Enlèvement des otages français: Paul Biya enfin dans le viseur de François Hollande?

Yaoundé, 04 Mars 2013
© Boris Armelle Mbock | La Nouvelle

L'enlèvement des otages français du 19 février dernier n'aurait-il pas pour objectif d'internationaliser davantage le conflit malien contre les islamistes? Par celui-ci, le Cameroun, jusque-là présenté comme un havre de paix, ne serait-il pas déjà dans le collimateur des terroristes et des agents des services spéciaux français? Des questions, et des questions qui taraudent les esprits.

Depuis le 19 février dernier, tout porte à croire que la prise d'otages français au Nord-Cameroun par Boko Haram n'a pour seul objectif: déplacer le champ de bataille malien au Cameroun pour le rendre infréquentable. A ce propos, de nombreux observateurs, prévenants et suffisamment lucides l'avaient déjà déclaré: «La guerre du Mali est et restera singulière, car vous verrez, elle est d'une durée et d'une ampleur imprévisible. Elle sera évolutive, connaîtra diverses étapes, prendra plusieurs formes.» Après qu'elle soit sortie du Nord-Mali pour se transposer dans le Sud algérien, il y a quelques semaines, avec la prise d'otages du complexe gazier d'In Amenas, le champ de bataille qui implique déjà tous les pays de l'Afrique de l'Ouest et le Tchad s'étend peu a peu au Cameroun. Ceci dans une dynamique mortifère qui a jusque-là épargné le pays de Paul Biya. Il faut noter que Boko Haram a jusque-là ménagé Yaoundé pour pouvoir utiliser le Nord-Cameroun comme base arrière et de repli. Que peut donc bien signifier le changement de stratégie du groupe islamiste nigérian avec cet enlèvement des 7 touristes français? Les gens de Boko Haram ont-ils réellement intérêt à se couper aujourd'hui de cette base de repli essentielle? Ces 2 questions sont, à bien des égards, intéressantes. D'abord, parce qu'elles permettent de se rappeler que la prise d'otages français survient quelques jours seulement après la récente visite de travail du Président camerounais en France. Ensuite, parce qu'elles permettent aussi d'observer qu'en dehors du mouvement dissident Ansaru (avant-garde pour la protection des musulmans en Afrique noire) qui se signale depuis 2 ans par des rapts d'expatriés (un Britannique et un Italien en mai 2011; un Français le 19 décembre dernier; 4 Libanais; un Britannique, un Grec et un Italien le 17 février dernier), c'est la première fois que Boko Haram s'en prend aux expatriés européens. Enfin, parce qu'elles permettent aussi de faire des similitudes en comparant les détails du film d'enlèvement de ces otages français avec les modes opératoires classiques de la Direction générale de la sécurité extérieure (Dgse), le service de renseignements français. Pour la petite histoire, il faut rappeler que ce service qui a été créé pour la défense de la nation et des intérêts internationaux français, a un budget estimé à 1 245 millions d'euros avec 4 907 agents. Son centre d'entrainement spécialisé de Cercottes, près d'Orléans en France, forme habituellement les officiers, sous-officiers et militaires français aux missions les plus complexes en zones à hauts risques.


Poudrière

Parlant de la dernière visite du Président Paul Biya à Paris, de bonnes sources indiquent que les autorités françaises, suffisamment remontées contre un Chef d'Etat qui ne tient pas toujours ses promesses, auraient eu du mal à contenir leur scepticisme face aux belles promesses du Président camerounais. Certains Conseillers de François Hollande auraient même trouvé, selon ces sources, des mots assez durs pour qualifier l'attitude de ce «Chef d'Etat qui passe le clair de son temps à rouler ses interlocuteurs dans la farine». Alors qu'une minorité estimerait à cet effet pu il faut s'armer de patience, en comptant sur l'usure du pouvoir et le poids de l'âge, la plupart de ceux qui avoueraient publiquement que le discours de Paul Biya a comme un air de déjà vu, craindraient le pire pour un pays qui ressemble davantage à une gigantesque poudrière. Il faut se rappeler que ce n'est pas aujourd'hui qu'ils présentent comme un pays infréquentable. C'est depuis que le Président Paul Biya a décidé de se porter candidat à la dernière élection présidentielle. Seulement, depuis quelques temps, ses prétendus louvoiements à mettre en place toutes les institutions prévues par la Constitution mettraient en pointe François Hollande pour croire que le Cameroun est davantage exposé à tous les dangers. A noter que pour le chef d'Etat français comme pour son homologue américain, Barack Obama, le fait de ne pas passer la main quand on l'a eue pendant 3 décennies, est une anomalie politiquement incorrecte qui contrevient aux règles élémentaires de la bonne gouvernance. Bien qu'il ait donc convoqué la semaine dernière le collège électoral pour les sénatoriales, les mêmes alarmistes trouvent tout de même que le calendrier politique et électoral de Paul Biya donne allègrement dans l'approximatif. Il se trouve paradoxalement que dans le proche entourage du Président camerounais, même certains de ses «fils adoptifs», qui lui doivent tout et qu'il serait cruel de nommer ici, donnent aussi de grands signes d'impatience devant tous ces prétendus louvoiements. On pense même que beaucoup, loin des projecteurs, auraient déjà fait don de leur personne à certaines puissances occidentales pour prendre la place de leur «père».

Voilà pourquoi une catégorie d'observateurs commencent déjà à se convaincre qu'après la prise d'otages français au Nord-Cameroun, l'agression des expatriés à l'hôtel Reinco de Limbe et l'étalement dans le temps et l'espace de la présence des militaires français au Mali (et désormais au Cameroun), comme l'a annoncé la semaine dernière Laurent Fabius, Ministre français des Affaires étrangères, les forces militaires françaises vont s'avérer trop intrusives, au cas où Yaoundé ne donnerait pas de signaux forts pour le changement à Etoudi. On n'en est certes pas là, tant l'entrelacs des liens économiques et culturels entre la France et le Cameroun est étroit. Mais avec l'enlèvement des touristes français du 19 février dernier et l'agression des expatriés de Limbe, c'est un peu comme ... Ce d'autant plus qu'à bien des égards, cette prise d'otages ressemble fort peu à un de ces savants coups fourrés dont la Dgse, seule, a la parfaite maîtrise du protocole et du fil conducteur. De là à penser qu'elle est derrière ces surprenants et spectaculaires évènements, il y a un pas que de nombreux analystes frileux sont en train de franchir depuis que la destination Cameroun n'est plus recommandée aux touristes étrangers. Pour en arriver là, cela veut tout simplement dire que des missions de repérage ont déjà préalablement eu lieu afin de déterminer les différentes zones de travail, de vie et de liaison... Trop souvent, dans le passé, les militaires français ont endossé, sur ordre de l'exécutif, l'uniforme peu flatteur de gardes-chiourmes de régimes illégitimes, impopulaires ou prébendiers. Aujourd’hui, confronté à de multiples périls transnationaux, le bras armé de l'ancienne puissance coloniale apparaît davantage dans son rôle de garant de l'ordre juste, en partenariat avec des Etats authentiquement souverains comme les Etats-Unis, et sous le regard vigilant des sociétés civiles locales. C'est mû par cette logique que depuis quelques semaines, la France a les 2 pieds dans les sables du Mali. Tout en gardant un œil sur le Niger et son uranium. Sans oublier ses féconds robinets de pétrole du Golfe de Guinée.

Autant elle n'accepterait donc pas que l'intransigeance suicidaire et conservatrice de certains autocrates met en mal la paix dans ce vaste et juteux champ d'intérêts. Autant elle combattrait jusqu'à leurs derniers retranchements tous ces groupes terroristes. Seulement, l'exemple récent de la présence des militaires français au Mali, démontre à souhait que les forces françaises consultent très peu sur la mise en œuvre de leurs opérations militaires sur le terrain. Pour l'opération Serval, les décisions sont généralement prises entre l'état-major français l'Ambassadeur de France Christian Rouyer et dans une moindre mesure le Premier Ministre Diango Sissoko. Il ne pourrait pas en être autrement au Cameroun en cas de coup dur, comme cela se profile vertigineusement à l'horizon. Pour libérer aujourd'hui les otages français. Ou demain pour rapatrier ses ressortissants, les militaires français n'auront pratiquement pas d'instructions à attendre du Président Paul Biya. Au contraire...


04/03/2013
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