Financement des médias : Comment Paul Biya finance la presse étrangère
Mutations 06-12-2010
Alors que des broutilles sont distribuées à l’ensemble de la communication au Cameroun, des milliards engraissent des journaux anodins en Europe.
Christine Duclos a depuis quelques années ses entrées au palais d’Etoudi. Cette étincelante commerciale, auréolée pompeusement du titre de Directrice centrale, pointe à Difcom, l’ «Agence internationale pour la diffusion de la communication», un des démembrements du groupe de presse «Jeune Afrique» que préside Béchir Ben Yahmed. Quand son collègue François Soudan, le Directeur de la rédaction de «Jeune Afrique» passe dans un pays, il ouvre les portes des présidences des républiques de ses articles à la tonalité particulière, et Christiane Duclos peut aller quelques temps après, signer avec les plus hautes autorités des contrats «pour veiller sur l’image» du chef de l’Etat au niveau international.
En mi novembre dernier, Christine Duclos était lasse d’emprunter les
ascenseurs des Services du Premier ministre Philémon Yang où personne ne
semblait disposer à s’intéresser à son charme et à écouter ses
doléances ; elle décide de frapper plus haut, à Etoudi où ses contacts
sont intacts. La collaboratrice de Ben Yahmed cherchait des pressions au
sommet fin d’obtenir pour le compte de «Jeune Afrique», le paiement
d’une facture de 650 millions de francs Cfa. Cette somme, reconductible
chaque année depuis quatre ans, est versée au groupe de Béchir Ben
Yahmed. En contre partie, la rédaction de «J.A» produit des articles
«honnêtes pour informer l’opinion internationale sur les efforts que
fourni le Cameroun pour s’arrimer à la modernité et pour le bien être
des Camerounais», pour reprendre l’expression d’un conseiller à la
présidence de la République.
Pour le contrat en cours, dans sa
livraison du 16 au 22 mai, «J.A» a consacré 9 pages au Cameroun. Ce
spécial Cameroun pour les 50 ans d’indépendance du pays, trois détentes
ont été rédigées : «Paul Biya de A à Z», «Que reste t-il d’Ahidjo» et
«paroles des Camerounais». La précédente livraison consacrée à
l’Opération Epervier, faisait du chef de l’Etat tout simplement «Mr
Propre».
Le problème
Jusque là, tout baignait dans une
huile douce entre «J.A» et le gouvernement camerounais quand, dans la
version en ligne du journal panafricain du 27 juillet 2010, le
journaliste Georges Dougueli, tout en utilisant des euphémismes, accuse
le Premier ministre, Philémon Yang, «d’inertie et d’immobilisme»,
notamment dans les dossiers de la nouvelle compagnie aérienne qui tarde à
décoller, ou encore le projet de la centrale hydroélectrique de Lom
Pangar qui ne semble pas fonctionner au rythme attendu. Jules Doret
Ndongo, le secrétaire général des Services du Pm est considéré tout
bonnement comme un «produit de Jean Marie Atangana Mebara, ancien
Sg/pr actuellement incarcéré à la prison de Kondengui».
«Le Comice
agropastoral d’Ebolowa ne fait pas mieux, devenant, avant même d’avoir
eu lieu, la fête agricole la plus chère de l’histoire du Cameroun
indépendant. Annoncé par le président lors de son discours du 31
décembre dernier, le Comice aura bien du mal à se tenir avant la fin de
2010, comme cela était prévu». Pour le «J.A», là encore, le Premier
ministre ne semble pas avoir fait montre d’une brillance qu’on serait en
droit d’attendre de lui. Toutes ces attaques sont considérées à
l’immeuble Etoile comme «inamicales» pour un gouvernement qui verse
chaque année 650 millions de francs à un journal pour entretenir son
image. Conséquence, sauf meilleur avis de la haute hiérarchie, personne
là-bas n’est disposé à remettre le chèque à Christine Duclos.
«J.A» n’est pas seule dans la presse étrangère à bénéficier des
largesses de la présidence de la République en direction de la presse
étrangère surtout. Chaque fois que les stratèges de la communication
présidentielle estiment que le chef de l’Etat doit communiquer, les
médias étrangers sont retenus dans le casting. Ils sont souvent des plus
inconnus, des plus insignifiants qui, au lieu de porter l’image aux
cimes, contribuent à la baisser. Que peut représenter pour une
personnalité influente dans des milieux sélectes, des titres comme «La
Baule+», «L’Essentiel» ou encore «Les Afriques» ? C’est curieusement
dans ces publications sans audience, sans classe, sans référence que le
président Biya choisi pour passer ses messages et se faire présent dans
les milieux internationaux qui comptent.
En matière d’aide à la
presse, le Cameroun est parmi les derniers pays africains qui donnent un
coup de pouce à son développement. Les publi-reportages que le Cameroun
paie à l’extérieur à coup de milliards par an, sont pourtant des modes
de financements que certains pays retiennent pour la promotion de leurs
médias. En matière d’aide directe à la presse, le Libéria accorde chaque
année 1,5 milliard çà sa presse, le Gabon 1 milliard de francs Cfa, le
Maroc près de 4 milliards et le Cameroun… 150 millions de francs Cfa.
Sans commentaire.
Xavier Messè