Enfermé à Korhogo : Gbagbo fait trembler le régime Ouattara
Quatre
mois après sa prise du pouvoir, le nouveau régime continue de vivre
dans la hantise du président Laurent Gbagbo pourtant privé de ses droits
les plus élémentaires à Korhogo où il est placé en résidence
surveillée. Le ministre des Droits de l’Homme, Coulibaly Gnenema, ne
cache pas son appréhension.
Le
ministre des Droits de l’Homme, Coulibaly Gnenema (photo), a fait des
aveux de taille lundi sur les motivations de l’assignation à résidence
du Président Laurent Gbagbo, après son arrestation le 11 avril.
Interrogé sur Onuci Fm au sujet de la polémique qui enfle sur les
conditions de détention de l’ancien président de la République, le
membre du gouvernement a laissé entendre qu’il n’y a aucun texte légal
qui permet au prisonnier politique de revendiquer des conditions de
détention meilleures.
D’ailleurs, a-t-il expliqué, la mesure d’assignation à résidence est
une mesure purement politique dont seul peut user le chef de l’exécutif,
en l’occurrence Alassane Ouattara. Pour maintenir dans les liens de la
détention, dans des conditions qui échappent au code de procédure
pénale, toute personne qu’il juge dangereuse pour sa personne. S’il est
donc en résidence surveillée à Korhogo, dans le nord du pays et confié
spécialement à l’ex-com’zone de la ville, Fofié Kouakou sous sanction
onusienne, c’est donc parce que le président Laurent Gbagbo est jugé «dangereux» par Alassane Ouattara et son camp.
Cette
sortie du ministre Gnenema Coulibaly montre combien les nouveaux
dirigeants ont peur du président Laurent Gbagbo. Même en résidence
surveillée, sous leur autorité, il continue de troubler le sommeil
d’Alassane Ouattara et les siens. Un manque de sérénité qui s’explique
difficilement. Il y a quatre mois en effet qu’Alassane Ouattara a accédé
au pouvoir. Il jouit de plus du soutien inconditionnel de la France de
Nicolas Sarkozy, son ami, et son prédécesseur est en détention à
Korhogo. Dans des conditions inhumaines dénoncées par ses avocats, les
organisations des droits de l’homme et la division droits de l’homme de
l’Onuci. On se demande donc en quoi il peut représenter le grave danger
que le régime appréhende, au point de le couper de tout contact avec
l’extérieur, y compris sa famille et ses avocats.
Droit de vie et de mort sur les détenus
«La
loi qui permet l’assignation à résidence est un décret. Cela dépend
donc de l’appréciation de celui qui décrète. Selon la loi normative de
notre constitution, seul le président de la République signe les
décrets. Donc il revient au président de la République d’apprécier si
vous êtes dangereux pour lui, le garant de l’ordre social ou garant du
développement économique. Si vous êtes dangereux pour lui, il déclare
que vous êtes assigné à résidence», soutient le ministre
Coulibaly Gnenema, qui n’a de cesse de peindre en noir le président
Gbagbo, son épouse et ses proches déportés dans le nord du pays.
«Il n’y a aucun critère qui permet de parler d’arbitraire,
continue le ministre Gnenema.Cela dépend de la dangerosité ou du
caractère préjudiciable de la personne (visée). Les conditions dans
lesquelles les personnes sont assignées à résidence justifient qu’elles
sont en isolement. Parce que si vous inscrivez dans le sens de mettre à
mal la cohésion sociale, de favoriser la guerre, on se dit qu’avec des
visites, vous avez les moyens de continuer la nuisance. Si vous êtes
isolé, vous êtes moins dangereux. Donc c’est la dangerosité ou le
caractère préjudiciable des actions que posent la personne assignée à
résidence qui détermine les commodités ou les facilités que l’on peut
accorder à ces personnes. C’est la dangerosité initiale qui justifie
l’assignation à résidence».
A ses dires, le décret du 9
février 1963, qui porte application de la loi du 17 janvier 1963, ne
fixe pas les conditions de détention des personnes assignées à
résidence. «Il y a un flou sur la question», relève
Coulibaly Gnenema qui reconnait implicitement que les conditions de
détention du président Gbagbo importent peu pour le régime Ouattara. Au
demeurant, le ministre des droits de l’homme qui n’arrive pas à se
départir de son manteau de militant du Rdr dirige les regards vers le
ministère de l’Intérieur, dont la mesure d’assignation à résidence est
une des prérogatives.
Focal. Le Figaro dénonce les conditions de détention de Gbagbo
«Côte d’Ivoire : Gbagbo isolé dans un vide juridique»
: c’est le titre d’un article du quotidien Le Figaro, principal soutien
dans la presse de Nicolas Sarkozy et de son parti, l’UMP. Le journal
remarque que «un peu plus de quatre mois après son arrestation, aucune procédure n’a encore été ouverte contre l’ancien président ivoirien».
Le Figaro donne la parole à Me Emmanuel Altit, un des avocats du chef de l’Etat renversé. A l’écouter, rapporte le journal, «les conditions de détention de Laurent Gbagbo, détenu à Korhogo, dans le Nord, en font une sorte de masque de fer africain». «Il est enfermé dans une chambre close, à peine éclairée, et ne sort que pour prendre ses repas en compagnie de son médecin, lui aussi incarcéré», confie au Figaro Me Altit. Quand Me Joseph Kokou Koffigoh, qui a rencontré Gbagbo, contrairement à Altit, à qui il a été opposé «une fin de non-recevoir», confirme : «Pour recevoir le représentant de l'ONU ou les anciens, on l'a transféré dans une résidence présidentielle de Korhogo. Mais le reste du temps, il est enfermé ailleurs.»
Le Figaro, qui considère que le recours à la Cour pénale internationale (CPI) est une arme à double tranchant qui pourrait se retourner contre le pouvoir ivoirien, fait une analyse assez intéressante, qui accrédite la thèse selon laquelle Gbagbo, même emprisonné, fait trembler son principal adversaire, qui jouit pourtant du bouclier de la «communauté internationale» prooccidentale: «L'impasse du cas Gbagbo est aussi politique. Le gouvernement d'Abidjan redouterait, selon les observateurs, qu'un procès fournisse une tribune à Gbagbo, redoutable orateur, et qui compte encore de nombreux partisans dans le pays. Et à l'extérieur, plusieurs chefs d'État de la région ont fait savoir à leur homologue ivoirien qu'ils ne souhaitaient pas voir juger un ex-président, précédent fâcheux aux yeux de nombre d'entre eux.»