FERMETURE DES ÉGLISES DE RÉVEIL : LA TENTATIVE D’EXORCISME MANQUE DE ISSA TCHIROMA :: CAMEROON

Cameroun - Fermeture des églises de réveil : la tentative d’exorcisme manque de Issa TchiromaLe vendredi 23 aout, le ministre de la communication du Cameroun a tenu un point presse dans les locaux de son département ministériel. L’objet de ce point presse étant de justifier auprès des médias nationaux et internationaux la décision prise par le président de fermer 33 églises de réveil principalement dans les villes de Bamenda, Douala et Yaoundé.

Dans une chronique parue dans divers médias internet, j’interrogeais le caractère légal et constitutionnel d’une décision dont jusqu’aujourd’hui personne n’a vu la teneur. S’agit-il d’un décret, d’un ordre porté ? Jusqu’aujourd’hui, on continue à attribuer au chef de l’Etat une décision qui pour être invisible est inattaquable devant les juridictions de recours. Nul ne connait, pour ainsi dire, la contexture d’une décision qui divise. Sans pouvoir brandir laqite décision, le ministre s’est tout de même employé à répondre au procès en illégalité et inconstitutionnalité qui lui était faite. La réponse du ministre soulève cependant plus de questions qu’elle n’en résout au regard des arguments avancés pour justifier la décision prise. La séance d’exorcisme du ministre de la communication a-t-elle été couronnée de succès ? Retour sur les arguments du ministre et leurs points aveugles.

Les arguments plaidant en faveur de la fermeture des églises

Deux grands arguments justifient la décision de fermer les églises de réveil au Cameroun.
Pour le ministre de la communication, les églises bien que fonctionnant sous le régime de la déclaration préalable auraient bénéficié de la tolérance administrative. Elles se trouveraient ainsi en situation illégale. L’Etat serait donc fondé de fermer ces congrégations au motif de défaut d’existence légale.

Le second argument tiendrait au non respect de l’ordre public qui englobe pour le ministre : « la sécurité, la sûreté, la salubrité, et désormais la moralité publique». 
Le ministre souligne ainsi que « des cas patents d'extorsion de fonds à des personnes en situation de désespoir, donc des cas d'abus de faiblesse, des nuisances sonores et des tapages diurnes et nocturnes à répétition, d'atteintes à la pudeur publique et privée, de déstabilisation de la structure familiale par des manœuvres de diabolisation des instances parentales, de prosélytisme, et même de plus en plus, d'activités ou de préparatifs dangereux par la mise en péril de vies humaines pouvant aller jusqu'à la mort dans certains cas ».
Dès lors, le gouvernement était légitime à intervenir pour sauvegarder l’ordre public mis en péril. Ces arguments sont-ils légitimes et peuvent-ils permettre de justifier aux yeux de l’opinion publique nationale et internationale une violation manifeste des dispositions constitutionnelles liée à la liberté de culte et de conscience ?
La tolérance administrative : une notion inappropriée pour apprécier la situation des églises de réveil

En rappelant que les églises de réveil ont fonctionné dans une bienveillance nommée « tolérance administrative », le ministre veut certainement montrer qu’il n’a jamais été dans l’intention du gouvernement d’interdire le libre exercice du culte par tous les camerounais. La notion de tolérance administrative est-elle appropriée dans le cas présent ? 
Parler de tolérance administrative suppose que dans le cas d’une procédure d’autorisation, fut-elle préalable, comme celle à laquelle les églises sont assujetties, les autorités permettent à l’entité demandeuse de fonctionner alors qu’elle ne remplit pas toutes les exigences rendant possible son autorisation. Dans le cas des médias par exemple, il a été question de tolérance administrative parce que les dossiers déposés auprès de l’administration compétente étaient incomplets. Les cautions demandées n’étaient pas fournies par certains médias qui fonctionnaient tout de même. Peut-on en dire autant des églises de réveil ?

Dans le cas des églises dites de réveil, le ministre ne dit pas que certaines des églises n’auraient pas déposé de dossier auprès du MINATD, il ne dit pas que ces dossiers sont incomplets ou auraient été rejetés. Il précise tout de même, ce qui est un indice, que depuis 2009, aucune autorisation n’a été accordée. Il ajoute en outre que la procédure d’examen des dossiers est longue parce que le gouvernement est soucieux de la moralité des promoteurs desdites églises.  Ceci pourrait être interpréter comme une situation dans laquelle plusieurs des églises fermées attendent des autorisations qui ne sont pas délivrées malgré la complétude des dossiers. Autrement dit, l’inertie qui caractérise l’administration camerounaise est aujourd’hui une justification commode là où, le président de la république affirmait qu’elle est une gangrène pour notre administration. On a envi de dire à notre ministre que si l’administration prenait autant de temps pour vérifier la moralité des gestionnaires de la fortune publique qu’elle en prend pour la moralité des promoteurs des églises, nous n’aurions pas à ce jour un gouvernement entier à Kondengui

La répression est elle une sanction proportionnée aux troubles à l’ordre public ?

Au-delà du débat sur la délivrance des autorisations par l’Etat, qui vraisemblablement organise ici l’illégalité, se pose ici la question de la fermeture comme réponse appropriée aux troubles à l’ordre public.

La notion de trouble à l’ordre public est à ce point flou, qu’elle fait le lit de tous les arbitraires. L’Etat, peut ainsi en prendre prétexte pour réprimer des actions tout à fait légales. Il se crée par ailleurs des situations d’asymétrie dans lesquelles la même pratique commise par deux individus est qualifiée de trouble à l’ordre public dans un cas, et pas dans l’autre.

Le tapage nocturne et diurne, les abus de faiblesse les pratiques douteuses sont ainsi dans la bouche du ministre de la communication un trouble à l’ordre public. Le ministre avance même la notion de nuisance sonore.

Si la notion de le tapage nocturne et diurne est inscrite dans le code pénal, celle de nuisance sonore n’existe ni dans ce dernier, ni dans le code de l’environnement. Pour parler de nuisances sonores, il faut qu’un seuil de décibels soit défini au-delà duquel, en fonction du territoire, la nuisance peut être constatée. En dehors de l’existence d’un pareil seuil, la notion reste floue et difficilement appréciable.

D’autre part, s’il fallait s’attaquer aux nuisances sonores au Cameroun à coup d’interdictions, les deuils, les mariages, le cri du muezzin à 5 heure du matin devraient tous être interdits tout comme les processions catholiques dans les rues de nos villes, car ils gênent manifestement les citoyens qui ne sont pas concernés par ces manifestations. De plus, les deuils par leur occupation temporaire des rues dans les villes comme Douala ne seraient plus possible.

Ensuite, les abus de faiblesse, commis par des individus précis doivent être connus des tribunaux et sanctionnés conformément aux dispositions pénales en vigueur. Le gouvernement n’a donc pas à se substituer aux tribunaux lorsque certains délits sont connus par des individus.

Qu’il y ait des dérives individuelles, est un fait, que ces dérives conduisent à des sanctions collectives interroge la cohérence des décisions du gouvernement. Comment comprendre la volonté du gouvernement de sanctionner illégalement et au mépris de la constitution des collectifs alors que les dérives sont manifestement des actes isolés qui ne peuvent en aucun cas être endossés par toutes les communautés religieuses aujourd’hui interdites ?

Entre stratégie du bouc émissaire et populisme

Les églises de réveil sont aujourd’hui le bouc émissaire d’un Etat qui n’assume pas ses responsabilités. Les divorces, les abus de faiblesse, et même les décès de concitoyens sont tous le fait des promoteurs des églises. Il faut croire qu’avant ces églises, personne ne mourait, aucune famille n’était déchirée et les abus de faiblesse relevaient du sexe des anges. Il faut ajouter, qu’il n’est pas statistiquement démontré que les divorces, les déchirements familiaux, les abus de faiblesse et les décès dans les conditions douteuses ont augmenté depuis l’explosion de ces églises. Sur quoi se base donc le ministre ? Sur des anecdotes parues dans quelques organes de presse de la place et qui ne sont en rien représentatifs des pratiques ayant cours dans ces églises. Si ces églises prospèrent, c’est bien la preuve qu’au-delà de quelques dérives qu’il convient de juguler, elles ont une fonction sociale évidente.
Le gouvernement tente de s’exonèrer de toute responsabilité sur cette crise sécuritaire qui est à l’origine de la prolifération des églises. Crise qui est due à son incapacité à assurer la sécurité de ses citoyens tant sur le plan moral que physique. On soigne ainsi le symptôme en prenant soin de ne pas toucher au mal.

Le Cameroun a fait le choix de faire la chasse aux églises pentecôtistes. Ce faisant, il laisse prospérer une nouvelle religion qui a ses adeptes, ses grands prêtres et ses rites. Le populisme. Un des prophètes les plus en vus de cette nouvelle religion est Charles Ateba Eyene. Sa diarrhée verbale passe désormais pour de la sagesse proverbiale. Les évangiles selon Charles Ateba Eyene  sont devenus pour nos gouvernants, le livre de chevet pour certains, le bréviaire pour d’autres. Pour preuve, il a suffi qu’il s’insurge contre la prolifération des églises dans nos villes pour que le chef de l’Etat donne un ordre malheureux.

 « En matière de religion, disait Eric Tsimi sur Facebook, c’est la parole d’Ateba Eyené qui fait foi !»

© Correspondance de : RIFOE PATRICK


28/08/2013
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