France - Cameroun : Paul Biya, l’hôte indésirable de François Hollande
L’hôte indésirable de François Hollande a atteint son but au prix de mille humiliations. Le Cameroun et Paul Biya n’y gagnent rien politiquement.
I- La reconnaissance politique
La conversation bat son plein dans ce salon d’une maison du quartier Bonapriso de Douala quand un jeune cadre du Port autonome de cette ville lance : « Biya exagère, a-t-il besoin de la reconnaissance de François Hollande ? Il n’a pas obtenu celle de Nicolas Sarkozy qui l’a boudé pendant son quinquennat, maintenant il à tout fait pour être invité à Paris. Au fait qu’est-ce qu’il gagne à être reçu par son homologue français ? Biya ne va pas à Paris dans le cadre d’une visite d’Etat, ni d’une visite officielle mais de travail. Moi je ne suis pas un expert dans le domaine de la diplomatie, mais j’ai l’impression que c’est Biya qui a demandé à être reçu par Hollande pour lui présenter les nombreuses opportunités que le Cameroun peut offrir aux milieux d’affaires français… » Et aux dernières nouvelles, on apprendra que c’est le Mendef qui aura forcé la main au président français. Certainement dans la volonté du patronat français de reconquérir les marchés dans le vaste chantier des grandes réalisations et de conduire le Cameroun vers l’émergence à l’horizon 2035.
La déclaration de ce jeune cadre est celle qu’on peut retrouver dans la bouche de millions de Camerounais qui ne comprennent pas pourquoi depuis de nombreuses années leur président cherche à obtenir la reconnaissance des présidents français de ces dernières années, Nicolas Sarkozy (2007-2012) et depuis mai 2012, François Hollande. Cela veut-il dire que Pau Biya ne se considère pas comme un président plein, s’il n’est pas reconnu par un président français. Hier, Paul Biya s’était humilié, avait fait honte au Cameroun entier en se déclarant «Meilleur élève de François Mitterrand», chef d’Etat français de 1981 à 1995. Comment, un Chef d’Etat qui se respecte peut-il se déclarer être le meilleur élève d’un autre Chef d’Etat. Peut-on imaginer Theodoro Obiang Nguema Mbasogo de Guinée Equatoriale, même quand son pays n’exploitait pas encore son pétrole, Paul Kagame du Rwanda, Yoweri Kaguta Museveni de l’Ouganda, faire une pareille déclaration ? Non !
Aujourd’hui, Paul Biya ne se déclare plus élève mais courtisan. Ça n’a pas réussi avec Nicolas Sarkozy qui n’a pas visité le Cameroun pendant son quinquennat. Sans se décourager, il a recommencé à lancer son hameçon en direction d’un François Hollande qui vient d’arriver aux affaires, mais qui n’est pas naïf. Lui qui avait déjà manifesté son soutien à une manifestation de la diaspora camerounaise en France alors qu’il n’était pas encore élu président de la République. (Voir page 7). En voulant à tout prix être adoubé, voire reconnu par tous ses homologues français successifs, on dirait que Paul Biya doute de sa légitimité. En effet, comment comprendre qu’un Chef d’Etat élu par ses compatriotes cherche plutôt à se faire reconnaître par un pouvoir étranger. C’est une aberration totale. Benyamin Netanyahou le Premier ministre israélien et même ses prédécesseurs, ont toujours déclaré qu’ils sont élus par le peuple israélien et non à New York, Washington, Paris, Moscou ou Londres.
II- Transcender le complexe d’infériorité
C’est comme cela que Paul Biya devrait prendre la chose. Biya n’a pas besoin de la reconnaissance d’un chef d’Etat étranger pour être reconnu comme président des Camerounais. Cela peut signifier qu’il truque chaque fois les élections présidentielles depuis qu’il est au pouvoir. On ne peut pas gagner les élections à la régulière, sans fraudes et chercher à être reconnu par l’extérieur. Paul Biya nourrit ce complexe depuis toujours, devant certains de ses homologues étrangers en général et français en particulier. Pourquoi le fait-il ? Paul Kagame du Rwanda ne connaît pas ce complexe, lui qui tient tête à ses homologues occidentaux. Le président algérien Abdelaziz Bouteflika, lui minaude ses pairs français, il traite d’égal à égal avec eux, d’ailleurs c’est lui qui a l’habitude de dicter les règles du jeu. La France a passé 132 ans (1830-1962) en Algérie et 44 ans (1916-1960) au Cameroun mais curieusement, c’est Paul Biya qui veut faire croire que les liens historiques avec la France ou plutôt que l’onction, l’adoubement des chefs d’Etat français sont une nécessité vitale pour le Cameroun et pour lui. Ce qui est évidemment faux.
Le président Equato-guinéen n’a pas besoin d’une quelconque onction espagnole pour diriger son pays. L’Espagne puissance coloniale n’a pas un traitement de faveur dans les affaires. D’ailleurs les marchés publics en Guinée Equatoriale restent ouverts aux investisseurs étrangers. Les Espagnols sont moins présents que les Etats-Unis dans l’exploitation du pétrole et du gaz équato-guinéen. Les gains ? Nous avons retourné la question dans tous les sens et nous n’avons pas vu ce que le Cameroun gagne en s’accrochant à la France qui l’a abandonné. En effet, faut-il rappeler ici que la France a méprisé le Cameroun en se retirant de certains grands projets pourtant intéressants pour nous. On peut ainsi citer : - L’exploitation du gaz par Elf-Aquitaine (aujourd’hui Total) dans les années 1980-1990. Cette société française devait exploiter les réserves gazières aux berges de Kribi quand subitement cette société française abandonne le projet sous le prétexte que les réserves de gaz camerounais ne sont pas importantes et par ricochet pas viables ou rentables.
En revanche, comme pièce de rechange, elle est allée s’installer au Nigeria voisin alors que quelques années auparavant Albin Chalandon, alors président Directeur général d’Elf-Aquitaine avait déclaré : « notre potentiel gazier se précise au Cameroun ». – On peut aussi citer, le pipeline Doba-Kribi : Total était dans le projet quand brusquement cette société française s’est retirée laissant ainsi la place à Petrobras, société malaisienne. Est-ce l’attitude ou le comportement d’un ami qui vous veut du bien? Comment aussi comprendre cet autre désintérêt de la France pour le Cameroun, en se désintéressant de tous les grands projets miniers du Cameroun : fer, bauxite, diamants et autres. Ce sont les groupes miniers canadiens, australiens, américains et asiatiques qui ont la situation en main. Où est donc passée a France ?
III- Le prix à payer
Quelles soient routières ou autres, la France est absente hormis quelques petits marchés. On a dû donner le marché de construction du second pont sur le Wouri à Douala au groupement français Sogea-Satom pour calmer le jeu. La raison évoquée est que le fonds de ce marché est issu d’un financement Français, sinon les Chinois l’auraient emporté. Pour le port en eau profonde de Kribi, les Chinois l’ont emporté, ce qui est tout a fait normal les Chinois ayant prêté au Cameroun la somme de 207 milliards de Fcfa sur un total de 300 milliards que nécessite les travaux. Pour calmer la colère française qui voulait à tout prix le marché, on a donné à Razel société qui existe à Douala depuis la fin des années 1940 le marché de terrassement du port pour un montant de 3,5 milliards de Fcfa. Pourtant, Paul Biya a mis beaucoup d’argent dans les médias français et les lobbyings de toutes natures pour faire venir Nicolas Sarkozy au Cameroun, hélas sans succès. L’entourage de l’ancien président français s’est bien sucré sur le dos de Paul Biya. Le même lobbying a été mené du côté des Etats-Unis pour qu’Obama reçoive Biya, jusqu’à présent cela a été un nouveau flop.
Incontestablement, la France veut revenir au galop : Voilà la vraie raison de la présence de Biya en France cette semaine. Paul Biya est certes en France pour rencontrer son homologue François Hollande, mais son séjour sera marqué par sa rencontre avec les hommes d’affaires français représenté au sein du Medef, une centrale patronale. On va demander à Paul Biya de donner des marchés aux entreprises françaises déjà installées au Cameroun et de favoriser l’installation de nouvelles. Si la France veut revenir, elle doit pratiquer des prix qui arrangent les Camerounais selon la formule chinoise de win-win (gagnant-gagnant) ou chaque partie trouve son compte. Quand on prend par exemple la construction d’une route de 5 kilomètres, les Chinois peuvent la faire à 2,5 milliards de Fcfa alors l’entreprise française demandera le double, voire davantage. S’agissant des barrages hydroélectriques, les Chinois préfinancent les travaux de construction, ce que les Français ne font pas. Comment peut-on donc leur attribuer des marchés ? En conclusion le seul profit que le Cameroun pourrait avoir dans la visite du président Paul Biya en France, c’est l’installation de nouvelles sociétés françaises au Cameroun pour développer notre pays et réduire le chômage. Sur le plan politique ce voyage n’a aucune retombée ni pour le Cameroun ni pour Paul Biya.
Paul Biya entre le marteau et l’enclume
A la faveur du séjour officiel du président de la République du Cameroun, Paul Biya chez son homologue français, François Hollande, séjour étalé depuis hier 28 janvier et qui s’achève le 2 février 2013, le Collectif diasporique des Associations de l’opposition politique et de la société civile camerounaise à écrit à François Hollande pour tirer la sonnette d’alarme, afin de profiter de cette visite officielle pour éviter au Cameroun une insurrection latente. Alors qu’il est incontestable que, lorsqu’il a pris la direction de la Suisse pour son séjour privé, avant de revenir précipitamment, faisant de ce séjour privé le plus court de la magistrature de Paul Biya, le président de la république camerounaise avait déjà déchanté sur une éventuelle invitation de son homologue français, derrière laquelle il court depuis sa réélection, le 9 octobre 2011. Une sorte d’adoubement. On se souvient qu’il avait regagné le pays récemment pour préparer le sommet de la francophonie en Rd Congo afin rencontrer le tombeur de Nicolas Sarkozy.
Malheureusement, le séjour en terre de la Rd Congo n’avait pas été fructueux. Il a fallu que le groupement patronal français, le Mindef vole à son secours pour que François Hollande consente à le recevoir. Si le président Français va en profiter pour remettre en scelle les entreprises françaises dans la réalisation des grands chantiers d’investissement où la Chine a gagné du terrain avec le rapport qualité-prix ; il n’en demeure pas moins vrai que le chapelet de récriminations à l’égard de Paul Biya, qui est porté sur la table de François Hollande n’est pas à en faire un interlocuteur de choix. Le Chef de l’Etat camerounais en a conscience, et que son défi est de renverser la tendance. Une équation pas du tout facile. Lorsqu’on se souvient ce qu’il a dit aux manifestants camerounais de la diaspora le 21 juillet 2009 sur la place Herriot, s’agissant de la situation camerounaise. A l’occasion, il était allé s’enquérir des revendications des manifestants.
Ce qui fat dire à certains observateurs qu’il n’est pas exclu que Paul Biya soit allé donner les gages de son imminent départ et certainement comment il entend y parvenir. Mais aussi rusé que le chef de l’Etat camerounais, comme le disent les services de renseignements des missions diplomatiques, on sait que, pour Paul Biya, cette visite, lui sert d’esbroufe. Cela lui permet de soigner son image aux yeux des Camerounais qui le disaient vomi par les puissances occidentales pour se conforter durablement au pouvoir. Il est de notoriété publique que c’est lui qui avait poussé l’ancien président Laurent Gbagbo, alors Président de la République de Côte d’Ivoire en pleine turbulence politique à ne pas respecter les résolutions de Marcoussis. En le conseillant de faire le voyage de la France pour les négociations afin de montrer aux yeux de l’opinion nationale et internationale qu’il était partisan d’une solution négociée et que de retour dans son pays, il pouvait alors n’en faire qu’à sa tête.
C’est dire que, outre ce que François Hollande va gagner au change sur le plan économique, il sait que les engagements que lui donnera Paul Biya ne seront que de la poudre aux yeux. Ce qui justifie qu’on annonce son audience comme l’une des plus courtes de tous les présidents africains, reçu à l’Elysée. Pris qui croyait prendre ?