Fin des Accords de Greentree: Le Cameroun peut-il exercer sa souveraineté sur Bakassi ?

DOUALA - 14 AOUT 2013
© Rodrigue N. TONGUE | Le Messager

Alors qu’intervient, ce 14 août 2013, la fin de la période transitoire permettant l’exécution de l’arrêt de la Cour internationale de justice (Cij), l’opinion publique se demande si enfin le Cameroun a les moyens d’exercer la plénitude de sa souveraineté sur la péninsule de Bakassi, onze ans après la décision de la justice internationale. Enquête.



Archives: Bakassi Hand Over
Photo: © AFP


Alors qu’intervient, ce 14 août 2013, la fin de la période transitoire permettant l’exécution de l’arrêt de la Cour internationale de justice (Cij), l’opinion publique se demande si enfin le Cameroun a les moyens d’exercer la plénitude de sa souveraineté sur la péninsule de Bakassi, onze ans après la décision de la justice internationale. Enquête.

Le 10 octobre 2002, la nouvelle a été accueillie avec enthousiasme par les Camerounais. Bakassi est bel et bien camerounaise. La Cij venait ainsi de trancher au bout d’une procédure judiciaire de 8 ans, en faveur du pays de Douala Manga Bell au détriment du géant voisin nigérian qui lui dispute depuis 1981, la souveraineté de cette péninsule située dans le golfe de Bonny. Le gouvernement peut enfin souffler. La presse nationale salue en chœur une décision juste de la justice internationale.

Mais passée les effets d’annonce, il faut traduire dans les faits la décision rendue à La Haye. Ce n’est pas une gageure. Puisque, dès le début du 20e siècle achevé et plus encore avec la fin de la guerre du Biafra, de nombreux ressortissants nigérians se sont installés dans la presqu’île, et nonobstant cet enracinement parfois séculaire, brandissent la nationalité de ce pays voisin. La gestion politique de l’application d’une décision judiciaire s’impose donc aux trois parties en situation (les gouvernements camerounais et nigérian et le secrétariat général des Nations-Unies). Car au nom des droits des peuples à s’autodéterminer, la communauté internationale doit pouvoir éviter un nouveau conflit.

Aussi, le 14 août 2006, est signé l’Accord de Greentree qui régit le transfert de l'autorité du Nigeria au Cameroun sur la péninsule de Bakassi, en application du jugement rendu par la Cour internationale de justice (2002) mais aussi la délimitation intégrale de la frontière entre les deux pays. Le transfert d’autorité a eu lieu en 2008 et est assorti d’une période transitoire de cinq ans allant jusqu’à ce jour, 14 août 2013. Plus prosaïquement, dès ce soir à minuit, Bakassi déclarée camerounaise depuis octobre 2002 est soumise à la souveraineté camerounaise.

L’Etat y aura droit de lever les impôts conformément aux lois en vigueur, de même qu’il a droit d’appliquer à tous les habitants de cette partie de son territoire ses lois et règlements sans tenir compte de l’avis de l’Etat nigérian. Bref, accéder à l’exercice exclusif et solitaire des compétences étatiques sur la zone de Bakassi. Seulement, pour y prétendre, le pays de Paul Biya devait s’atteler à la bonne exécution du by Savings Wave">programme d’assistance socio-économique aux populations affectées par le transfert. En d’autres termes, de promouvoir des projets d’infrastructures et de développement socio-économique qui permettent d’améliorer les conditions de vie et les relations entre les populations dans la péninsule de Bakassi et tout au long de la frontière entre les deux pays.


Sécurité alimentaire

A Genève, le 28 mars 2013, s’est tenue la vingt-et-unième session de la Commission de suivi de la mise en œuvre de l’Accord de Greentree relatif à la péninsule de Bakassi. Ladite by Savings Wave">rencontre a connu la participation des délégations du Nigeria et du Cameroun conduites respectivement par le ministre fédéral de la Justice Mohammed Bello Adoke et le ministre délégué aux Relations extérieures Joseph Dion Ngute, ainsi que des représentants des États témoins de la signature de l’accord, l’Allemagne, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni. Dans la veine des autres rencontres de même nature, la commission de suivi a établi que les programmes sont en cours d’évaluation et seront mis en place de manière coordonnée par les « Equipes Pays » des Nations Unies au Cameroun et au Nigeria. Au terme de la 31e session des travaux tenue en avril 2013, le représentant du Nigeria déclarait à la fin des travaux que son pays « souhaite que les efforts apportent aux populations, avec le soutien des Nations Unies, une meilleure sécurité alimentaire, un accès à une eau potable de qualité, à l’éducation et l’énergie dans la perspective d’une meilleure intégration »

L’une des questions centrales du transfert de souveraineté réside donc dans la mise en place des infrastructures de développement locale à Bakassi. En tout cas, le Nigeria y tient comme à la prunelle de ses yeux. Conscient de cela, le Cameroun a songé à un comité de coordination et de suivi des projets prioritaires à réaliser dans la zone de Bakassi, crée par le Premier ministre le 27 août 2007, ayant pour objectif de promouvoir l’implantation des services publics, d’élaborer et de soumettre à l’approbation du gouvernement un programme pour l’aménagement et le développement de Bakassi et constituer une banque de données de projets de développement.


Création des écoles

En ce qui concerne le ministère de l’Energie et de l’eau, l’on peut relever avec Raoul Sumo, historien, analyste politique, chercheur au Centre de recherches d’études politiques et stratégiques, le projet d’électrification des localités frontalières dont 17 dans le Sud-ouest : Idenau, Debunscha, Njonji, Mbonjo, Bibundi, Mkpot, Bakwelle, Ebinsi, Ayukoba, Mbakem, Akwen, Ndebaya, Eyumojock, Nsanaragiti II, Ekok, Otu et Ekang.

Pour le ministère de l’Education de base, l’on peut noter la création de nouvelles écoles et la réhabilitation de celles existantes. Des mesures ont également été prises pour le transport des enseignants vers les zones enclavées (pirogues rapides d’une contenance de vingt personnes chacune, équipement de sauvetage) et des inspecteurs d’arrondissement du Minedub ont été nommés, signale-t-on au sein de ce département ministériel. Tout comme on peut noter enfin la dotation des écoles en crédits de fonctionnement et paquet minimum et la construction, avec l’aide du Mindef, de nouvelles salles de classe.

Pour ce qui est de la Sûreté nationale, le Cameroun revendique la création de deux unités de sécurité publique (Akwa et Ngosso), de quatre unités des renseignements généraux (Akwa, Insangele, Idabato et Barrack) et de six unités de la police des frontières (Jabane, Akwa, Barrak, Boungou et Djangassa) pour renforcer les capacités sécuritaires du Cameroun dans cette zone.

En ce qui concerne les infrastructures, au-delà des bâtiments administratifs, et des logements, des débarcadères ont été réalisés dans la zone. Le ministère des Affaires sociales a, selon Raoul Suno, distribué des tricycles, des chaises, des radios, des cannes blanches, des aliments et de l’argent liquide à des nécessiteux pour lutter contre l’exclusion sociale. Mais ces réalisations du gouvernement, n’ont pas mis la péninsule à l’abri de l’insécurité, l’érosion ou la contrebande.

Rodrigue TONGUE



Focal: La menace qui vient de Bakassi les freedom figthers

Autre question qui peut remettre en cause l’accession de la pleine souveraineté du Cameroun sur Bakassi dès demain. L’insécurité, est entretenue par des bandes armées qui, officiellement, ne contestent pas la « camerounité » de Bakassi, mais souhaitent, d’après le ministère camerounais en charge de l’Administration du territoire que le gouvernement vienne discuter avec elles de l’amélioration des conditions de vie des populations de Bakassi. Mais de par leur mode opératoire, il se trouve que les Bakassi freedom figthers (Bff) par exemple sont un groupe de trafiquants et de bandits qui se sont servis du conflit entre les deux pays pour tirer des prébendes. La commission de suivi de la mise en œuvre de l’Accord de Greentree relatif à la Péninsule de Bakassi intègre par ailleurs ces aspects et recommande une riposte concertée des deux pays.

En outre, on ne peut éluder les objections des faucons de l’administration nigériane qui, depuis un an affichent le vœu de faire pression sur le président Goodluck Jonathan dans le but d’obtenir de lui l’initiative d’un recours en révision de l’arrêt du 10 octobre 2002 de la Cij. Ces faucons agitent la menace des élites du Delta du Niger qui disent redouter une guerre civile au-delà du 14 avril 2013. Mais sur le plan purement juridique, ce recours n’a aucune chance de prospérer. Ce dont le chef d’Etat nigérian s’est rendu compte et donc opte pour l’application de l’arrêt.

En gros, de façon formelle, rien n’empêche, la pleine souveraineté du Cameroun sur la péninsule de Bakassi. Les seuls heurts pourraient venir des circuits informels tels que la piraterie ou les frustrations des ressortissants nigérians implantés à Bakassi qui ont du mal à se soumettre à l’autorité de l’administration camerounais. Le Cameroun accèdera donc de droit à la souveraineté totale, mais de fait devra faire preuve de diplomatie, de tact et d’avant-garde sécuritaire pour administrer la localité et exploiter avec quiétude, toutes les richesses des eaux du sol et du sous-sol de Bakassi.

Rodrigue N. TONGUE

Quelques repères du conflit frontalier Cameroun-Nigeria

- Création du royaume de Bakassi vers 1450 par les Effik qui l’incorporèrent plus tard dans le Old Calabar Kingdom.

- Signature de l’accord germano-britanique du 11 mars 1913 portant délimitation de la frontière entre le Cameroun et le Nigeria de Yola à la mer détermine la frontière terrestre entre la Cameroun et le Nigeria au niveau de la péninsule de Bakassi.

- Déportation en 1915, de 8 100 Batanga (des pêcheurs essentiellement) par les Allemands dans la zone actuelle du Cameroun anglophone dont Bakassi

- Référendum du 1er octobre 1961 qui conforte l’appartenance de la
presqu’île au Cameroun.

- Signature de l'Accord de Maroua de 1975 entre Ahidjo et Gowon.

- Premiers raids nigérians en 1981

- En 1994, après l'occupation de certains villages par l'armée nigériane, le Cameroun saisit la Cour internationale de justice (CIJ).

- L’engagement de Saint-Cloud, le 05 septembre 2002 du Cameroun et du Nigeria de se plier à l’Arrêt de la Cij.

- Arrêt du 10 octobre 2002 favorable au Cameroun.

- Contestation de l’arrêt de la Cij par la classe politique nigériane dès le 23 octobre 2002.

- Signature de l’Accord de Greentree, le 14 août 2006. Cet accord scelle la rétrocession par le gouvernement fédéral nigérian.

- Le 22 novembre 2007, le Sénat nigérian déclare cette cession illégale et le 31 juillet 2008

- Début du processus de transfert d’autorité au Cameroun le 14 août 2008

Fin du régime spécial transitoire le 14 août 2013




14/08/2013
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