“ Comment peut-on être Persan ?” Fictive et satirique, cette interrogation que le baron de Montesquieu avait prêtée à ses contemporains avait sûrement, comme le souligne Melchior Mbonimpa (1996 :15), « une certaine vraisemblance dans le contexte où être chrétien relevait d’un fait sans démenti. La question en cache une autre : comment peut-on ne pas être chrétien ». Cette question posée par l’auteur de L’Esprit des lois était finalement devenue une interrogation par excellence sur l’identité nationale. En pastichant l’auteur de Les lettres persanes, on peut se demander comment peut-on être Camerounais. Autrement dit, comment peut-on ne pas être du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) dans un pays où on masque l’effondrement du système en scandant des slogans démagogiques de la spécificité et la particularité de l’exception camerounaise ; ce pays où les maux qui minent la société et la rongent comme un cancer ont pour dénominateur commun la marginalité, la marginalisation, la gestion en l’emporte-caisse, l’imposture et la tricherie.
Il n’y a pas longtemps, tout dans le quotidien des Camerounais concourait à consolider le catéchisme gouvernemental, qui, tel un refrain d’une musique jouée par des amateurs sur un disque rayé, nous répétait, à temps et à contretemps, que le « Cameroun, c’est le Cameroun ». De ce fait, les choses survenues ou les faits vécus par les populations de ce pays de cocagne ne devaient pas être rapprochés ou comparés aux expériences heureuses des contrées voisines. N’empêche que cette expression fugace était quotidiennement validée par les rubiconds que franchissaient les passe-droits, les trafics d’influence et autres privilèges du système.
Après s’être rendus compte que ce slogan était l’expression d’une terrible réalité, à savoir le grotesque et l’obscénité qui caractérisaient la décomposition des stéréotypes camerounais disponibles et les mythes de l’exception camerounaise, les responsables du système gouvernant ont pris la mesure du décalage existant entre leurs discours d’une douceur hypocrite et la réalité que vivent les Camerounais d’en-bas. Ils n’ont pas hésité à nous sortir en 2004, d’un autre chapeau, un autre lapin qu’ils nomment aujourd’hui Grandes ambitions « dont le principal objectif est l’amélioration des conditions de vie des Camerounais » (dixit René Sadi). Depuis 2004 donc, ils ne cessent de nous bourrer le crâne avec ce slogan creux. Ils ne cessent de jurer la main sur le cœur, comme des bandits invétérés qui jurent la main sur bible, que c’est cet objectif qu’ils poursuivent. Six ans après, la terrible réalité est saisissante : routes défoncées dans des quartiers des grandes métropoles, des villes et des villages, coupures intempestives de la fourniture de l’énergie électrique dans les ménages, impuissance face Aes/Sonel qui se sucre sur le dos des consommateurs en augmentant unilatéralement depuis bientôt cinq mois les tarifs d’électricité, absence d’eau dans les ménages en pleine saison des pluies, recrudescence du grand banditisme, choléra, sida, paludisme, paupérisation et chômage généralisés, pour ne citer que ces exemples.
Du 24 au 31 août 2010, René Emmanuel Sadi a reçu ses camarades du Comité central. Certainement pour prendre la température du pays profond, les amadouer et leur faire encore des promesses fallacieuses et préparer la réélection du monarque vieillissant qui briguera son ultime mandat à la tête de l’État du Cameroun. Christophe Mien Zok, directeur de rédaction de L’Action (organe d’information du Rdpc) nous fait comprendre que le Sg du comité central a défini une feuille de route à ses camarades : « contrôle des organes de base, assistance, conseil et appui aux responsables locaux du parti, représentation et promotion de l’image du parti sur tous les terrains ». Ah, bon !
Quand on lit ce que Mien Zok a écrit, on a l’impression que l’on assiste au retour en force de la proximité comme nouvel axe d’intervention du Rdpc. A la veille de l’échéance cruciale et déterminante d’octobre 2011, tout laisse donc à penser que la proximité comme mode d’action politique sera le nouveau gadget d’un renouveau englué dans ses contradictions, la stérilité, l’immobilisme et les luttes de clans. N’en déplaise à René Sadi qui relativise les dissensions au sein du Rdpc, parce qu’il ne lui semble pas « qu’elles soient si criardes et à même d’affecter profondément la marche et la cohésion du parti », alors que le public assiste à l’affrontement épique entre son clan, ses réseaux et ceux de Laurent Esso. Le Rdpc est un parti uni et inique
Pourtant, en son temps, le concept de proximité avait été tellement galvaudé par la politique politicienne que le piège s’était refermé sur Paul Biya qui l’avait énoncé. Si donc le Rdpc fait de la proximité son mode d’action politique, il serait paradoxal que d’un côté ce régime qui a passé tout son temps à humilier l’homme, soit réduit à solliciter le rapprochement avec la société qu’il a anéantie.
Ce qui est certain, Paul Biya ne se contentera pas seulement des recettes éculées telles que proximité et Grandes ambitions qui ont montré leur limite. Il est en train de peaufiner sa stratégie de campagne. Ses agents et agences de communication sont à pied d’œuvre. Il s’apprête, susurre-t-on, à lancer un nouveau slogan. Celui-là, nous apprend-on, épousera les contours de la Gestion axée sur les résultats (Gar). Gare aux Camerounais ! Nous ne perdons rien à attendre. Toujours est-il que ce changement de slogan sera la preuve patente de l’échec de la politique des Grandes ambitions.
De toutes les façons, la plèbe, le monde d’en-bas, les rien-du-tout, qu’ils soient militants et sympathisants du Rdpc ou non, s’en foutent du militantisme de proximité, des Grandes ambitions et de la Gestion axée sur les résultats. Tout cela ne leur dit rien. Ils demandent seulement qu’on leur assure un niveau de vie décent et que l’on respecte la démocratie. Ils ont seulement besoin du pain, de l’eau, de l’électricité, de l’aspirine, de la nivaquine et de la trithérapie dans des hôpitaux, des routes pour évacuer leurs produits des campagnes vers les grands centres commerciaux, leur sécurité et celle de leurs biens, des écoles, collèges et lycées, des institutions universitaires équipées et des enseignants bien payés pour leurs enfants, des élections libres, transparentes, équitables et justes, le droit de dire ce qu’il pense et celui de s’installer partout sur le territoire national sans être taxés d’allogènes, etc.
Franchement, le Cameroun est un État en équilibre instable. La situation sociale de notre pays est tellement alarmante qu’on ne peut plus avoir la prétention de cultiver ou d’entretenir les illusions d’une reprise de la croissance ou d’un retour aux années fastes.
Indiscutablement, l’on doit s’attaquer aux maux, au lieu de continuer à bercer les Camerounais d’illusions. Car, le délabrement de la société camerounaise que Sadi dit pourtant galvanisée pour faire face aux multiples défis futurs laisse dubitatifs les observateurs habitués à la roublardise du pouvoir.
En 28 ans, le Renouveau a scindé les Camerounais en deux catégories : ceux qui vivent et ceux qui survivent. Paul Biya sollicitera un nouveau mandat pour reproduire et perpétuer les inégalités et l’injustice sociales.
Descendons dans les quartiers tels que Bastos ou Santa Barbara. Longeons une ligne imaginaire qui coupe ces quartiers en deux. D’un côté, nous aurons des villas et voitures cossues, avec jardins, piscines olympiques, des gosses qui jouent au tennis, pianotent sur les claviers des ordinateurs ou des téléphones portables dernière génération ou au volant d’une Rolls-Royce, d’un Hummer, des fleurs aux fenêtres, des perroquets et oiseaux exotiques encagés dans des volières, des murs en bétons armés hauts d’au moins six mètres entourés de fils barbelés en cerceau, des portails gardés par au moins deux vigiles armés jusqu’aux dents parce que les propriétaires craignent les agressions. De l’autre côté, dans les bas-fonds des taudis qui forment des bidonvilles avec masures, communément appelées baraques, des gamins souvent sales, au ventre ballonné et vêtus de guenilles, bref des gueux qui ruminent leur indigence et qui, le plus souvent, pour se nourrir et se vêtir vont fouiller dans les poubelles des hommes biens de là-bas, selon l’expression de Dave K. Moktoï. Espoirs et désillusions. Colère, révolte et lassitude. C’est bien le tableau sombre de 28 ans de Renouveau.
Jean-Bosco Talla
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