance et de mettre ses compétences au service du développement du Cameroun.
Mais les jalousies les plus médiocres, les jeux politiques les plus obscurs, l’arbitraire le plus honteux ont détruit son rêve personnel et ses aspirations pour le Cameroun. Comment alors s’étonner que tant de jeunes camerounais rêvent davantage d’exil que d’une vie au pays ?
Cet homme doit être libéré
Il est temps que le Cameroun fasse honneur à sa population et en particulier à sa jeunesse. Assez de cet arbitraire, assez de ces juges aux ordres, assez de cette liberté brimée, assez de ces médias apeurés, assez de ces "professeurs" qui ne doivent leur carrière universitaire qu’à leur servilité envers le pouvoir, assez de la fuite d’une jeunesse qui est pourtant la chance du Cameroun.
Monsieur Biya, nous ne savons pas ce que vous connaissiez de l’affaire Atangana durant ces longues années. Mais vous ne pouvez aujourd’hui ignorer que Michel Atangana est totalement innocent et qu’il supporte des souffrances physiques et psychiques qui n’ont que trop duré. Il se murmure qu’il est important pour vous de sauver la "face" dans cette affaire et de trouver un "habillage" pour qu’une issue heureuse soit trouvée… dans un délai indéterminé.
La balle est dans votre camp mais elle est également dans le camp d’une société civile qui, à Yaoundé, à Douala ou à Paris, se fera le relais exigeant et ininterrompu du cri de liberté que Michel Atangana a poussé seul pendant de trop nombreuses années. Michel Atangana dans son long cri ne vous demande aucune grâce, Monsieur le Président. Il refuse la grâce, il veut la justice.
Si, pour une fois dans cette affaire, la justice est laissée libre et aux mains de juges compétents, alors se dessinera inévitablement ce qui est la seule issue acceptable aussi bien pour Michel Atangana que pour tous les esprits attachés aux droits de l’Homme : la liberté immédiate et la complète réhabilitation.