Enoh Meyomesse: Ma vie a Kondengui
YAOUNDE - 10 JUILLET 2012
© Enoh Meyomesse | Le Jour
MA VIE EN PRISON
Enoh Meyomesse
Mes premiers jours ont été difficiles à Kondengui, où je suis arrivé jeudi 22 décembre 2011 à 14 heures, quoique, en comparaison aux trente passés en garde à vue dans le noir total à Bertoua, il n’y avait pas photo. C’était le jour et la nuit. N’empêche, ainsi qu’il est de règle, en atterrissant dans cette prison, j’ai été, dès l’entrée, dépouillé de bien de choses, et notamment, mes téléphones portables (les gardiens de prison les ont purement et simplement volés), ma ceinture, mes clés USB, et divers autres effets personnels, au motif que tout cela était interdit dans la prison. Ce n’est pas tout, les gardiens de prison, cette véritable teigne pour la plupart d’entre eux, m’ont extorqué pas moins de douze mille francs avant de quitter la première cour de la prison baptisée ‘cour d’honneur’, et interdite aux détenus, pour la seconde qui elle, ne porte pas de nom, et qui débouche sur les différents ‘quartiers’ de la prison.
Après la séance d’enregistrement par le personnel pénitencier, j’ai échoué au quartier 4, autrement appelé ‘cellule de passage’. C’est dans celle-ci que sont affectés les entrants, en attendant de leur trouver une place dans l’un des autres quartiers. Accueil par le ‘commandant’ et le ‘maire’ du quartier qui m’assènent le ‘règlement’. Tout se paie. Pour commercer, j’ai été astreint à une séance de coiffure obligatoire à mes frais, pour être ‘propre’. Boule zéro. Prix : 500F. Ensuite, frais de ‘mairie’. Prix : 15000F, faute de quoi, affectation dans la cellule sans lit ni lumière. Aïe ! Encore le calvaire de Bertoua ! Non. Je débourse à toute vitesse la somme sans discuter. Ensuite encore, il m’est rappelé que je ne dois, sous aucun prétexte, quitter la ‘cellule de passage’. Pas question d’aller vadrouiller dans la coure come tout le monde. En clair, je me retrouve en prison dans la prison.
Ensuite encore et encore, si je désire m’asseoir dans le réduit où est placée la télévision, je dois payer à chaque fois 500F. Ensuite encore, encore, encore et encore… Il faut payer ci, il faut payer ça. De l’argent, de l’argent, toujours de l’argent. De l’arnaque en continu. Sur ces entrefaites, de grosses bassines en aluminium sont introduites dans la cour exiguë de la ‘cellule de passage’. Leur contenu ? La fameuse ‘ration pénale’. De la nourriture pour chiens de pauvres, car ceux des riches n’en mangeraient pas. Il s’agit d’un mélange de maïs et de haricots bouilli à l’eau sans sel. Dégeulasse. 22h. Tout le monde couché. Je suis affecté à un lit déjà occupé par une personne. Nous dormons à deux et à l’envers. J’ai ses pieds au niveau de mon nez, et vice-versa. Bonjour les moustiques. Que dire alors des cafards et des rats ont certains ne sont pas loin de ressembler à des sangliers ?
Je passerai 38 jours dans cet endroit infecte, mais mille fois plus confortable que ma cellule de garde à vue à la gendarmerie de Bertoua. Quarante trois mille francs extorqués pour me faire ‘muter’ dans un quartier convenable, le quartier 3. En ces lieux, même chose. Quinze mille francs pour être accepté dans un local pour ‘personnes respectables’, trois mille cinq cents francs pour les frais de ‘mairie’ du quartier 3, trois mille cinq cent francs de nouveau pour ceux du local où j’ai été affecté. Total, vingt deux mille francs. En y ajoutant la somme déboursée pour quitter la ‘cellule de passage’, plus les 12000 francs extorqués par le gardien. Le jour de mon admission, je me suis retrouvé à sortir de ma poche la somme de 77000F. Traduction, à Kondengui, vaut mieux ne pas être pauvre. Je n’aurais pas payé cet argent ? J’aurais été ‘muté’ au terrible quartier du ‘Kosovo’ tant redouté des prisonniers. Les détenus y sont entassés à 80 voire 100 dans des chambres de quinze lits… 65 à 85 personnes dorment ainsi en plein air dans la cour du quartier. Bonjour le sol ! Bonjour l’homosexualité ! Bonjour les agressions ! Bonjour les lames de rasoir ! Bonjour les cuillers limées et transformées en canifs ! Un enfer…
Me voilà enfin disposant d’un lit à moi tout seul et dans un chambre pour ‘personne respectable’. Mes cochambriers le sont effectivement. Pas d’engeulades, pas d’injures, pas de bagarre, pas de drogue, pas d’alcool, pas d’homosexualité, comme dans la plupart des autres chambres. Je dispose d’un récepteur télé à moi tout seul que je loue à la semaine.
Mes journées se déroulent dans une monotonie mourante, telle les heures d’une horloge. Réveil forcé à 4 h du matin par le brouhaha du chant des catholiques qui entament leur messe matinale dans la cour du quartier, indifférents au sommeil des autres détenus. Plus moyen de dormir, car dès qu’il arrêtent, les pentecôtistes prennent le relais avec le leur. Lorsque eux aussi cessent vers 5 h 30, les protestants classiques enchainent. Ils clôturent leur vacarme à eux aux environs de 6 h. Oser leur demander de moins brailler ? C’est un flot d’injures qui vous est balancé à la figure. Descente du lit, ablutions matinales. 6 h 45-7 h. Coups de sifflets stridents. ‘Le parquet !’, ‘le parquet !’ Un prisonnier auxiliaire de l’administration pénitentiaire égrène les noms des personnes convoquées au parquet pour leurs dossiers, instruction ou jugement. 7 h 30, petit déjeuner, le pain n’étant pas livré plut tôt. Puis, revue de la presse de Canal 2 International. 8 h. Direction bibliothèque de la prison. Lecture et écriture jusqu’à 14 h-15 h. Retour à la chambre. Repas. Distraction. 17 h. Nombreux coups de sifflet stridents. ‘Effectifs !’ ‘Effectifs !’ Tout le monde dans les chambres. C’est l’heure de décompte des prisonniers. Il faut s’assurer que personne n’est parvenu à se sauver. 20 h. Repas. 22 h. Tout le monde au lit. Plus personne dans la cour du quartier.
Les jours de visite à savoir, mardi, jeudi, et dimanche, sont spéciaux pour les détenus. C’est l’occasion de contact avec la famille et les amis. Mais ces jours-là sont ordinaires pour moi, car ma famille m’a totalement abandonné, elle ne me rend pas visite. ‘Avec les histoires de politique et de livres où tu critiques Paul Biya…’, telle est son argumentation. Les amis, en revanche, ne m’ont point abandonné. C’est grâce à leur soutien financier que je me nourris, que j’évite de consommer la dégeulasse ‘ration pénale.’ Pour des besoins de sécurité, il m’a été conseillé de ne pas faire moi-même ma cuisine comme la plupart des détenus qui refusent d’ingurgiter la ‘ration pénale.’ Motif ? Un empoisonnement surviendrait inévitablement. Alors, je consomme la nourriture préparée par les restaurants de fortune que tiennent des prisonniers à l’intérieur des quartiers.
Au début, les autres détenus me manquaient de considération. Dans la cour, ils me bousculaient pour me faire les poches. Une fois en prenant mon bain, l’un d’eux a volé mon monceau de savon sans que je ne m’en rende compte. J’ai également failli être victime d’agression. Pui, la télévision, la radio et la presse évoquant continuellement ma situation, leu regard a radicalement changé. A présent, c’est tout le monde qui m’appelle respectueusement et affectueusement ‘président’, ou alors ‘le Vieux’, à cause de mes cheveux blancs. Même les gardiens de prison, au début plutôt méprisants à mon endroit, ont également totalement changé. Je me retrouve ainsi dans une sorte de protection inattendue de la part des autres codétenus. Un jour, l’un d’eux faisant des exercices physiques dans la cour intérieure de la prison, m’a malencontreusement bousculé. Il s’en est fallu de peu pour qu’il ne soit pas lynché par les autres prisonniers. ‘Ne t’amuse pas avec notre Vieux…’
Mais ce dont je souffre le plus, c’est de ma vue qui, à la suite de mes 30 jours dans le noir total à Bertoua, est en train de s’en aller. Ma plus grande inquiétude en ce moment est de sombrer, sous peu de temps, dans la cécité. En prison, il n’existe pas d’ophtalmologue. Il faut pour cela que je sois conduit dans un hôpital. Tant que je suis en détention préventive, pas question. Seuls les condamnés sont autorisés à sortir pour un hôpital. Alors, tant que je ne serais pas, soit condamné, soit libéré, pas de soin possible… C’est le règlement de la prison.
© Enoh Meyomesse | Le Jour
"si
je désire m’asseoir dans le réduit où est placée la télévision, je dois
payer à chaque fois 500F. Ensuite encore, encore, encore et encore… Il
faut payer ci, il faut payer ça. De l’argent, de l’argent, toujours de
l’argent. De l’arnaque en continu."
Enoh Meyomesse
Mes premiers jours ont été difficiles à Kondengui, où je suis arrivé jeudi 22 décembre 2011 à 14 heures, quoique, en comparaison aux trente passés en garde à vue dans le noir total à Bertoua, il n’y avait pas photo. C’était le jour et la nuit. N’empêche, ainsi qu’il est de règle, en atterrissant dans cette prison, j’ai été, dès l’entrée, dépouillé de bien de choses, et notamment, mes téléphones portables (les gardiens de prison les ont purement et simplement volés), ma ceinture, mes clés USB, et divers autres effets personnels, au motif que tout cela était interdit dans la prison. Ce n’est pas tout, les gardiens de prison, cette véritable teigne pour la plupart d’entre eux, m’ont extorqué pas moins de douze mille francs avant de quitter la première cour de la prison baptisée ‘cour d’honneur’, et interdite aux détenus, pour la seconde qui elle, ne porte pas de nom, et qui débouche sur les différents ‘quartiers’ de la prison.
Après la séance d’enregistrement par le personnel pénitencier, j’ai échoué au quartier 4, autrement appelé ‘cellule de passage’. C’est dans celle-ci que sont affectés les entrants, en attendant de leur trouver une place dans l’un des autres quartiers. Accueil par le ‘commandant’ et le ‘maire’ du quartier qui m’assènent le ‘règlement’. Tout se paie. Pour commercer, j’ai été astreint à une séance de coiffure obligatoire à mes frais, pour être ‘propre’. Boule zéro. Prix : 500F. Ensuite, frais de ‘mairie’. Prix : 15000F, faute de quoi, affectation dans la cellule sans lit ni lumière. Aïe ! Encore le calvaire de Bertoua ! Non. Je débourse à toute vitesse la somme sans discuter. Ensuite encore, il m’est rappelé que je ne dois, sous aucun prétexte, quitter la ‘cellule de passage’. Pas question d’aller vadrouiller dans la coure come tout le monde. En clair, je me retrouve en prison dans la prison.
Ensuite encore et encore, si je désire m’asseoir dans le réduit où est placée la télévision, je dois payer à chaque fois 500F. Ensuite encore, encore, encore et encore… Il faut payer ci, il faut payer ça. De l’argent, de l’argent, toujours de l’argent. De l’arnaque en continu. Sur ces entrefaites, de grosses bassines en aluminium sont introduites dans la cour exiguë de la ‘cellule de passage’. Leur contenu ? La fameuse ‘ration pénale’. De la nourriture pour chiens de pauvres, car ceux des riches n’en mangeraient pas. Il s’agit d’un mélange de maïs et de haricots bouilli à l’eau sans sel. Dégeulasse. 22h. Tout le monde couché. Je suis affecté à un lit déjà occupé par une personne. Nous dormons à deux et à l’envers. J’ai ses pieds au niveau de mon nez, et vice-versa. Bonjour les moustiques. Que dire alors des cafards et des rats ont certains ne sont pas loin de ressembler à des sangliers ?
Je passerai 38 jours dans cet endroit infecte, mais mille fois plus confortable que ma cellule de garde à vue à la gendarmerie de Bertoua. Quarante trois mille francs extorqués pour me faire ‘muter’ dans un quartier convenable, le quartier 3. En ces lieux, même chose. Quinze mille francs pour être accepté dans un local pour ‘personnes respectables’, trois mille cinq cents francs pour les frais de ‘mairie’ du quartier 3, trois mille cinq cent francs de nouveau pour ceux du local où j’ai été affecté. Total, vingt deux mille francs. En y ajoutant la somme déboursée pour quitter la ‘cellule de passage’, plus les 12000 francs extorqués par le gardien. Le jour de mon admission, je me suis retrouvé à sortir de ma poche la somme de 77000F. Traduction, à Kondengui, vaut mieux ne pas être pauvre. Je n’aurais pas payé cet argent ? J’aurais été ‘muté’ au terrible quartier du ‘Kosovo’ tant redouté des prisonniers. Les détenus y sont entassés à 80 voire 100 dans des chambres de quinze lits… 65 à 85 personnes dorment ainsi en plein air dans la cour du quartier. Bonjour le sol ! Bonjour l’homosexualité ! Bonjour les agressions ! Bonjour les lames de rasoir ! Bonjour les cuillers limées et transformées en canifs ! Un enfer…
Me voilà enfin disposant d’un lit à moi tout seul et dans un chambre pour ‘personne respectable’. Mes cochambriers le sont effectivement. Pas d’engeulades, pas d’injures, pas de bagarre, pas de drogue, pas d’alcool, pas d’homosexualité, comme dans la plupart des autres chambres. Je dispose d’un récepteur télé à moi tout seul que je loue à la semaine.
Mes journées se déroulent dans une monotonie mourante, telle les heures d’une horloge. Réveil forcé à 4 h du matin par le brouhaha du chant des catholiques qui entament leur messe matinale dans la cour du quartier, indifférents au sommeil des autres détenus. Plus moyen de dormir, car dès qu’il arrêtent, les pentecôtistes prennent le relais avec le leur. Lorsque eux aussi cessent vers 5 h 30, les protestants classiques enchainent. Ils clôturent leur vacarme à eux aux environs de 6 h. Oser leur demander de moins brailler ? C’est un flot d’injures qui vous est balancé à la figure. Descente du lit, ablutions matinales. 6 h 45-7 h. Coups de sifflets stridents. ‘Le parquet !’, ‘le parquet !’ Un prisonnier auxiliaire de l’administration pénitentiaire égrène les noms des personnes convoquées au parquet pour leurs dossiers, instruction ou jugement. 7 h 30, petit déjeuner, le pain n’étant pas livré plut tôt. Puis, revue de la presse de Canal 2 International. 8 h. Direction bibliothèque de la prison. Lecture et écriture jusqu’à 14 h-15 h. Retour à la chambre. Repas. Distraction. 17 h. Nombreux coups de sifflet stridents. ‘Effectifs !’ ‘Effectifs !’ Tout le monde dans les chambres. C’est l’heure de décompte des prisonniers. Il faut s’assurer que personne n’est parvenu à se sauver. 20 h. Repas. 22 h. Tout le monde au lit. Plus personne dans la cour du quartier.
Les jours de visite à savoir, mardi, jeudi, et dimanche, sont spéciaux pour les détenus. C’est l’occasion de contact avec la famille et les amis. Mais ces jours-là sont ordinaires pour moi, car ma famille m’a totalement abandonné, elle ne me rend pas visite. ‘Avec les histoires de politique et de livres où tu critiques Paul Biya…’, telle est son argumentation. Les amis, en revanche, ne m’ont point abandonné. C’est grâce à leur soutien financier que je me nourris, que j’évite de consommer la dégeulasse ‘ration pénale.’ Pour des besoins de sécurité, il m’a été conseillé de ne pas faire moi-même ma cuisine comme la plupart des détenus qui refusent d’ingurgiter la ‘ration pénale.’ Motif ? Un empoisonnement surviendrait inévitablement. Alors, je consomme la nourriture préparée par les restaurants de fortune que tiennent des prisonniers à l’intérieur des quartiers.
Au début, les autres détenus me manquaient de considération. Dans la cour, ils me bousculaient pour me faire les poches. Une fois en prenant mon bain, l’un d’eux a volé mon monceau de savon sans que je ne m’en rende compte. J’ai également failli être victime d’agression. Pui, la télévision, la radio et la presse évoquant continuellement ma situation, leu regard a radicalement changé. A présent, c’est tout le monde qui m’appelle respectueusement et affectueusement ‘président’, ou alors ‘le Vieux’, à cause de mes cheveux blancs. Même les gardiens de prison, au début plutôt méprisants à mon endroit, ont également totalement changé. Je me retrouve ainsi dans une sorte de protection inattendue de la part des autres codétenus. Un jour, l’un d’eux faisant des exercices physiques dans la cour intérieure de la prison, m’a malencontreusement bousculé. Il s’en est fallu de peu pour qu’il ne soit pas lynché par les autres prisonniers. ‘Ne t’amuse pas avec notre Vieux…’
Mais ce dont je souffre le plus, c’est de ma vue qui, à la suite de mes 30 jours dans le noir total à Bertoua, est en train de s’en aller. Ma plus grande inquiétude en ce moment est de sombrer, sous peu de temps, dans la cécité. En prison, il n’existe pas d’ophtalmologue. Il faut pour cela que je sois conduit dans un hôpital. Tant que je suis en détention préventive, pas question. Seuls les condamnés sont autorisés à sortir pour un hôpital. Alors, tant que je ne serais pas, soit condamné, soit libéré, pas de soin possible… C’est le règlement de la prison.