Fin de règne - Transition: le totem Paul Biya menacé par le temps
A travers le monde, et particulièrement au Sud, les tenanciers du pouvoir semblent s’incarner dans les effigies. Symboles fragilisés aujourd’hui.
Le 9 avril 2003, dès que l’armée américaine entre à Bagdad, l’une des premières cibles est de déboulonner la grande statue à la gloire de Saddam Hussein qui trône au cœur de la cité. Ce jour-là symbolise au sein de l’opinion la chute du pouvoir bassiste même si le Raïs était toujours en fuite.
Les Américains, en écroulant la statue qui semait à la fois au sein de la population irakienne, tant de respect, de vénération ou de frayeur- c’est selon- savaient pertinemment que par cet acte, ils venaient de réduire à néant le pouvoir d’un homme. Juste une statue qui s’écroule et comme un totem, le pouvoir de Saddam Hussein est désormais comme un serpent dont la tête coupée, frétille dans le désespoir de la mort, de 1a fin.
Laurent Gbagbo, alors grand opposant au pouvoir du père de la Nation ivoirienne, aimait à rappeler à l’envie, qu’une fois arrivé dans un pays, les photos du chef de l’État accrochées partout à l’aéroport 1e convainquaient définitivement qu’il était dans un pays de dictature. Quand il vint au pouvoir, nul ne sut ni comment, ni quand, sa photo vint à écumer les lieux publics.
Ce fait, à coup sûr l’avait-il constaté, ne dépendait pas de sa seule personne ou de sa volonté. Il avait, par le fait d’être le chef de l’État de Côte d’ivoire, atteint une dimension des dieux, dont beaucoup vénèrent pieusement ou prêchent d’autres âmes à le vénérer. A l’Université de Yaoundé, dans les années 1990.
Une horde d’étudiants piquée par le venin des revendications entre dans 1e bureau du Chancelier, le patron de l’institution. Elle est venue lui dire son intention de battre le pavé le lendemain. L’homme se retourna, pointant du doigt la photo du président Paul Biya au mur, tâcha sans état d’âme.« Vous voyez cet homme? Il est mon dieu! Allez, demain, ne marchez pas mais il faut courir! ».
Les étudiants sortirent de son bureau désemparés. Si ceci n’est pas clair, il faut considérer comment les ministres et autres cadres de l’administration veillent précautionneusement à ce que l’effigie du président de la République soit dans le viseur de ta caméra lorsqu’ils communiquent. C’est de rigueur. Nos chefs d’État ne se dissocient pas de leurs effigies. S’en attaquer, c’est attenter directement au pouvoir du souverain. Ainsi en va-t-il dans nombre de nos démocraties en Afrique.
Profanation
Mobutu Sesse Seko Kuku Ngbendu Wa Za Banga, félicita en son temps, son ministre de l’Information tout simplement parce qu’il avait monté un spot publicitaire qui montrait le numéro un zaïrois venant du ciel dans les nuages. Une savante façon de distiller dans la conscience des Zaïrois de l’époque que ce dernier tenait son pouvoir de Dieu ou traduisait en quelque sorte son immortalité.
Il ne demeure pas pour autant moins vrai que lorsque Kabila et ses rebelles entreront à Kinshasa, la profanation de ses effigies va se faire allègrement, gagnant tout le pays, en partant de la capitale jusqu’à Gbadolite, sa ville natale. Aujourd’hui, il ne reste plus rien, toute la splendeur de Mobutu, dans les symboles de sa puissance, ont été vandalisés, profanés à jamais.
On comprend de là que l’image présidentielle, lorsque le pouvoir arrive à son terme, subit les assauts les plus insoupçonnés. Les effigies présidentielles sont de ce fait traitées en fonction des circonstances de dévolution du pouvoir.
Au Tchad, la brutalité de passation entre Hissène Habré et Idriss Deby Itno, explique pourquoi les effigies du sortant seront jetées aux flammes. Il en va de même de la difficile passation du pouvoir ente Lissouba et Sassou au Congo Brazzaville. La violence avec laquelle le nouveau pouvoir se défit des effigies du pouvoir sortant était sans commune mesure.
Curiosités des transitions paisibles
Au Gabon, alors qu’Omar Bongo Ondimba est décédé en Espagne et que l’intérim est assuré par Rose Francine Rogombé qui présidait le Sénat en 2009, les photos et images du président défunt continueront de trôner au sein des édifices publics comme si Omar Bongo était encore vivant.
Même avec l’arrivée d’Ali Bongo au pouvoir, il y eut des caciques du régime qui ont continué de garder bien accrochée au mur la photo du père fondateur du Parti démocratique gabonais (Pdg).
Cette situation, même si elle ne semblait pas embarrasser Ali Bongo en personne, va visiblement effaroucher ses proches collaborateurs qui avaient hâte de le voir être le seul maître à bord de la barque Gabon. Cela vint très vite quand ce dernier annonça en mondovision que les amis de son père ne sont pas forcément ses amis.
Tout y était dit. Au Cameroun, la passation voulue pacifique entre Ahmadou Ahidjo et Paul Biya se révéla très tôt complexe. L’opinion voyait et comprenait très vite que le nouvel homme fort était handicapé manifestement dans le plein exercice du pouvoir.
L’image de l’illustre prédécesseur tant choyée prit un coup. Ceci alla tant et si bien que le nom de baptême de ce dernier fut banni des enceintes publiques à l’exemple du stade omnisport de Yaoundé.
Il n’est plus besoin de rappeler qu’avec l’animosité entretenue avec son pic en 1984 qui se solda par un coup d’État avorté, l’image d’Amadou Ahidjo tomba en disgrâce. C’est le lieu d’avouer que les images, les effigies des hommes de pouvoir ont de tout temps été toujours préservées comme si le pouvoir était ancré dans ces symboles, comme si ces symboles étaient le totem du pouvoir.
Bien plus, les pouvoirs qui durent longtemps se sont toujours affirmés par un savant dosage de rajeunissement à dose homéopathique des images présidentielles.
On se souviendra des débats oiseux sur les images de Paul Biya sur les réseaux sociaux, donné pour mort. Annoncé avoir rejoint ses ancêtres par la rumeur, une fois de plus ou de trop, tous les phantasmes les plus saugrenus ont affublé ses photos, propageant l’intoxication au sein de l’opinion.
Il est un fait indéniable, aujourd’hui, encore plus à 1ère des réseaux sociaux, il est important de trouver d’autres moyens pour préserver les totems présidentiels des griffes de Photoshop et autres logiciels de manipulation d’images. Sur ce, des gardes des palais devraient s’équiper pour être à la hauteur face à cette nouvelle menace.