FOUS DE POUVOIR
EDITORIAL
FOUS DE POUVOIR
par K. Selim
Laurent Gbagbo élu ! C'est ce que de manière grotesque a décidé un Conseil constitutionnel aux ordres en Côte d'Ivoire. Lequel Conseil constitutionnel a commencé par dénier à la Commission électorale indépendante (CEI) toute compétence pour se prononcer sur les résultats.
Le président de cette CEI a
pourtant fait preuve de courage en annonçant la victoire d'Alassane Ouattara. Il
devra sans doute s'exiler, tant les incitations à la haine et à la guerre
orchestrées par le clan de Gbagbo ont pris de l'ampleur sous le regard
choqué mais encore impuissant de la communauté internationale.
La victoire de Ouattara à
l'issue d'un scrutin jugé correct et crédible est en train de faire l'objet d'un
hold-up. Son succès ne constitue pas une surprise. Le système
Gbagbo avait atteint ses limites. Personne ne croyait non plus que
Gbagbo et son clan allaient se soumettre «sportivement» au résultat des urnes.
Quelques-uns espéraient néanmoins que la pression internationale allait
contraindre le perdant à faire preuve d'un minimum de pudeur. Il n'en a
rien été.
Le fait que le Conseil
constitutionnel proclame la victoire du candidat vaincu est un acte de
défiance au droit. L'équipe Gbagbo a déjà plongé le pays dans la guerre
civile en suscitant une rébellion au Nord. Elle est en train de rééditer le
coup. En proclamant la victoire de Gbagbo, ce Conseil constitutionnel met la
Côte d'Ivoire dans la logique du pire.
Les conditions du putsch
ont été mises en place : fermeture des frontières, couvre-feu, interdiction
de diffusion des médias internationaux. Certains s'attendent au pire : les
escadrons de la mort sont déjà réactivés sur fond d'odieuse excitation des
foules sur des bases ethnico-religieuses. C'est devenu un usage chez les
tenants du pouvoir en Afrique : s'accrocher au pouvoir en usant d'arguties et
surtout par le recours à des capacités de nuisance violentes.
Comment va réagir l'Union
africaine à ce nouveau déni d'alternance ? L'organisation, qui a décidé
de ne pas reconnaître les gouvernements issus de coups d'Etat, a accepté ces
dernières années des accommodements avec le principe, qui ont donné des idées
aux putschistes. Au Kenya et au Zimbabwe, des crises ont été provoquées par les
maîtres du pouvoir pour refuser la sanction des urnes et contraindre les
vainqueurs à constituer des gouvernements d'union vides de sens. Ailleurs, on fait un coup d'Etat
en bonne et due forme, on fait le dos rond devant des condamnations verbales,
tout en préparant des élections pour légaliser le putsch avec l'aval de l'Union
africaine.
…
En Côte d'Ivoire, l'Union
africaine ne risque pas seulement d'être en porte-à-faux avec le principe du
rejet des coups d'Etat. Elle risque de faillir à sa mission fondamentale de
prévention des crises et des conflits. Si l'UA et l'ONU ne signifient pas sans
ambages à Laurent Gbagbo et à son clan qu'ils viennent de commettre un coup
d'Etat et qu'ils sont pénalement comptables des dérapages provoqués par leur
obstruction à l'alternance pacifique des urnes, elles seront responsables de
passivité, voire de complicité dans le conflit qui s'amorce.
Personne ne pourra comprendre
qu'on laisse des fous du pouvoir piétiner impunément le droit et se
soustraire à l'engagement de respecter le résultat des urnes.
Le Quotidien d’Oran, Algérie, édition du 4 décembre 2010