Ferdinand-Léopold OYONO :Une vie de commis et d’ami
Ferdinand-Léopold OYONO :Une vie de commis et d’ami
Les médecins du Président se hâtent, entreprennent des gestes d’urgence, en vain. Ministres, diplomates et autres hauts fonctionnaires sont, compatissants mais impuissants, témoins du drame.
Il est treize heures cinquante, ce jeudi 10 juin 2010. Le déjeuner officiel offert par le président de la République et Mme BIYA à l’occasion de la première visite au Cameroun de M. Ban KI-MOON, Secrétaire Général des Nations Unies et Mme Ban Soon Taek, vient de s’achever. Le couple présidentiel prend congé de ses hôtes, remonte les marches et rentre dans l’ascenseur, pendant que le Protocole d’Etat conduit vers leurs véhicules les autres invités, pour la plupart éminents membres des grands corps de l’Etat. Tous ont à peine franchi l’immense entrée de ce qu’on appelle le «Champignon», imposant édifice principal du Palais.
Le tableau d’ensemble se laisse admirer, entre la magnifique haie fleurie, le piquet de la Garde qui décampe, et le ballet des rutilantes voitures qui font le tour de la fontaine. Les jets d’eau, activés comme d’habitude en pareille circonstance, ajoutent à l’enchantement général. Il fait beau.
C’est à ce moment là, sur cette scène qui témoigne de la vie dans sa splendeur, que le Ministre d’Etat Ferdinand-Léopold OYONO, Ambassadeur Itinérant, s’écroule. Tout le monde croit à un malaise passager. La réalité est plus radicale…
Ecrivain de renom, conteur hors paire, cet homme de haute stature n’aurait pas imaginé une trame d’un tel dénouement. Car, s’il s’est révélé tôt à la célébrité littéraire, M. OYONO se sera davantage construit une carrière exceptionnelle de grand commis de l’Etat. En la matière et dans le contexte actuel du cinquantenaire des indépendances africaines, ses états de service ont peu d’équivalent parmi les hommes publics camerounais.
Il a fait de bonnes études à l’heure où cela relevait d’un privilège, fréquentant les établissements de référence du Cameroun comme de la France : Lycée Général Leclerc de Yaoundé, Lycée de Provins puis l’Université de Paris-Panthéon et l’Ecole Nationale d’Administration (ENA, section diplomatique).
Quand le Cameroun accède à l’indépendance le 1er janvier 1960, Ferdinand-Léopold OYONO compte déjà parmi la poignée de jeunes nationaux véritablement outillés sur le plan intellectuel pour jouer les premiers rôles au service du tout nouvel Etat. Et, de fait, il se distingue très vite aux avant-postes : après un stage au Quai d’Orsay et à l’Ambassade de France en Italie en 1958, il est tout désigné pour être le premier Ambassadeur du Cameroun à Paris. Un an après, il est rappelé au Ministère des Affaires Etrangères à Yaoundé comme Jurisconsulte Chargé d’Etudes ; l’année suivante, déjà nanti du titre de Ministre Plénipotentiaire, il est Envoyé exceptionnel et Extraordinaire Chargé d’Affaires de la République du Cameroun auprès de la Communauté Economique Européenne (CEE) à Bruxelles.
Oiseau migrateur de la diplomatie
Cette année 1962 marque pour M OYONO le début d’un tour des missions diplomatiques. Au gré des affectations qui interviennent tous les trois ou cinq ans, il fait figure de véritable oiseau migrateur de la Diplomatie camerounaise. Un domaine feutré où il détient certainement le record et des postes stratégiques et de longévité : Ambassadeur à Monrovia au Liberia (1962-1965) ; à Bruxelles dans les pays du Benelux et auprès de la CEE (1965-1968) ; à Paris encore, mais avec cette seconde fois, une couverture plus étendue, intégrant l’Espagne, l’Italie, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie (1968-1974) ; à New-York comme Représentant permanent (1974-1982) ; à Alger en Algérie, avec pour la première fois résidence sur place (1982-1984) ; à Londres en Grande-Bretagne avec compétence dans les pays scandinaves (1984-1985)… Qui dit mieux ?
Après un quart de siècle ainsi passé à la tête des missions diplomatiques du Cameroun à travers le monde, Ferdinand-Léopold OYONO est rappelé définitivement à Yaoundé, auréolé en prime d’une promotion qui, aux yeux de l’opinion publique, le consacre comme un proche parmi les proches
du président de la République Paul BIYA. Car, en effet, depuis ce décret du 24 août 1985 où il est nommé Secrétaire Général de la Présidence de la République, il était l’un des visages permanents de l’entourage du Chef de l’Etat. Détenteur d’une charge officielle ou pas, au Palais, au village ou en voyage, il était très rare de ne pas voir sa stature toute de prestance et d’élégance dans la suite présidentielle. Sauf quand, ces trois dernières années, ses forces l’abandonnaient à vue d’œil. Et encore : en privé, rien, des habitudes entre les hommes, n’avait changé. Aux dires des témoins les mieux introduits, ils sont même restés tard la veille, ne se séparant qu’après minuit !
Mais, ne vous leurrez pas. De cette amitié aussi vieille que l’Indépendance, vous n’aurez que des anecdotes véhiculées par la rumeur. Le défunt de distinguée mémoire lui-même n’a jamais voulu évoquer le sujet, fidèle à une absolue discrétion digne par ailleurs du tempérament du Président. Malgré la confiance dont il était de notoriété publique investi et, probablement de ce fait, il était d’une prudence de Sioux quand il était amené, malgré lui, à parler de son rapport au Chef de l’Etat.
Je ne pourrais pas compter le nombre de fois que, prenant prétexte de rechercher quelque éclairage sur tel ou tel aspect de la vie publique nationale, j’ai essayé de faire glisser la conversation sur ce terrain. Invariablement, il m’a reçu avec cette exquise amabilité qu’il tenait sans doute de son long bail en diplomatie ; bien souvent, il me retenait des heures entières dont je me régalais avec gourmandise, tant le miel de sa culture tentaculaire était succulent ; une fois, et ce n’est qu’une illustration, il m’a « nourri », près de deux heures durant, de la vie des grands « Charles » de l’Histoire, de QUINT à DE GAULLE, en passant par BAUDELAIRE ; mais jamais, il ne s’est livré au-delà.
Occasions manquées
Notre ultime contact remonte au 16 mai 2010. Il m’avait donné un accord de principe pour un témoignage sur le sujet vedette du moment, les cinquantenaires de l’Indépendance et de la Réunification du Cameroun. J’étais plus que ravi de saisir enfin l’occasion de recueillir en exclusivité son fin mot sur une période et un champ qu’il connaissait de fond en comble.
En préparant notre interview que je voulais enregistrer le 18, je concevais naturellement que nous n’éluderions aucun point, pas même une perspective comparative des pouvoirs successifs des Présidents AHIDJO et BIYA qu’il a pratiqués à durée égale. Mais alors que le dispositif allait se mettre en place, nous apprenions que le Chef de l’Etat avait décidé de s’adresser à la Nation le même jour…
Ferdinand-Léopold OYONO s’en est donc allé comme une mine d’or qui se referme, nous privant de ses trésors de culture, d’expérience et de secrets. De lui, ne subsisteront pour le grand public, que ses œuvres à succès qui remontent à pas moins qu’aux années 60 et dont la plus populaire, «Le Vieux Nègre et la Médaille», a fini par identifier le personnage mieux que toutes les nombreuses et prestigieuses autres distinctions dues à sa brillante carrière de haut serviteur de son pays.
On ne saura peut-être jamais rien des derniers échanges entre le Président BIYA et celui qui passait pour le premier de ses confidents, pas plus que ce qu’ils se sont dit le 05 novembre 1982, au lendemain de la démission du Président AHIDJO et alors que le «successeur constitutionnel» mettait la dernière main à son discours d’investiture. Selon un témoin de premier plan, en effet, ces grandes heures d’émotion et d’exaltation qui ont ponctué la passation du pouvoir au Cameroun, les deux amis les ont passées ensemble, Ferdinand-Léopold OYONO étant, à en croire la même source, l’une des premières personnes que le nouveau Chef de l’Etat a informées de la tournure historique que prenait son destin, et qui, toutes affaires cessantes, a sauté dans le premier avion de Londres pour accourir à Yaoundé.
Seuls dominent aujourd’hui le regret des occasions manquées, le chagrin de la mort, et l’image symbole d’un pilier du système BIYA qui s’écroule sur le perron du Palais de l’Unité. Comme MOLIERE, sur scène. /
Charles NDONGO Directeur de l’Information TV à la CRTV
(C)Juin 2010