Entretien avec William Blum
Deux auteurs, deux Étatsuniens, deux prises de conscience et les mêmes questions qui reviennent :
« v Peut-on justifier les atrocités que les bombardements massifs
caractéristiques des guerres modernes infligent à des centaines de
milliers d’êtres humains par des “nécessités” d’ordre militaire,
stratégique ou politique ? » Car la question morale ne peut pas
être évacuée en détournant le regard et la responsabilité des témoins,
directs ou indirects, ne peut pas non plus être balayée d’un revers
d’indifférence.
Nous sommes aujourd’hui littéralement assaili-es
par les images de guerre, de meurtres de masse au nom du pragmatisme, du
droit d’ingérence, de la démocratie ou de « l’humanitaire » — cynique et belle trouvaille que cette expression de « guerre humanitaire »
qui permet tous les abus ! —, nous sommes assailli-es donc par des
images qui finalement déshumanisent des êtres humains — détruits sous
nos yeux —, et banalisent l’insupportable, l’inacceptable.
La
propagande ronge les cerveaux et fait passer bien des horreurs pour des
victoires. C’est une autre manière de construire la mauvaise foi, de
rendre complices ceux et celles qui ne réagissent pas ou ne se révoltent
pas, bref d’entériner un manque de solidarité et de respect de l’autre.
Il y avait la religion comme leurre d’un monde merveilleux à venir pour
ceux et celles qui n’avaient rien… Aujourd’hui, c’est « vous êtes bombardé-es certes, vous souffrez, mais c’est pour votre bien et demain vous vivrez en démocratie ».
Allez dire cela à la population irakienne, qui ne vit plus en effet sous la dictature de Saddam Hussein, mais qui a subi «
vingt ans de bombardements étatsuniens, d’invasion, d’occupation et de
torture [qui] ont abouti à la perte de leurs maisons, leurs écoles, leur
électricité, leur eau potable, leur environnement, leurs quartiers,
leur archéologie, leurs emplois, leurs technicien-nes, leurs
entreprises, leur santé physique et mentale, leur système de santé, leur
système de protection, leurs droits des femmes, leur tolérance
religieuse, leur sécurité, leurs enfants, leurs parents, leur passé,
leur présent, leur avenir, leurs vies... Plus de la moitié de la
population est soit morte, soit mutilée, en prison ou en exil à
l’étranger... Leur air, leur sol, leur eau, leur sang et leurs gènes
sont imprégnés d’uranium appauvri... Les enfants naissent avec
d’abominables déformations... Des bombes à fragmentation n’attendent
qu’un enfant pour exploser... »
Tout cela pour la
démocratie ? Mais laquelle ? Ou n’est-ce pas plutôt pour que les
Etats-Unis construisent la plus grande ambassade étatsunienne au
Moyen-Orient, puissent contrôler les puits de pétrole, et installer
leurs bases militaires sur le territoire irakien, histoire d’avoir un
œil sur l’Iran ? Il n’a donc pas suffi que l’hégémonisme étatsunien
défigure tout un quartier du Caire en construisant un blockhaus tout en
hauteur dédié à la grandeur de leur diplomatie, il faut essaimer et
porter le modèle du mauvais goût dans toute la région.
En 1945,
l’objectif des bombardements atomiques était de tuer des civils. Les
villes d’Hiroshima et de Nagasaki n’avaient pas été choisies au hasard
ou en raison de bases militaires, elles étaient au Japon parmi les plus
peuplées. L’utilisation de bombes nucléaires était donc une
démonstration de force, qualifiée par le président Truman de « plus grand événement dans l’histoire »,
et destinée à intimider les Soviétiques. D’où la question posée par le
sociologue Kai Erickson dans le livre de Howard Zinn, La bombe. De
l’inutilité des bombardements aériens :
« Dans quel état
d’esprit un peuple essentiellement honnête doit-il se trouver, quel
genre de contorsion morale doit-il accomplir, pour être prêt à anéantir
jusqu’à 250 000 êtres humains dans le seul but de marquer des points ? »
La
démonstration atomique a coûté la vie à des centaines de milliers de
personnes, les 6 et 9 août 1945. Les années suivantes, la mort a
continué de frapper avec la contamination et les radiations subies par
les civils. Il fallait donc une énorme dose de cynisme et d’indifférence
pour oser parler de « plus grand événement dans l’histoire ».
« En une fraction de seconde, dans un rayon de 800 mètres, les personnes exposées à la boule de feu provoquée par Little Boy ont été carbonisées, réduites en amas fumants, leurs organes internes évaporés. […]
Parsemant
rues, ponts et trottoirs d’Hiroshima, ces petits tas noirs se
comptaient par milliers. Au même moment, des oiseaux prenaient feu en
vol. Dans un crépitement, insectes, écureuils, et animaux de compagnie
étaient anéantis. »
(Une femme, alors fillette de 10 ans.) «
Dans l’abri, tout le monde criait à tue-tête […] Je ne sais combien de
fois j’ai imploré qu’on m’ampute les bras et les jambes brûlés. » Howard Zinn, La bombe. De l’inutilité des bombardements aériens
Les
mêmes horreurs se répètent avec les mêmes justifications abominables
pour que la puissance d’un État puisse exercer son droit de «
commettre des atrocités, que ce soit à Auschwitz, à My Lai, en
Tchétchénie, à Waco ou à Philadelphie où les familles membres du groupe
MOVE ont subi les bombes incendiaires de la police. »
Les
bombes sont au cœur de la stratégie militaire étatsunienne, de Hiroshima
à l’Irak, à la Libye aujourd’hui… Mais les Etats-Unis sont un modèle,
et le gouvernement français, entre autres, n’est pas en reste, ni
l’armée israélienne d’ailleurs pendant la guerre au Liban de 2006 ou les
massacres de civils en 2008-2009, durant l’opération « Plomb durci ».
L’industrie
et la technologie militaires ne cessent d’inventer pour tuer toujours
plus de civils, avec l’idée de garantir une hégémonie, une suprématie…
Et si, de surcroît, cela permet de faire marcher le commerce des armes,
c’est tout bénéfice !
Alors la question essentielle, primordiale
demeure : jusqu’à quand allons-nous supporter cette violence et
l’omniprésence du complexe militaro-industriel dans nos sociétés, dans
nos vies ? [1]
Je pense qu’Obama n’a pas de convictions profondes, il ne croit en rien sinon dans le fait d’être président des Etats-Unis. Il me fait peur, c’est une personne vide. C’est juste un show. Je me demande ce que sa femme en pense, elle doit bien le connaître, mais réalise-t-elle a quel point il est vide ? Il aime être président, jouer au basket, manger des hamburgers. Un type ordinaire et c’est ce qui plaît à une partie de la population, il est comme eux, comme elles. Ils et elles ne voient pas combien il est vide, émotionnellement, intellectuellement… |
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- William Blum |
William Blum est écrivain, journaliste, historien. Né en 1933
aux Etats-Unis, il a d’abord l’itinéraire d’un Étatsunien moyen,
anticommuniste et persuadé qu’il vit dans une démocratie idéale. Après
ses études, il travaille pour le Département d’État, dans les services
informatiques. Mais la guerre du Viêt Nam, comme pour beaucoup d’autres,
lui fait prendre conscience des leurres et des « mythes » du
discours officiel. Il devient alors actif dans le mouvement anti-guerre
et quitte le Département d’État en 1967 pour devenir journaliste
free-lance et co-fonder le Washington Free Press, premier journal à
contre courant dans la capitale.
Son
travail se focalise essentiellement sur la critique de la politique
étrangère des Etats-Unis et sur le rôle de la CIA, dont il dénonce les
agissements et les assassinats ciblés et organisés. En tant que
journaliste indépendant, il a travaillé en Europe et en Amérique du Sud,
notamment au Chili. À partir des années 1980, il publie plusieurs
livres, dont Killing Hope : U.S. Military and CIA Interventions Since
World War II qui reçoit un accueil enthousiaste. [2] La production d’un
documentaire, réalisé par Oliver Stone, et basé sur cet essai, n’a hélas
pas abouti.
William Blum fait aussi des conférences sur les
campus universitaires, mais, nous a-t-il confié, depuis 2006, après
qu’Oussama Ben Laden ait recommandé son livre, L’État voyou
(Rogue State : A Guide to the World’s Only Superpower), les universités —
entendez l’administration universitaire — l’invitent beaucoup moins.
De
passage à Paris, le 18 mai dernier, à la veille d’une conférence sur la
politique étrangère et ses mythes, il a accordé un entretien aux
Chroniques rebelles de Radio Libertaire.
Quelles sont les raisons qui vous ont amené à travailler pour le gouvernement et le Département d’État ?
William
Blum : Je voulais travailler dans la politique étrangère et, surtout,
je voulais faire mon devoir, à savoir combattre le communisme. J’étais
un anticommuniste loyal et convaincu.
Vous aviez donc des motivations politiques ?
William
Blum : Tout à fait. J’étais programmateur informatique pour le
Département d’État en attendant de passer le test pour le service de
politique étrangère. Mais la guerre du Viêt Nam est arrivée et tous mes
projets ont été bouleversés. Ma vie a complètement changé. J’étais
absolument contre la guerre et je suis devenu l’un des leaders du
Mouvement anti-guerre à Washington.
Quand cela a-t-il commencé ?
William Blum :
En 1965. Finalement, le service de la sécurité du Département d’État m’a
convoqué. Ils avaient un dossier sur moi et savaient tout, et dans le
détail, de mes activités : les manifestations auxquelles j’avais
participé, les amis que je fréquentais, le courrier que j’envoyais et
que je recevais, les informations envoyées au Washington Post, et même
les articles qui n’étaient pas publiés. À la fin de l’entretien, ils ont
suggéré qu’il serait préférable que je travaille pour le secteur privé.
Une suggestion polie !
Et je suis parti peu de temps après.
En quelle année ?
William
Blum : 1967. Je ne suis resté que deux ans au département d’État. La
guerre a transformé toute ma vie. Avant, comme je l’ai dit, j’étais un
anticommuniste bon teint et loyal.
Comment la guerre a-t-elle modifié vos convictions à ce point ?
William
Blum : La guerre m’a ouvert les yeux. L’on commettait de telles
atrocités alors qu’on nous parlait de la noblesse du combat contre cet
horrible communisme ! Cela m’a fait m’interroger sur ce que pensais
jusqu’alors. Je suis allé à des meetings, j’ai rejoint des groupes de
discussions, des groupes de réflexion marxiste qui m’ont beaucoup
influencé. Par ailleurs, j’ai beaucoup étudié, mais ma prise de
conscience n’a pas fait de moi un communiste. Néanmoins, je n’étais plus
l’Étatsunien loyal que j’avais été.
Dans ces groupes, des personnes vous ont-elles particulièrement influencé ?
William
Blum : J’ai pas mal voyagé pendant quelques années. En fait, j’étais
membre de trois groupes trotskistes, deux à Londres et un à San
Francisco. Mais être membre d’un parti, quel qu’il soit, ne me convenait
pas, il y avait trop de formalités. J’en suis donc sorti et je suis
donc devenu un militant indépendant.
Et en quoi consistait votre engagement, votre façon de militer à cette époque ?
William
Blum : Ma principale occupation à cette époque était d’écrire pour la
presse underground, la presse libre, notamment dans le Washington Free
Press, premier journal alternatif de la capitale dont je suis le
cofondateur. C’est comme cela que j’ai commencé à écrire sérieusement.
Puis j’ai déménagé en Californie, dans la région de la baie de San
Francisco, et j’ai travaillé comme journaliste free-lance, notamment
pour deux journaux de Berkeley. Écrire pour les médias underground, la
presse libre, a été très important pour moi, cela a profondément changé
ma vie et m’a amené à faire des conférences.
Qu’avez-vous
appris sur la politique étrangère qu’il vous a semblé important de
révéler ? Je parle des années 1960 et du début des années 1970.
William
Blum : Ma perception n’était pas celle que j’ai aujourd’hui et j’avais
moins d’éléments pour analyser la situation. Les horreurs perpétrées par
les troupes étatsuniennes durant la guerre au Viêt Nam, au Laos et au
Cambodge, me bouleversaient et je les dénonçais. Mais je n’avais pas
cette perception de l’Empire, donc je n’y étais pas opposé, je n’en
étais même pas conscient. Maintenant je parle sans cesse de l’Empire et
de ce que cela implique au plan de la politique étrangère. Il faut du
temps pour une prise de conscience.
En 1972, je suis parti au
Chili par la route, un long voyage depuis San Francisco. Allende était
au pouvoir. Et cela a été une expérience importante pour moi. J’ai vu en
direct ce qui s’est passé, l’implication de la CIA, la complicité du
gouvernement étatsunien et cela a fortement remis en question mes
notions de libéralisme et de patriotisme. Et je suis devenu extrêmement
critique, non pas anti-étatsunien. Je reprends toujours les personnes
qui me qualifient d’anti-étatsunien, je suis avant tout contre la
politique étrangère des États-Unis.
Vous parlez de l’Empire, vous avez étudié cette notion, mais qu’en est-il de l’impérialisme ? Utilisez-vous cette expression ?
William
Blum : J’ai beaucoup discuté de cette expression dans les années 1970,
dans les groupes de réflexion auxquels je participais, j’ai lu Marx et
d’autres penseurs sur la question. Mais, petit à petit et
inéluctablement, j’ai pensé que la notion d’Empire était plus claire et
plus descriptive pour la politique étrangère des Etats-Unis, dénuée de
toute moralité en dépit des déclarations officielles.
Qu’est-ce
qui a changé depuis la guerre du Viêt Nam, depuis les années 1960 et
1970 ? Quels ont été les changements dans la politique étrangère des
Etats-Unis ?
William Blum : C’est pire. Toutes nos
interventions ressemblent à présent à des expéditions de meurtres de
masse sans raisons. Les raisons officielles pour « aider les populations
» sont des mensonges. Nous envoyons des milliers de bombes, de rockets
sur les pays… Comment pouvons-nous prétendre éviter de tuer les civils ?
Je ne veux pas donner l’impression de toujours répéter la même chose,
mais ma perception est de plus en plus dure.
Quelles sont les raisons qui font que la situation a empiré ?
William
Blum : Je ne pense pas que le fondement de la politique étrangère
étatsunienne ait réellement changé. Il n’y a pas grande différence entre
la politique étrangère de Johnson, de Bush et d’Obama. Ce que l’on peut
affirmer, c’est que les médias de masse sont pires. Dans les années
1960 et 1970, il était possible de lire un article à contre courant, qui
donnait une perspective différente de l’histoire officielle, mais à
présent non. Je lis le Washington Post tous les jours, la politique
étrangère et les éditoriaux ne présentent jamais qu’une seule version
des faits, des analyses. Il y a un ou deux journalistes de politique
étrangère qui, de temps en temps, écrivent un article un peu plus
analytique, mais c’est rare.
Le gouvernement a critiqué le
Venezuela et le gouvernement Chavez pour la suppression de médias. Mais
le Venezuela a une presse d’opposition que nous n’avons pas. Aucun
quotidien ne s’est opposé à la guerre en Irak ou au bombardement de la
Yougoslavie. Il existe pourtant pas moins de 1400 journaux, mais aucun
en opposition avec les positions officielles. Je parle de ce problème
dans mes conférences et je demande à ce que l’on me donne des exemples
contraires. Une seule fois, quelqu’un m’a cité un journal qui s’était
opposé à la guerre en Irak. Un seul exemple sur des milliers de
publications. Il est étonnant de voir à quel point la population
étatsunienne ignore combien elle est manipulée.
En
dehors des décisionnaires, des institutions, le public en général
semble, d’après ce que vous dîtes, gardé encore plus qu’auparavant dans
l’ignorance ?
William Blum : Même s’il y a Internet, la
population est gardée dans l’ignorance. Le mythe principal se résume à
quoique nous fassions à l’étranger, nos intentions sont bonnes. Nous
sommes le Bien. Et si vous essayez de dire le contraire, c’est comme si
vous parliez à un mur de pierres. Peu importe ce que nous faisons et ce
qui arrive réellement, nos intentions sont honorables. C’est ce que je
tente d’expliquer et d’analyser dans mes écrits et mes conférences, à
chaque fois que je parle à un public.
Vous pensez que les décisionnaires sont cyniques ?
William Blum : Oui, même si je n’utilise pas ce terme.
Autrement dit, ils se moquent complètement des conséquences humaines de leurs décisions.
William
Blum : Absolument. Ils veulent seulement faire avancer les buts de
l’Empire. Quand ils interviennent, c’est uniquement pour obtenir plus de
bases militaires, un accès au pétrole… En Afghanistan, une fois Ben
Laden mort, les gens ont pensé qu’il n’était pas nécessaire d’y rester
et de conserver des troupes sur place. Mais nous n’étions pas en
Afghanistan à cause de Ben Laden ! Cela n’a jamais été le cas !
L’important est d’avoir des bases militaires en Afghanistan, pour être
près de l’Iran. C’est la véritable raison, car l’Afghanistan est un
espace stratégique, au milieu de territoires où se trouvent les plus
grandes réserves de pétrole, dans la mer Caspienne et dans la région du
Golfe. Le pétrole et le gaz sont vitaux.
Les compagnies
pétrolières ont tenté d’établir des rapports avec les autorités, du
temps des Talibans, mais sans succès. Éventuellement, le gouvernement
étatsunien passera un accord avec les Talibans. Il faut comprendre que
le gouvernement se moque complètement des agissements des Talibans tant
que cela lui rapporte et sert ses plans dans la région. En l’occurrence
passer un marché afin qu’il n’y ait pas d’attaque contre l’acheminement
du pétrole et du gaz provenant de la région de la mer Caspienne.
Des
économistes et des spécialistes en science politique étatsuniens et
européens prétendent que les Etats-Unis n’ont plus besoin de ce pétrole.
William
Blum : Le pétrole est valable, c’est une arme du pouvoir. Noam Chomsky
se plaît à dire que si la principale richesse de l’Irak avait été la
culture des bananes, il n’y aurait certainement pas eu d’invasion de
l’Irak. C’est la même chose pour l’Afghanistan. Sa localisation est très
importante pour l’Empire.
Pensez-vous que c’est le début de la fin de l’Empire ?
William
Blum : Je pense que l’opposition grandit dans le monde vis-à-vis de la
politique des États-Unis. On parle plus à présent de la souffrance
provoquée par les Gis et beaucoup de soldats qui reviennent du front
l’évoquent aussi. Je ne peux pas prédire le déclin de l’Empire et sa
fin, je n’y assisterai sans doute pas. Mais tous les empires
s’écroulent, la question est : quand ?
Pensez-vous que les Etats-Unis sont plus fragiles actuellement au plan économique ?
William
Blum : On parle beaucoup de la faiblesse du dollar, mais ce n’est ni le
gouvernement ni les classes supérieures qui en souffrent. Cette
situation peut durer ainsi indéfiniment même si cela est de plus dur
pour la population.
Les récents événements en Afrique du Nord peuvent-ils apporter des éléments d’espoir pour un changement positif ?
William
Blum : J’aimerais le penser. Mais c’est complexe, car si l’on prend la
Libye qui, ironiquement, était le pays avec le meilleur standard de vie
de la région et un gouvernement séculaire, la Libye aurait dû être le
dernier pays à être attaqué par la coalition. Pourtant il l’est, encore
une fois pour des raisons « humanitaires ». Qu’est-ce que cela signifie ?
L’Irak a aussi été attaqué pour des raisons « humanitaires », l’Irak était également un pays prospère.
William
Blum : L’Irak et la Libye étaient deux pays prospères et séculaires et
nous les avons mis dans le même panier. J’ai fait une longue liste de ce
que la population irakienne a perdu. [Vingt ans de bombardements
étatsuniens, d’invasion, d’occupation et de torture ont abouti à la
perte de leurs maisons, leurs écoles, leur électricité, leur eau
potable, leur environnement, leurs quartiers, leur archéologie, leurs
emplois, leurs techniciens, leurs entreprises, leur santé physique et
mentale, leur système de santé, leur système de protection, leurs droits
des femmes, leur tolérance religieuse, leur sécurité, leurs enfants,
leurs parents, leur passé, leur présent, leur avenir, leurs vies... plus
de la moitié de la population est soit morte, mutilée, en prison ou en
exil à l’étranger... Leur air, leur sol, leur eau, leur sang et leurs
gènes sont imprégnés d’uranium appauvri... les enfants naissent avec
d’abominables déformations... des bombes à fragmentation n’attendent
qu’un enfant pour exploser...] Je l’ai publié dans ma lettre
d’information mensuelle, The Anti-Empire Report.
J’aimerais vous poser une question sur vos écrits, que je
trouve exceptionnels par leur clarté et leur lucidité, avez-vous une
méthode ?
William Blum : Tout d’abord merci de cette
question, car c’est tout à fait mon objectif : être clair, précis et
ajouter un peu d’humour quand cela est possible. Il est facile de
devenir un dénonciateur tonitruant de l’impérialisme, mais j’essaie
d’éviter cela.
Vous avez aussi une profonde connaissance
des institutions, c’est ce qui ressort de votre livre, Killing Hopes,
qui est une source inestimable pour comprendre la politique étrangère
des États-Unis.
William Blum : Je suis un vieil homme et j’ai des archives dont je me sers sans cesse. Il m’arrive d’ailleurs de me citer.
Sur
la situation en Égypte. Pensez-vous qu’il peut y avoir un changement
concernant l’ouverture de la frontière entre l’Égypte et Gaza ? P
ensez-vous que l’on peut espérer un changement de politique vis-à-vis de
la population palestinienne de la part des Etats-Unis ?
William
Blum : Je ne suis pas plus capable qu’un autre de prédire ce qui va se
passer. J’espère qu’il y aura des améliorations, mais l’armée au pouvoir
en Égypte ne semble pas particulièrement libérale ou progressiste. Les
gens sont toujours arrêtés et torturés. Mais le fait qu’ils ouvrent la
frontière entre l’Égypte et Gaza, c’est encourageant.
Cela
peut-il avoir un impact sur l’attitude des Etats-Unis vis-à-vis de la
population palestinienne pour un règlement de la situation ?
William
Blum : Le gouvernement étatsunien est prisonnier du lobby israélien et
les signes d’un changement sont invisibles. Mais tout peut
éventuellement changer. Obama est cependant autant l’esclave d’Israël
que l’était Bush. L’influence du lobby israélien sur les politiciens est
incroyable. Cela fait peur.
Je ne sais pas si vous l’avez écrit, mais beaucoup disent qu’Obama est pire que Bush.
William
Blum : J’ai dit que sa politique est la même que celle de Bush. Je
pense qu’Obama n’a pas de convictions profondes, il ne croit en rien
sinon dans le fait d’être président des Etats-Unis. Il me fait peur,
c’est une personne vide. C’est juste un show. Je me demande ce que sa
femme en pense, elle doit bien le connaître, mais réalise-t-elle a quel
point il est vide ? Il aime être président, jouer au basket, manger des
hamburgers. Un type ordinaire et c’est ce qui plaît à une partie de la
population, il est comme eux, comme elles. Ils et elles ne voient pas
combien il est vide, émotionnellement, intellectuellement…
Vous voulez dire que c’est une marionnette ?
William
Blum : Il n’a pas à faire la marionnette, il est comme ça. Il sait,
vous savez, je sais comment un président des Etats-Unis doit se
comporter en matière de politique étrangère. Il n’y a aucun mystère. Il
sait ce qu’il doit dire ou ne pas dire, ce qu’il doit faire ou ne pas
faire. Il connaît les règles et ne se pose aucune question. Il joue son
rôle comme tous les présidents qui l’ont précédé.
C’est
une question intéressante et quand vous dîtes qu’Obama est vide, je suis
quasiment d’accord, mais n’est-ce pas une décision personnelle de
devenir vide ?
William Blum : C’est une réflexion
profonde, mais je ne vois pas un enfant se dire consciemment qu’il veut
devenir quelqu’un de vide en grandissant ! (rires)
Non j’ai dit inconsciemment !
William
Blum : Le processus est inconscient, mais qui sait ? Et ce n’est pas
important. Je pense qu’Obama à beaucoup à cacher. Sa mère et lui-même
ont travaillé pour la CIA pendant des années, pour la Fondation Ford
aussi. Quand Obama était à New York par exemple. Je n’ai toujours pas
compris pourquoi il a été choisi comme candidat à la présidence, mais je
pense que ses liens comme ceux de sa mère avec la CIA ont joué un rôle
dans ce choix pour la candidature présidentielle.
Traduction, transcription, notes, CP.
[1] ▪ 1986 : The CIA : A Forgott en History (Zed Books)
▪ 2000 : Rogue State : A Guide to the World’ Only Superpower (Common Courage Press)
▪ 2002 : West-Bloc Dissid en t : A Cold War Memoir (Soft Skull Press)
▪ 2003 : Killing Hope : U.S. Military and CIA Interv en tions Since World War II, revised edition (Common Courage Press)
▪ 2004 : Freeing the World to Death : Essays on the American Empire (Common Courage Press)
Traductions françaises :
▪ Les Guerres scélérates (Parangon, 2004)
▪ L’État voyou (Parangon (2002)
▪ Mythes de l’Empire (Ad en )