Epervier: l’heure d’une clémence présidentielle
Ayant été convaincus d’avoir obtenu ou retenu frauduleusement des fonds ou des biens appartenant à l’Etat du Cameroun, Jean Marie Atangana Mebara, Marafa Hamidou Yaya, Urbain Olanguena Awono et consorts ont été condamnés à diverses peines de prison. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si au nom de la réconciliation nationale, ces prisonniers de l opération Epervier devraient être élargis.
L’intensité de la peine de chacun a été proportionnelle à la gravité de la faute qui lui était reprochée. Il faut dire que n’eût été cette proportionnalité, tous allaient être condamnés à vie. L’article 184 du Code pénal condamnant à vie quiconque est reconnu coupable d’avoir détourné plus de 500 000 Fcfa (cinq cent mille Fcfa). Ces Camerounais, il faut le reconnaître, selon les décisions des tribunaux, n’ont pas pu contrôler leur avidité. Ils ont donc été éliminés de la communauté.
Après avoir passé plus de 10 ans d’incarcération pour quelques-uns, n’est-il pas juste pour ceux-là appartenant à cette catégorie de réintégrer cette communauté ? Ceux qui ont quelques notions en criminologie et ceux qui n’en ont pas doivent le noter. Ils reconnaissent que la peine est orientée vers le futur en ce qu’elle a pour but d’éviter la commission de nouveaux crimes et que dans cette fonction, elle se détache de la faute pour devenir utilitaire. Si donc la peine est une mesure utilitaire – et non pas une vengeance -10 ans de prison avec confiscation de biens a sûrement un effet psychologique tel que chacun aura peur de recommencer. D’ailleurs comment pourraient-ils le faire puisqu’ils ont été déchargés des fonctions qui les mettaient en contact avec la fortune publique ?
La sanction permet d’entretenir des relations paisibles et a pour fonction, disent les grands maîtres en la matière de : 1 – surveiller et punir en marquant le corps coupable pour protéger le corps de l’Etat ; 2-Marquer les esprits en punissant ni plus qu’il n’est juste, ni plus qu’il n’est utile ; 3- Prévenir les infractions en appréhendant leur auteur in concreto ; 4- Prévenir les infractions en favorisant la réinsertion.
Pour donner un but à la sanction qui a été infligée aux condamnés ayant aujourd’hui purgé plus de 10 ans après que leur biens aient été confisqués, de nombreux observateurs estiment qu’il est temps de permettre leur réinsertion auquel cas la sanction qui a été infligée à chacun n’aura plus aucun but. « Dieu a les deux bras étendus. L’un est assez fort pour entourer de justice, l’autre assez doux pour nous entourer de grâce ».
Cette citation est de Martin Luther King, homme politique, pasteur et religieux américain mérite qu’on s’y attardé. Depuis près d’une décennie aujourd’hui, Jean Marie Atangana Mebara et ses acolytes du G11 ont été condamnés par le Tribunal criminel spécial de Yaoundé pour atteinte à la fortune publique. La caractéristique particulière de cette juridiction est que la procédure devant elle n’admet pas le double degré de juridiction. Procédure rare au monde.
Forfaiture
L’on se souvient que, lorsque le premier président du Cameroun, Ahmadou Ahidjo, avait légiféré par ordonnance pour organiser la procédure devant le Tribunal militaire, une telle disposition avait été introduite dans son ordonnance. Deux vaillants Camerounais se sont élevés contre cette ordonnance du président de la République : Marcel Nguini, magistrat à la Cour suprême et Louis Marie Pouka, un autre magistrat. En effet, s’était alors exclame Marcel Nguini dans une correspondance adressée au président de la République, aucune justice au monde, dans un Etat qui se dit moderne, ne peut s’accommoder d’une telle procédure. Les magistrats sont des hommes et ils peuvent se tromper, a-t-il poursuivi.
La Cour d’appel est un gage d’une bonne justice. Louis Marie Pouka a soutenu Nguini. La sanction est tombée. Marcel Nguini a été affecté dans une juridiction perdue à l’Ouest Cameroun et Pouka a été révoqué. Ironie du sort, c’est sous cette même ordonnance que le président Ahmadou Ahidjo et les putschistes ont été ‘ condamnés 12 ans plus tard. Pouvait-il encore se plaindre de la procédure dont il a été l’initiateur quand il a vu des Camerounais exécutés juste après la décision du Triburral. Puisque la loi n’admettait pas d’appel, rien n’empêchait l’exécution une fois la décision prononcée. Le monde était sous le choc.
Le président Biya s’est justifié : les ordonnances n’étaient pas de lui. Peu de temps après, elles ont été abrogées par le président Biya. Des décennies plus tard, ce n’est plus le président de la République, mais l’Assem-blée nationale qui vote une loi créant le Tribunal criminel spécial dont la procédure n’admet pas la voie d’appel. Marcel Nguini n’est plus là, ni Pouka. Tout se passe comme si c’était normal. Pas de livres pour démontrer aux futurs Camerounais, par des enseignements à l’université, que les députés ont commis une forfaiture. Pouvoir et opposition ne lorgnent que le fauteuil présidentiel.
Tous n’épient que les faits et gestes du président de la République pour, croient-ils, profiter de la sa moindre inattention pour s’assurer de ce fauteuil. Stanislas Melone est .mort. Ce professeur qui analysait les articles du-Code pénal pour démontrer, en l’enseignant à ses étudiants, la dangerosité de l’article 228 du Code pénal ou même cette j ordonnance de 1962 dont il est fait état plus haut et qui exprimait la subversion. Une infraction floue qui pouvait permettre d’attraper n’importe quel Camerounais honnête.
Alors question : qu’est ce qui peut bien motiver le législateur camerounais à revenir à des années des ténèbres ? Et ce, alors que les enfants du Cameroun commençaient à ouvrir les yeux. C’est cette malhonnêteté dans le processus de création même des lois qui est à la base de la malhonnêteté ambiante. Les étudiants apprennent en droit ce qu’on qualifie d’infractions connexes. Lorsqu’un individu comme Jean Marie Atangana Mebara est condamné de façon répétitive et à des peines variables, qu’est ce qui peut justifier cette variabilité ? Nous ne jugeons pas la justice. Nous nous interrogeons sur l’addition des peines qui excède le temps qui lui reste à vivre.
Du coup, nous nous interrogeons aussi sur ce qui intéresse ceux qui s’amusent à procéder ainsi, récupérer l’argent volé ou les voir mourir en prison. Si c’est pour les voir mourir en prison, alors la justice camerounaise serait dépourvue de but puisque le but devrait être la récupération des biens obtenus où retenus au préjudice de l’Etat et la resocialisation des intéressés. Les avocats de chacun savent ce qu’ils ont à faire s’agissant de la confusion des peines. Les juridictions ont tranché. Les condamnés implorent le président en ces termes « pardonne-nous nos offenses ». Lui-même saura comment faire pour récupérer ses brebis égarées en se souvenant de la parabole de la brebis égarée (Matthieu 18 :12-14), lui qui a été au séminaire.