Esquisse d'analyse comparative de la situation politique du Sénégal, du Cameroun et du Mali
Il y a juste un peu plus de six mois, en novembre 2011, une prestation de serment se tenait au Cameroun. Le président élu qui se livrait à cet exercice, n’était personne d’autre que le même, celui qui depuis trois décennies, s’est confectionné un costume de monarque absolue à la tête du pays.
On avait alors vu un pays que l’on dit très pauvre et très endetté, organiser des festivités grandioses évaluées au bat mot à plusieurs dizaines de milliards, après une élection de pure forme dont l’ensemble des ingrédients façonnés par un parti-Etat omnipotent et insolent, avait déjà dépravé les caisses publiques de quelques centaines de milliards. Pour la seule prestation de serment, des badges, des pagnes, des gadgets de toute nature, des réceptions à n’en plus vivre, tous déployés sous diverses formes et résultant d’autant de marchés surfacturés au bénéfice de prestataires comparses, avaient inondé les quatre coins du pays.
Voici qu’arrive le Sénégal, avec un président prêtant serment sous une modeste tente, sans fanfares ni agapes ni gadgets, et surtout sans fantasmes monarchiques. On a cru voir un cinéma de mauvais goût, une invention, une moquerie adressée adroitement ou indirectement à ceux qui tiennent si mal et si cupidement le destin du Cameroun. Les citadins de Douala ou de Yaoundé, d’Ebolowa ou de Maroua et Limbé, n’ont pas pu s’empêcher de comparer, de regretter, de se sentir tout petit, un peu escroc et un peu barbare face à l’humilité et à la raison haute de là bas. Plus qu’une gifle, c’est une humiliation suprême, surtout que par ici, personne n’a jamais osé s’interposer, lever le doigt pour accuser, pour dénoncer, pour invoquer l’instinct de honte, le devoir de retenue lorsque l’on a en charge le destin d’une nation. C’est la réalité d’un pays devenue presque hypothétique et exsangue par l’accumulation du doute et la prolifération de la corruption, de la tricherie et du sectarisme devenue une pandémie insurmontable, qui ressort finalement de la comparaison.
Mais comment alors ne pas s’interroger enfin, sur le dilemme malien, sur les causes et les implications d’une descente aux enfers du berceau de quelques repères les plus impressionnants et les plus représentatifs de la civilisation du nègre. Trois schémas se sont ainsi imposés dans une actualité subitement chargée d’émotions et dominée par des réflexes à la fois historiques et prospectifs.
De ces trois schémas dégageant des paramètres aussi loin les uns des
autres mais aussi près les uns des autres au regard de l’exigence de
valorisation de certains principes élémentaires de gouvernance, et du
besoin de sauvegarder et de rappeler ce qui préoccupe dorénavant,
l’obligation d’un rapport analytique s’est imposé.
A – Le Drame permanent de l’Etat colonial centralisé et totalitaire
Avec les profils que l’on découvre dans les anciennes colonies en ce qui concerne l’accession au pouvoir, la gestion du pouvoir et la conservation du pouvoir, il y a d’abord des similitudes et ensuite des différences. D’abord, il faut reconnaître que les trois pays héritent d’un système de construction des institutions étatiques entièrement calqué sur les mœurs politiques de l’ancienne métropole coloniale. La volonté des dirigeants depuis les indépendances, de ne pas aller au-delà des carcans règlementaires et légales qui furent dans un premier temps imposés, n’a jamais auguré d’une société véritablement organisée et moderne.
Que ce soit au Mali, au Sénégal ou au Cameroun, le drame de la mauvaise gouvernance est d’abord le drame d’une prédisposition mentale incapacitante et givrée, bloquée, impotente. On a reçu de part et d’autre les instruments de commandement comme on reçoit une médaille qui restera flanquée à vie sur la poitrine. La tâche qui aurait incombé aux élites sorties bardées des diplômes de toute les spécialités des universités et écoles prestigieuses, semble avoir été oubliée sinon dévoyée. Le confort matériel allié à une sous culture obscurantiste, a enfermé les anges de la parole et de l’écriture dans des processus de dépravation inqualifiables. Ce que l’on retient après plus d’un demi-siècle de politique locale et de gouvernance nationale, c’est la faillite de l’instauration de véritables règles de jeu démocratiques dans la conduite des politiques.
De ce point de vue, qu’il y ait eu ou non la pratique des coups d’Etat ne change vraiment pas grand-chose dans les conclusions cardinales. C’est à partir de la faculté, la prédisposition et l’art de quitter le pouvoir, que l’on devrait gérer les interrogations différentielles.
Si l’on prend ce qui semble devenir le modèle salué bruyamment aujourd’hui, en l’occurrence le Sénégal, les faits ne plaident pas pour une consécration automatique et totale dans le tableau des démocraties. Si Senghor su se retirer, ce ne fut pas avant d’avoir préparé de façon autocratique, les détails de sa succession. Il régna sur son pays avec une certaine condescendance de patriarche intouchable. Il avait certes pour lui, une auréole intellectuelle et internationale de premier plan avec laquelle ou grâce à laquelle il su écraser les contradictions et imposer ses volontés, sa vision politique. Son successeur, son digne élu, cru pouvoir rentrer entièrement dans ses costumes et hésita longtemps avant de quitter le pouvoir par les urnes. Ce n’est un secret pour personne, comme le racontera plus tard son ministre de l’intérieur, un militaire, que Abdou Diouf pensa fortement à confisquer le pouvoir, n’eut été le refus de le suivre, des hommes en tenue sur lesquels il souhaitait s’appuyer.
Wade a fait mieux, triturant la constitution, malmenant ses alliés de la première heure et reniant ses promesses solennelles, exactement comme Bozizé, Biya ou Eyadema. Avec lui, les sénégalais ont acquis la conviction qu’un être humain y compris le plus doué et le plus élégant en apparence, peut se transformer en monstre avec le temps. L’octogénaire aura tout tenté : positionner son fils, imposer une élection à l’américaine, changer la durée du mandat, tromper la vigilance des constitutionnalistes, susciter un faux débat, développer une boulimie hors normes, introduire des freins censitaires dans les conditionnalités d’accession à la candidature, jeter ses contradicteurs en prison, museler la presse, oppresser les artistes. Ce tableau est-il finalement différent du Tchad, du Cameroun, du Congo de Sassou Nguesso ?
Nous retrouvons en fait, des situations qui d’un point de vue de l’administration politique et des exigences démocratiques, présentent des individus convaincus d’être envoyés par Dieu pour gouverner leurs compatriotes, et développant une culture personnelle d’appropriation du pouvoir.
Le conseil constitutionnel au Cameroun est une simple mutation des hauts magistrats de la cour suprême aux ordres du chef de l’Etat et on ne s’attend pas à le voir dire un droit d’opposition et de changement. Au Sénégal, cet organe aurait pu entrer dans l’histoire en bloquant la candidature de Wade. Hélas, cela n’a pas été le cas, pour les mêmes causes, la même sous culture d’autoritarisme et de soumission incapacitante. (A suivre)
Shanda Tonme