Entre clientélisme et affairisme: Les sept vies de Cavaye Yeguié Djibril

Yaoundé, 28 mars 2013
© Max Mpandjo | L'Indépendant

Le feuilleton de l’investiture des candidats aux sénatoriales n'en finit pas de dominer l’actualité politique et de laisser des fissures.

Le feuilleton de l’investiture des candidats aux sénatoriales n'en finit pas de dominer l’actualité politique et de laisser des fissures. Il en est des barons du parti au pouvoir comme de célèbres inconnus en mal de reconnaissance et d'un adoubement par le Sénat. ELECAM a eu la main particulièrement lourde. Des trois factions de l'UPC aux quatre listes du RDPC dans des Régions emblématiques de L'Est, de l'Ouest, de l’Extrême-Nord et de l'Adamoua, bon nombre de listes fantaisistes sont passées à la trappe d'ELECAM, en attendant la traque de la Cour suprême siégeant comme Conseil Constitutionnel. Dans le processus de reconstruction, mieux de la mise en place du dispositif institutionnel prévu par la Constitution de 96, si les choses ne bougent pas au goût des observateurs lucides du landernau politique national, le moins qu'on puisse dire c'est que rien ne sera plus comme avant.


1.- On prend les mêmes et on recommence

Le doyen d'âge de l'Assemblée nationale a été sous les feux de la rampe. Pendant deux semaines, il a présidé le Bureau de l'Assemblée nationale où la chute annoncée de Cavaye a finalement accouché d'un mulot. De conciliabules en conciliabules, le groupe parlementaire du RDPC, réuni au Palais des Congrès, a entretenu inutilement le suspense. Recalé aux sénatoriales, on le disait en disgrâce. Vomi par sa base sociologique où la dissidence des Adama Modi, Sali Daïrou,Kamssouloum Aboubakar est particulièrement féroce, Cavaye Yeguié Djibril a déjoué tous les pronostiques en se maintenant au perchoir. Mais pour combien de temps encore? Bien malin qui pourrait le dire.

Au début des années 70, lorsque ce Maître adjoint d'EPS, originaire du Mayo-Sawa dans l'Extrême-Nord, est élu comme député à l'Assemblée nationale, c'est les années de plomb du parti unique. Mais en consultant les minutes de l'Assemblée nationale de cette époque, on est agréablement surpris par le niveau des débats, la qualité des contributions des députés qui étaient à peine titulaires d'un diplôme de l'Enseignement Secondaire. Ces parlementaires faisaient honneur à leurs aînés, les Charles René Guy Okala, les Charles Salé... qui n'étaient pas forcément des "têtes trop pleines", mais plutôt des "têtes bien faites". Plus l'Assemblée nationale a vu des hommes et des femmes bardées de diplômes arriver en son sein, plus le niveau des débats a perdu de sa hauteur. Après la mode des Présidents de l'Assemblée nationale (PAN) du Cameroun Occidental (Tamden Muna, Fonka Sha Lawrence), un francophone hérite du perchoir en 92, au plus fort des années de braises. Les Camerounais découvrent alors la voix monocorde de ce PAN au physique filiforme de sahélien pur. Pendant deux décennies, il aura survécu à toutes les bourrasques, servant de soupape au pouvoir face aux courants contestataires d'une Assemblée nationale dans laquelle le retour au pluralisme ne s'est pas fait sans heurts. Trop lisse et trop consensuel pour certains, véritable carnassier des steppes qui dévore ses rivaux politiques avec une agilité rare, le PAN actuel doit sa longévité beaucoup plus à la volonté d'un homme qui l'a fait roi parmi des prétendants certainement plus valeureux. Ses réélections successives se confondent donc beaucoup plus à des nominations télécommandées du sommet de l'Etat. Même les scandales, d'affairismes, trafic de voitures, marchés fictifs, achats de concours à la Faculté de Médecine et autres feuilletons sulfureux n'ont pas réussi à le mettre en disgrâce, auprès de son mentor. Et les batailles d'égo dans son Extrême-Nord natal ont révélé des personnalités plus fortes et plus charismatiques.

Mais à chaque fois, comme dans un exercice de prestidigitation digne d'un numéro de cirque des tropiques, Cavaye Yeguié rempile toujours au perchoir de l'Assemblée nationale, soutenu par une main invisible.


2.- Le pacte Nord-Sud

Sous le premier régime, c'est un secret de polichinelle de reconnaître que le Président Ahidjo, Foulbé lui-même, a participé à la promotion des hommes originaires de son aire culturelle. Ils n'étaient pas plus méritants que les Kirdi, Moudan... Mais cela procédait d'une logique de domination que les ethnologues ont identifié dans les logiques de pénétration impérialistes qui ont instrumentalisé l'ethnie. Les exemples sont légions et les traumatismes encore profonds au Rwanda par exemple (affrontements Hutu et Tuti ayant débouché sur un génocide atroce, pour ne pas dire plus).

En faisant éclater la région septentrionale en trois Régions, le Président Paul Biya est celui qui a favorisé la promotion d'autres élites du Grand Nord. Au Nord particulièrement, ces rivalités ethniques ont été exacerbées à l'intérieur même du groupe foulbé entre famille dite noble et famille de roturier. Une fois de plus, Paul Biya a brisé ce clivage en permettant l'émergence d'un Marafa Hamidou Yaya par exemple, qui n'est pas de la famille Hayatou. Dans sa première lettre au Chef de l'Etat, Marafa agite des idées sibyllines de mesquinerie lorsqu'il soutient qu'en 1982, il a couru derrière le cortège du Chef de l'Etat, et à cette époque, il était fier du Cameroun. Voilà donc un roturier qui a tout reçu d'un régime qu'il voue aux gémonies aujourd'hui.

Lorsqu'il accède au pouvoir, Paul Biya hérite d'un PM foulbé qui n'a que 36 ans et qui est le protégé de son prédécesseur. Après les malheureux événements du 6 avril 1984, et son exil nigérian, Bello Bouba réussira à évincer Samuel Eboa de la tête de l'UNDP qui a été en fait bâtie sur la base d'un rassemblement des nostalgiques du premier régime. En passant donc du parti unique au multipartisme, Paul Biya ne pouvait pas cracher sur ce véritable bassin électoral que constitue le Grand Nord en termes de densité démographique et de probables électeurs. Très vite, les calculs électoralistes ont supplanté des logiques de hiérarchisation des groupes ethniques. Les fils du Nord ont été franchement gâtés par le Renouveau, en termes de promotions sociales. La redistribution des cartes politiques et des fonctions sensibles de la haute administration a tenu compte de ces jeux d'équilibre. Bien plus, l'idée d'un pacte secret entre Ahidjo et Biya resurgi aujourd'hui avec persistance. Comme si le Nord réclamait légitimement de reprendre les avant-postes et même le fauteuil de Président de la République. Sinon, comment comprendre l'extrême frilosité qui s'est emparée du PAN qui a voulu transmuter de l'Assemblée nationale au Sénat, en visant probablement le siège très convoité de Président de la Chambre Haute, constitutionnellement la 2e personnalité de la République. Si on n'y fait garde, entre un Grand Nord qui ronge chaque jour les freins de l'impatience, et un Sud qui a trop longtemps goûté aux délices du pouvoir, l'affrontement risque d'être extrêmement brutal, en réveillant les velléités revanchardes et les rancœurs du 6 avril 1984.


3.- L'audace d'ELECAM et de la Cour suprême

Sur la quarantaine des candidatures aux sénatoriales issues de huit partis politiques, la moitié a été recalée par le filtre d'ELECAM. Des motifs comme la nationalité douteuse, au non paiement de la caution, des défauts d'équilibre de genre et de parité, aux CV mêmes des candidats, ELECAM a été sans complaisance. Une attitude saluée dans beaucoup de chaumières où le bal des saltimbanques observé dans la scène politique a entrainé un certain désenchantement et une désaffection vis-à-vis de la politique. Toutes choses qui justifient le scepticisme actuel des citoyens à s'inscrire sur les listes électorales. Au-delà de la fiabilité du processus électoral, ces aventuriers qui encombrent le landerneau politique ont en plus discrédité le prestige de nos politiques. A une élection aussi importante que la présidentielle, des hommes appâtés par la cagnotte de financement des élections sont passés à la caisse. Ces politiciens du dimanche ont très vite fait de tenir un ou deux meetings dans les artères bruyantes de nos métropoles, certainement pour justifier l'utilisation de l'argent du contribuable. Il faut mettre fin à tant de légèreté et de roublardise. Depuis Platon dans la République, la politique est un noble métier. Si son rêve de voir les rois devenir philosophes et des philosophes devenir rois est aujourd'hui plus qu'improbable, la politique n'en demeure pas moins au-delà de la gestion de la cité, la recherche du bien commun. Tous ces aventuriers qui empestent le giron politique, font en fait trop de mal au Cameroun et à son avenir. Chapeau donc à ELECAM! Le spectacle de ces trois factions de l'UPC était à la fois obscène et caricatural. Au regard de la loi électorale, les partis recalés avaient 48 heures pour faire recours auprès de la Cour suprême, faisant office de Conseil Constitutionnel.

Connaissant la rigueur des membres de cette auguste Cour, ces recours ont peu de chances de prospérer. Il est grand temps que chez nous, la politique se fasse aussi autrement.


4.- La redistribution des cartes politiques

En poussant plus loin l'analyse, la mise sur pied du Sénat va forcément entrainer une redistribution des cartes politiques au Cameroun. Elle sera d'abord perceptible à travers les 30 sénateurs nommés par le Chef de l'Etat. Paul Biya va-t-il privilégier des logiques clientélistes et de cooptation? Va-t-on assister au retour en grâce des barons longtemps au garage? Autant de préoccupations dont le dénuement va dévoiler le cap choisi par le Prince.

La fixation actuellement observée autour du poste de Président du Sénat, procède de cette logique de positionnement. L'après Biya a-t-il donc déjà commencé? En tout cas, le Président du Sénat ne sera pas un homme banal. Si au plan strictement administratif, le SGPR continuera à demeurer le vice-dieu, au plan politique en revanche, le Président du Sénat sera la 2e personnalité de la République. C'est elle qui assure l'intérim en cas de vacance de pouvoir et organise l'élection présidentielle sans pouvoir elle-même postuler. Mais dans l'intermède de l'intérim, que de choses peuvent se passer... Le Président par intérim peut par exemple remanier le Gouvernement, positionner des affidés, et même manœuvrer en vue de placer un Président de la République de façade, véritable marionnette qui lui devra tout. A la tête du Sénat et du futur Conseil Constitutionnel en gestation, il faudra donc des hommes et des femmes de qualité. Les exemples gabonais, ivoirien, béninois nous enseignent chaque jour qu'en ces circonstances où l'histoire se fige, il suffit de la moindre incartade pour que le destin des peuples bascule dans un cauchemar.


5.- Le RDPC survivra-t-il à Paul Biya?

Il y a 28 ans, jour pour jour, le RDPC sortait des fonts baptismaux à Bamenda. Une naissance qui a longtemps nourri la polémique. Certains analystes soutiennent que c'est l'UNC qui a simplement changé de dénomination. Le RDPC héritait en fait de toute l'infrastructure immobilière et probablement de tout le capital humain de l'UNC. En dehors des postures idéologiques dont le divorce est criard entre la théorie et la pratique, le RDPC est passé du rêve à la désillusion. Ses figures les plus emblématiques ont été rattrapées par l'Opération Epervier. Entre des rénovateurs (Ateba Eyene, Messanga Nyamdi), combattus par des conservateurs, et les multiples arbitrages du Président national, des fissures profondes se sont créées. Les valeurs de mérite, de probité et de loyauté ont souvent été foulées aux pieds par l'esbroufe de toutes ces grosses légumes qui ne tiennent leur légitimité que des réseaux et des cercles mystico-religieux. Des hommes qui se sont investis pendant des années de braises, sont aujourd'hui de véritables oubliés du parti au pouvoir. De Hubert Mono Ndzana à Gisbert Tsala Ekani, c'est autant de destins qui ont été brisés par des logiques de promotion qui défient la logique elle-même et le simple bon sens.

Contrairement aux années précédentes, le 28e anniversaire a laissé moins de place au folklore, aux ripailles et aux beuveries. Mais 28 ans après sa création, le RDPC reste traversé par autant d'états-majors internes qui se regardent en chiens de faïence. Les différentes candidatures aux sénatoriales ont démontré toutes ces rivalités qui bouillonnent au sein du RDPC comme le magma dans un volcan éteint.


31/03/2013
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