France - Cameroun : Odile Biyidi , «Les actes de Sarkozy en déphasage avec ses discours »
France - Cameroun : Odile Biyidi , «Les actes de Sarkozy en déphasage avec ses discours »
La veuve de Mongo Beti, présidente de « Survie »- Organisation non gouvernementale farouchement opposée aux rapports mafieux entre la France et l’Afrique- revient sur la polémique en rapport avec le défilé des armées africaines à Paris, le 14 juillet dernier.
Votre association a engagé des actions pour dénoncer la participation des armées africaines au défilé du 14 juillet 2010. Quels ont été les fondements de votre démarche? Quelle résonance croyez-vous qu’elle ait pu avoir?
Nous dénonçons régulièrement la présence de chefs d’Etat qui ne sont au pouvoir que par des élections douteuses. Ces dictateurs de fait sont défendus par leurs armées contre leur peuple. Certaines armées nationales se sont livrées à des crimes et des exactions contre les populations qu’elles devraient protéger et servir. Il était bon de rappeler la réalité des répressions qui sont menées en Afrique contre les mouvements populaires et contre les oppositions, événements qui sont régulièrement passés sous silence dans la presse française qui ne s’intéresse aux revendications populaires qu’en Ukraine ou au Tibet.
Ces actions s’inscrivent dans une démarche plus globale de remise en question de la célébration des cinquantenaires des indépendances des pays africains qui ont été des colonies françaises. Vous condamnez la permanence de la “Françafrique”...Pourquoi?
Notre action était aussi pour contester le fait que le cinquantenaire des indépendances des anciennes colonies soit fêté en France, alors que c’était aux peuples africains de le faire, s’ils en avaient envie, chez eux. D’ailleurs dans la presse libre de certains pays, Sénégal, Bénin etc. il y a eu de nombreuses critiques de cette réunion, convoquée par l’ancien colonisateur.
Quelles sont les lignes de perpétuation de ces relations réputées mafieuses entre la France et l’Afrique?
Les liens de sujétion sont perpétués dans la monnaie, dans la formation et l’équipement militaires et dans l’exploitation privilégiée des ressources naturelles. De plus on voit des personnages qui ne sont pas en charge de la politique de la France, comme MM Bourgi, Rocard, Juppé etc. se poser en interlocuteurs officieux de gouvernements africains qui n’ont pas besoin d’eux pour mener leur politique.
Votre discours est en total déphasage avec celui de M. Nicolas Sarkozy, qui avait annoncé une rupture” avec ces réseaux, et qui a réitéré cette position le 13 juillet, à la faveur d’un déjeuner à l’Elysée avec des Chefs d’Etat Africains. Le président Français s’était-il prononcé trop tôt?
Ce sont les actes du président Sarkozy qui sont en déphasage avec ses discours. Ce qu’a exprimé parfaitement l’ambassadeur J-C Ruffin après qu’on a mis fin à sa fonction. La politique africaine de la France n’est pas traitée par l’intermédiaire du Ministère des Affaires Etrangères mais par des “conseillers” de l’Elysée.
Quels facteurs n’ont pas permis une rupture effective d’avec les pratiques de la “Françafrique”?
La France, depuis les Indépendances en 1960, n’a cessé de contrôler les régimes mis en place sous son patronage. Cette politique de défense des intérêts de la France a été acceptée par une classe politique africaine désireuse de jouir des privilèges du pouvoir et non de défendre les intérêts de leurs peuples. Le résultat est le retard considérable de développement qui a été pris par ces mêmes pays, qui sont à la traîne par rapport à des pays équivalents.
Faut-il finalement désespérer de la fin de la “Françafrique”?
Non. Le mouvement de l’histoire est inéluctable et les peuples vont vers leur émancipation, qu’on peut seulement immobiliser et retarder. On ne peut pas durablement s’opposer aux aspirations du plus grand nombre. Pour finir je veux saluer la grande figure de défense de la liberté qu’a été Pius Njawe, dont la tragique disparition nous a plongés dans la stupeur et le chagrin. Qu’il soit un modèle à suivre pour les jeunes générations.