Epervier: voici les vraies raisons de la condamnation de Beh Mengue

 

Source: CAMEROUNLINK 09 11 2021

 

L’ex-patron de l’Agence de Régulation des Télécommunications est reconnu coupable pour s’être octroyé certains avantages sans l’aval du conseil d’administration. Mais aussi pour s’être immiscé dans les fonctions de comptable. Les juges ont notamment reproché à l’accusé d’avoir recouru aux «libéralités irrégulières», de s’être octroyé un «fonds de souveraineté», de s’être laissé aller à la pratique des «appuis aux tutelles», ou de s’être abusivement revêtu du «statut de comptable de fait». La défense a aussitôt annoncé un pourvoi devant la Cour suprême.

Après 18 mois de jugement, le rideau est enfin tombé dans le procès Jean-Louis Beh Mengue devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Le 1er novembre dernier, l’ancien directeur général (DG) de l’Agence de Régulation des Télécommunications (ART) a été reconnu coupable du détournement de la somme totale de 627 millions de francs. Déjà âgé de 75 ans, l’ancien DGl a écopé d’une peine de 20 ans d’emprisonnement. La lecture de cette sentence a été suivie par un mini tonnerre d’indignations de la part des proches du condamnés présents dans la salle d’audience, sans doute eu égard à l’âge du condamné. Pourtant, M. Beh Mengue lui-même est resté stoïque, presqu’indifférent au verdict qui venait d’être prononcé.

«Oh, il y a encore un espoir. Tout n’est pas terminé, hein ! Mes avocats vont faire pourvoi», a annoncé M. Beh Mengue à ses proches. Ces propos de l’ancien DG arrachaient quelques sourires de tendresse à ses interlocuteurs qui l’embrassaient parfois sans masque anti-covid19… Outre la peine d’emprisonnement, le tribunal a ordonné la confiscation de certains biens de M. Beh Mengue. Des biens saisis pendant les enquêtes, précisément les avoirs contenus dans ses comptes bancaires, des immeubles ainsi que des terrains immatriculés se trouvant dans la région du Sud.

En dehors de l’ancien DG, l’ex-agent-comptable de l’ART, Gaston Eteta’a Ntonga, est lui aussi reconnu coupable. Déclaré en fuite pendant le jugement, il a écopé (sans surprise) de l’emprisonnement à vie. Les deux personnalités devront «solidairement» payer 20 millions de francs, somme déboursée par l’ART comme frais de procédure, ainsi que la somme de 7,8 millions de francs représentant les frais de justice. Deux dames, poursuivies en même temps que l’ancien DG et l’agent comptable, ont pour leur part été acquittées (lire encadré). Pendant la lecture de son jugement, le tribunal a donné les raisons pour lesquelles les deux personnalités sont reconnues coupables.

Libéralité irrégulière

A titre individuel, on fait le reproche à M. Beh Mengue d’avoir décaissé 9 millions de francs pour la gestion du personnel (frais de mission, hébergement, etc.) et le stand de l’ART pendant le Comice agro-pastoral d’Ebolowa en 2010. Le tribunal a donné raison à l’accusation pour qui le décaissement litigieux s’est fait «sans l’autorisation du conseil d’administration de l’ART». De plus, «les justificatifs de l’utilisation» de cet argent, tout comme le «compte d’emploi» n’ont pas été présentés. Les juges qualifient la gestion alléguée des fonds litigieux de «libéralité irrégulière» estimant que M. Beh Mengue «n’avait qu’à se donner de l’argent de poche sur ses propres fonds».

Sur la distraction alléguée de 76 millions de francs «représentant le salaires de base indument perçus», on fait le reproche à l’ex-DG d’avoir augmenté son salaire sans le feu vert du conseil d’administration. «Cette majoration irrégulière opérée par M. Beh Mengue n’a pas été justifiée», ont soutenu les juges. De ce fait, «le trop-perçu caractérise l’obtention irrégulière» de fonds publics, ont-ils tranché.

M. Beh Mengue jouissait d’une «ligne de crédit» appelée «fonds de souveraineté». Et chaque année, durant 6 ans, cette ligne était approvisionnée à hauteur de 25 millions de francs. Pour les 95 millions de francs retenus par l’accusation, «la défense n’a pu justifier que 16 millions de francs», indiquent les juges concluant que «l’absence de justificatifs sur le reste de 79 millions de francs caractérise le détournement de derniers publics».

Pour parvenir à cette conclusion, les juges trouvent que l’accusé «a fait un usage abusif d’une ligne de crédit ouverte en violation de la nomenclature budgétaire». Ils expliquent que les fonds de souveraineté ne sont octroyés qu’au président de la République et aux membres du gouvernement et assimilés. «Il ne saurait se réfugier derrière le quitus donné à sa gestion par le conseil d’administration», pour estimer que les dépenses y afférentes étaient régulières, estiment les juges. Le tribunal a étayé son argumentaire en donnant lecture de certaines dispositions d’un texte du 8 juillet 1976 encadrant les fonctions d’ordonnateur et de gestionnaire de crédit. Grosso modo, ce texte fait obligation aux concernés de s’assurer que «l’engagement d’une dépense soit faite par des pièces justificatives suffisantes».

Pour ce qui est du volet du détournement allégué de 259 millions de francs, on accusait M. Beh Mengue d’avoir pris l’habitude de financer, «sans fondement légal», les activités des tutelles de l’ART : le ministère des Finances (Minfi) et celui des Postes et Télécommunications (Minpostel), arguant d’un «appui aux tutelles», pratiques courantes dans plusieurs administrations, notamment dans la préfectorale et au détriment des communes. Le tribunal indique que les justificatifs présentés concernent 213 sur 259 millions de francs litigieux. «Le reste, 56 millions de francs injustifiés, caractérise le détournement», tranche le tribunal.

Le dernier volet du dossier concerne la perception par M. Beh Mengue d’une «indemnité d’ancienneté nouvelle» d’un montant total de 16,8 millions de francs. Le tribunal a rappelé que «M. Beh Mengue était un dirigeant social» tout comme son adjoint. Par conséquent, leur rémunération ainsi que leurs indemnités «sont fixées par le conseil d’administration». «Nulle part le conseil d’administration n’a prévu cette prime […]. L’attribution à son profit de cette indemnité était abusive».

Comptable de fait

Au départ, on imputait à M. Eteta’a Ntonga le détournement de 389 millions de francs. M. Beh Mengue répondait de la complicité dudit forfait. En clair, on fait le reproche à l’ex-agent comptable d’avoir décaissé la somme querellée dans un compte bancaire de l’ART ouvert dans les livres de Standard Chartered Bank sur la base de chèques cosignés par M. Beh Mengue. Les fonds en question étaient censés alimenter la caisse principale de l’ART. Pour l’accusation, M. Eteta’a Ntonga n’a pas présenté toutes les preuves du reversement effectif des fonds litigieux dans les caisses de l’ART.

Pour asseoir la culpabilité des deux accusés sur ce volet, le tribunal a fait remarquer que la fuite de M. Eteta’a Ntonga constitue un aveu suffisant qui caractérise sa responsabilité dans la commission du forfait décrié. «Face à son incapacité à justifier l’utilisation des fonds allégués, il a préféré prendre la poudre d’escampette», ont relevé les juges. Pour le tribunal, M. Beh Mengue et son compagnon d’infortune «ont pensé» et mis en exécution la distraction «des derniers publics dont ils avaient la charge». Pour trancher de la sorte, le tribunal trouve que «la signature opérante de l’ordonnateur [Beh Mengue] et l’agent comptable sur les instruments de paiement» traduit leur intention criminelle. Il a requalifié les faits de complicité de détournement initialement imputé à M. Beh Mengue en ceux de «coaction de détournement». Pour les juges «l’immixtion» de l’ancien DG dans les fonctions de comptable, pourtant séparées de celle d’ordonnateur qu’il était, lui «confère le statut de comptable de fait». A ce titre, il lui revient également d’apporter les «justificatifs des fonds décaissés».

Rappelons que M. Beh Mengue est incarcéré depuis août 2019. C’est le rapport d’une mission de vérification du Contrôle supérieur de l’Etat qui avait audité sa gestion qui sert de base aux poursuites lancées contre les accusés.

Deux accusées mises hors de cause…

La lecture du verdict dans l’affaire Beh Mengue avait débuté avec un brin d’espoir, notamment avec l’acquittement de deux dames impliquées dans le procès «au bénéfice du doute». Il s’agit de Mme Maryamou épouse Idrissou, ex-agent d’appui à l’ART et Anne Marie Ngono, ex-secrétaire bureautique dans le même organisme. Elles étaient poursuivies pour un détournement allégué de biens publics «constitutifs à leurs recrutements à l’ART sur la base de faux diplômes». L’accusation estime que les salaires et primes perçus durant leur séjour à l’ART, dans les conditions décriées, sont indus. Recrutée en janvier 2000, sur la base d’un Baccalauréat G2 obtenu à Ndjamena au Tchad, Mme Maryamou a exercé à l’ART pendant 19 ans pour un traitement salarial cumulé de 95,2 millions de francs. Entre avril 2013 et janvier 2015, Mme Ngono a de son côté perçu 5,2 millions de francs comme salaire et indemnité. Elle avait présenté un Baccalauréat série A4 lors de son embauche.

Pour accabler les deux dames, l’accusation s’était attardée sur le seul fait que les recherches menées au Tchad comme à l’Office du Baccalauréat du Cameroun n’ont pas permis de retrouver les références des diplômes querellés dans les archives. Le tribunal a balayé cette récrimination opposant que «l’absence» des références dans les archives «ne peut pas être interprétée comme synonyme de faux. De plus aucune autre pièce n’a été apportée» pour caractériser la fraude.



10/11/2021
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