Fécafoot et FIFA : le Cameroun doit se suspendre lui-même pendant au moins deux ans

Thierry Amougou:Camer.beConvaincu que le branle-bas auquel on assiste au sommet de l’Etat ne résoudra aucun des maux majeurs qui minent le football camerounais, notre thèse pour sortir de l’ornière est simple : au lieu de chercher les voies et moyens de lever la suspension du Cameroun de toutes les compétitions internationales, le Cameroun doit prendre acte de ladite suspension et poser un acte de souveraineté internationale en s’auto-suspendant pendant au moins deux ans des compétitions internationales, question de prendre le temps nécessaire pour réorganiser en profondeur son football. La maladie dont souffre le football camerounais exige une thérapie de choc après un check-up général de tous ses paramètres footballistiques. Elle n’est pas un épiphénomène isolé dans un pays où la gestion des affaires publiques ressemble à de la téléréalité grandeur nature. Ce qui se passe au sein de la Fécafoot n’est malheureusement qu’un morceau choisi d’un ensemble de pratiques et de comportements qui méritent désormais une appellation contrôlée, tellement elles sont une seconde nature dans un Cameroun où, de façon réticulaire, la prospérité du vice gagne et gangrène toutes les artères névralgiques du pays. Dans une telle dynamique régressive, chercher du rafistolage en lieu et place des solutions durables aux maux et inconduites qui font couler le football camerounais est un choix naturel. Ne pas continuer dans cette lancée exige au moins des réponses aux questions suivantes :

Ne sommes-nous pas, en choisissant la bonne vieille négociation pour lever au plus vite la suspension des Lions, en train d’opter une fois de plus pour une solution de facilité comme remède superficiel aux problèmes majeurs causés par la médiocrité de notre gouvernance ? Est-il souhaitable que les Lions aillent à la prochaine coupe du monde alors qu’ils n’arrivent pas à gagner un match, que la Fecafoot est désormais un lieu de mafia patentée, que le football camerounais est depuis belle lurette un refuge de gangsters et d’arrivistes hors catégories, et que le championnat national ressemble à tout sauf à du football ? N’est-il pas préférable, si nous voulons réformer notre football et son organisation, de prendre son temps pour mettre en route une politique crédible sur la performance de l’équipe nationale camerounaise ?  Est-il plus utile de remettre la Fécafoot à flot que d’inventer de nouvelles règles de bonne conduite, des mécanismes de surveillance de la gestion, une périodicité des évaluations et des instruments pour sanctionner les pratiques ? Est-ce la suspension des affaires politiques et économiques connexes à la Fecafoot que l’on veut lever ou celle du Football? Ces questions montrent que la question n’est pas celle de savoir comment lever la suspension au plus vite. Elle n’est même pas de chercher à savoir combien de temps celle-ci durerait et encore moins de remettre sur pied la Fécafoot aussi rapidement que possible afin que les footballeurs camerounais renouent avec les compétions internationales. Les responsables camerounais doivent se poser la question de savoir s’il est opportun, comme par le passé, de chercher une solution de rafistolage, ou alors s’il est plus que jamais indiqué de prendre acte de cette suspension et de s’auto-suspendre de façon souveraine le temps qu’il faudra dans le but de travailler sérieusement à la remise du football camerounais sur les rails via des réformes structurelles de long terme. Le peuple camerounais atteint lui-même par le virus de la téléréalité grandeur nature qu’est devenue la gouvernance chaotique du  football camerounais doit aussi sortir du rêve des dirigeants et profiteurs dudit football. Selon ce rêve tout doit continuer en espérant que par hasard l’épilogue des intrigues et des malversations soit positif dans un pays où l’invraisemblable devient la norme et vice-versa.

* S’auto-suspendre pendant au moins deux ans de toutes compétitions internationales est-il possible ? 

Un Etat qui considère que son endettement international annihile toutes ses possibilités de développement parce qu’il obère ses charges et annule toute marge de manœuvre en matière d’investissements supplémentaires, peut, de façon unilatérale, répudier sa dette de façon souveraine. Cela revient à se déclarer incapable de continuer à honorer ses engagements de départ pour un cas de force majeur. Il fait défaut et il ne paie plus. Le Mexique l’a fait en 1982 et la Russie dans les années 1990. C’est une décision souveraine qui, malgré la marginalisation de marchés de capitaux qu’elle peut induire, s’impose à la communauté internationale et pousse très souvent les créanciers à entrer en nouvelles négociations avec le pays qui fait défaut.

 La même chose peut se faire au football par rapport à la FIFA. Le Cameroun, malgré ses multiples contreperformances de ces dernières années, reste un poids lourd du football africain voir mondial. Il est dès lors tout à fait possible, si la volonté politique de sauver notre football existe, de retirer souverainement le pays de toutes les compétitions internationales afin de prendre le temps de faire le travail d’assainissement de son football qui s’impose. Même si la FIFA condamne l’ingérence du politique, une telle décision entraîne automatiquement la dissolution de la Fecafoot car celle-ci n’est pas au-dessus d’une décision souveraine de l’Etat camerounais. Qui plus est, le Cameroun étant un poids lourd du football africain comme déjà signalé, la FIFA va nécessairement négocier avec le Cameroun car cette organisation internationale n’est rien sans les pays dont les enfants jouent au football. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes entraîne qu’un Etat a le droit de se retirer pendant un moment d’une organisation internationale afin de régler des problèmes qui nécessitent un temps d’arrêt et des décisions discrétionnaires. Cela n’est pas rarissime. Goodluck Jonathan le Président nigérian a, en 2010, suspendu les Super Eagles de toutes compétitions internationales pendant deux ans. Il a ensuite ordonné la dissolution de la Fédération Nigériane de Football et son remplacement par un conseil intérimaire. Il déclara à la BBC : « nous avons été au mondial est nous avons découvert tout genre de problèmes. Nous avons donc pensé que l’essentiel était de prendre du recul et de regarder de plus près le fonctionnement actuel de la fédération ». Les Super Eagles profitent actuellement du travail de fond qui a été fait car le Pays a construit une jeune équipe nationale et de nouvelles structures qui viennent de donner des résultats car le Nigéria est en 2013 de nouveau Champion d’Afrique de football. Les Super Eagles vont désormais perdre des matches rien que pour les seules raisons sportives.

* Pourquoi le Cameroun doit se suspendre lui-même pendant au moins deux ans de toutes compétitions internationales ?

S’auto-suspendre pendant un certain temps de toutes les compétitions internationales a de nombreux avantages dans le cas du Cameroun. Dans le marasme actuel du football camerounais, l’avantage n°1 d’une telle stratégie est l’arrêt da la fuite en avant qui consiste à continuer dans le même cafouillage sans aucune réforme et décision restructurantes. C’est un temps d’arrêt qui permet de faire un état des lieux du football camerounais par mise en examen de ses politiques sportives, de ses acteurs, des ses institutions, de ses modes de gestion, de ses instruments d’action et de ses objectifs par rapport aux moyens engagés. Cette procédure d’évaluation est vitale car on ne peut prendre des décisions capables d’enclencher des réformes structurantes qu’après un état des lieux qui met en lumière l’ampleur des dégâts et leurs causes. Se mettre à la touche pendant un moment pour le faire est donc nécessaire si le Cameroun veut éviter de continuer une évolution dans le brouillard, chose que souhaitent les faucons et fossoyeurs de son football. Si on veut extirper les maux qui ont eu tout le temps de

s’installer et de gangrener notre football, il faut prendre le temps pour le faire. Un autre avantage que présente un tel break dans le football camerounais, du moins dans son rayonnement international, est que le pays n’aura plus peur de l’ingérence du politique pour assainir le secteur car un Etat prend une décision souveraine qui extrait le pays du regard de la FIFA dans la gestion de ses affaires nationales. Cet aspect est d’autant plus capital que c’est à l’Etat camerounais de prendre le taureau par les Cornes s’il veut sauver son sport roi. Il va sans dire que venir à bout des détenus qui se font élire par procuration, des ministres des Sports qui ne sont que Ministre des Lions, des changements d’entraîneurs comme seules solutions aux problèmes du football camerounais, des réseaux de corruption au sein de la Fécafoot, des stages de préparation bâclés, du retard et des malversations dans le paiement des primes des joueurs, de la mentalité vénale des gestionnaires, de l’amateurisme organisationnel et de l’esprit antipatriotique nécessite un temps d’arrêt de la recréation par l’Etat: deux ans est minimum acceptable. La seule chose que l’Etat camerounais a à garantir à la FIFA consiste en des élections claires, justes et impartiales au sein de la Fécafoot une fois le travail d’assainissement achevé sur le plan national.

* La bourse des valeurs mobilières, le commerce des indulgences, le football camerounais, la Fécafoot et la FIFA

Que la valeur des titres diminue ou augmente, la bourse de valeurs gagne de l’argent car ce qui compte pour elle ce sont les mouvements des capitaux. De ce fait, il arrive très souvent que des Etats prennent la décision unilatérale de fermer une bourse des valeurs afin de préserver l’intérêt général, c'est-à-dire l’économie des calculs égoïstes des spéculateurs. Cette logique du mouvement perpétuel qui fait gagner de l’argent aux bourses des valeurs est dans une certaine mesure la même que celle de la FIFA. Celle-ci gagne en effet de l’argent tant qu’un ballon bondit dans un pays et que celui-ci participe à des compétitions internationales. Il est donc important de comprendre que le but de la FIFA n’est pas d’assainir le football au sein des Etats et encore moins de rendre leurs équipes nationales et leurs championnats performants. Il est de préserver sa domination du football mondial et des transactions financières qu’il génère via les fédérations nationales. Penser à l’assainissement d’une institution comme la Fécafoot ne peut être une initiative de la FIFA étant donné que le football étant une affaire de gros sous, la FIFA est elle-même chaque année prise dans le tourbillons de plusieurs scandales financiers, de corruption et de trafics d’influences dans l’attribution de l’organisation des compétitions internationales. Ce constat montre que le problème du football camerounais est aussi celui d’être pris en tenaille entre un pays où la corruption est la pratique publique la plus prospère depuis plus de trente ans et une FIFA elle-même prise maintes fois la main dans le sac de la corruption. Dans ces conditions, empêcher que la FIFA ne gagne de l’argent dans le dos d’un football camerounais malade revient à arrêter de faire bondir le ballon au Cameroun le temps que ce pays réforme son football s’il en a la volonté politique. 

Qui plus est, quand la FIFA inflige des sanctions comme par exemple en 2004 lorsque les Lions Indomptables se vêtirent d’un maillot une pièce (Uniqit), la diplomatie camerounaise négocia et obtint la levée du retrait de 6 points aux Lions, mais pas l’annulation du paiement de l’amende de 100 millions de FCFA infligée au Cameroun par la FIFA. Cet exemple montre que la FIFA ne gagne pas seulement de l’argent quand le ballon bondit quels que soient les problèmes au sein d’une fédération nationale, mais aussi chaque fois qu’un pays est sanctionné et que cette sanction est levée car elle commercialise ses indulgences comme jadis le fit le Christianisme auprès des pécheurs avant la Réforme. Dans ces conditions la levée de l’actuelle suspension du Cameroun va s’obtenir mais elle ne résoudra aucun des problèmes qui minent son football étant donné qu’elle sera dans le sens des intérêts de la FIFA pour laquelle seuls le bondissement du ballon et le paiement des amendes comptent pour que le  mouvement qui produit de l’argent ne s’arrête pas. Une fois qu’un pays est d’accord sur les termes de la FIFA, elle ne parle plus d’ingérence politique et est prête à la tolérer. A titre d’exemple, Iya Mohammed est lui-même le produit d’une cellule exécutive de 12 membres mise en place en 1998 conjointement par la FIFA (désignation de huit membres) et le gouvernement camerounais (désignation de quatre membres) après l’affaire des billets qui envoya Vincent Onana en prison et provoqua un bras de fer entre Joseph Owona alors ministre des Sports et la FIFA.

* Le temps politique, le temps de la FIFA et le temps du travail pour le bien-être du football camerounais

Il n’est nullement besoin d’être un grand clerc pour mettre en évidence le fait que la levée de sanction que négocie actuellement la diplomatie camerounaise est une pratique éculée sans effets sur les maux qui minent le football camerounais depuis au moins un quart de siècle. En 1994 une telle négociation menée par Mr. Simon Achidi Achu reconnaissait, après les menaces de la FIFA, Maha Daher comme Président de la Fécafoot malgré une élection très controversée. En 1998, c’est Mr. Peter Mafany Mussonge qui désavoua son ministre des Sport d’antan Joseph Owona en acceptant la proposition de la FIFA de mettre sur pied un autre bureau directeur élu après l’éviction de Vincent Onana suite à l’affaire du trafic des billets. Et en 2004, c’est Roger Milla l’officier de réserve, Kofi Annan et René Sadi jadis ministre chargé de missions à la Présidence, qui s’attelèrent à la levée de la sanction du Cameroun après que les Lions eussent servi de cobayes aux facéties et fanfaronnades d’un équipementier qui expérimenta sur eux la combinaison unique. Ces récurrents recours diplomatiques ont chaque fois réussi à obtenir la levée des sanctions pesant sur le Cameroun mais ont toujours raté l’essentiel car elles ont laissé intacts la corruption, les trafics d’influences, les malversations et l’amateurisme au sein du football camerounais. 

Pourquoi cela peut-on se demander ? La réponse est simple. Elle tient au fait que plusieurs temps et leurs intérêts se télescopent et prennent le pas sur l’intérêt supérieur de la bonne santé du football camerounais. Nous avons en premier le temps politique des dirigeants camerounais. C’est un temps très court et égoïste dont le seul objectif est que les Lions ne soient pas suspendus afin de ne pas courir le risque de voir le peuple se soulever pour manifester son courroux. Dès lors ce qui est plus important c’est le rôle de stabilisateur social des Lions même si les performances sont minables. Le deuxièmes temps est aussi un temps de court terme constitué des intérêts non moins égoïstes de la FIFA et des Camerounais qui vivent du Football et autour du Football. Pour eux aussi, il ne faut pas que la poule aux œufs d’or cesse de pondre. La machine à sous doit continuer à tourner quels que soient les problèmes du football camerounais. Il y a enfin le temps moyen et long des réformes à mener pour remettre le football camerounais sur pied. C’est un temps qui exige du travail, de l’abnégation et une décision souveraine de s’auto suspendre afin de travailler à un profond aggiornamento au sein de son football. Ce dernier temps est dominé par les deux premiers et cela entraîne que les mêmes causes produisent les mêmes effets au sein du football camerounais. Ce dernier ne peut pourtant retrouver son piédestal que si l’ordre de priorité change entre les intérêts de ces temps car il faut accepter de se faire mal pendant un moment et d’en payer le prix.

Thierry AMOUGOU, économiste, Prof. Université catholique de Louvain (UCL), Fondateur et animateur du CRESPOL (Cercle de Réflexions Economiques, Sociales et Politiques de Louvain).

© Correspondance : Thierry AMOUGOU,


18/07/2013
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