Emploi des jeunes : un enjeu pour les protagonistes de la présidentielle 2011

A l’approche de chaque consultation électorale importante au Cameroun, les Camerounais se laissent toujours distraire par des débats futiles et querelles anesthésiantes. A qui profite ces diversions peut-on se demander ? Qui a peur du débat sur les sujets qui préoccupent nos compatriotes? Ou des propositions à énoncer après un bilan négatif des uns et les critiques des autres?
L’absence de confiance dans les institutions (Elecam notamment), dans certains partis et dirigeants politiques plaident en faveur de la force des arguments pour convaincre nos compatriotes face au scepticisme d’une part et vaincre l’argument de la force qui pourrait être utilisé d’autre part.
L’emploi des jeunes constitue un des champs mobilisateurs pour ce prochain rendez-vous. Il est désormais temps que les différents acteurs s’y mettent.
Le comice agro-pastoral d’Ebolowa aura bien lieu après plus de 20 ans d’attente. Il étalera sans doute les faiblesses actuelles de notre agriculture financière des premiers attributs de notre Etat indépendant.  Pourra t-il enfin jeter les jalons de l’ultime décollage économique de notre pays malgré les mirages annoncés de l’exploitation de nos ressources minières?
Comme une fusée à plusieurs étages, le développement de nombreux pays industrialisés s’est appuyé sur le premier étage qu’est l’agriculture avant leur industrialisation.  C’est le cas des Etats-Unis et de la France.
L’exploitation de l’or noir a suscité chez nous comme ailleurs, de nombreux espoirs chimériques en termes d’emplois. Il en sera de même demain avec la réalisation des projets structurants qu’entend mettre en œuvre le gouvernement actuel dans le cadre de sa politique dite des « grandes ambitions ».
L’agriculture, l’élevage et la pêche tout comme le tourisme constituent et demeureront encore pendant de nombreuses années dans notre pays, nos principaux gisements d’emploi jusqu’ici inexplorés, malgré les intentions affichées.
Le récent résultat du recensement de la population a mis en exergue une très forte population jeune. Des jeunes peu formés aux métiers dont notre économie a besoin et aura besoin à l’aune des nouvelles perspectives.
Des jeunes qui évoluent par ailleurs dans un environnement où l’ascenseur social a cessé de fonctionner depuis les premiers signes de la crise économique des années 90, où le second élément de notre devise, le travail, n’est plus le gage d’une réussite sociale.
Des pays comme l’Algérie ont pris l’option de fonder leur développement sur « l’industrie industrialisante », à travers des grands projets structurants. Les résultats, 30 ans plus tard, sont mitigés.
Une politique efficace de l’emploi doit faire de la formation des jeunes la rampe de lancement de la politique agricole comme porte d’entrée au développement du pays. Elle doit également s’appuyer sur une politique de croissance forte et régulière.

La formation qualifiante des jeunes

Le Cameroun doit se développer en s’appuyant sur son « or vert », l’agriculture et sur sa jeunesse. La « Révolution verte » qu’appelle aujourd’hui de ses vœux, Jacques Diouf, le président de la Fao, doit prendre corps rapidement dans notre pays. Ce dernier dispose, en quantité suffisante, de bras jeunes, de terres arables, de ressources hydriques. Il faudrait tout simplement donner à cette jeunesse une vision claire, lui fournir des moyens incitateurs pour la mettre au travail.
Pour cela un inventaire exhaustif des filières agricoles à exploiter et à développer doit être effectué afin d’orienter nos jeunes. Nos différents ministères : Economie, Plan, Aménagement du territoire, Emploi sans oublier notre Fonds National pour l’emploi doivent conjuguer leurs efforts dans ce sens.
Ensuite ces jeunes doivent être incités à quitter les villes pour les campagnes, dans le cadre d’une politique économique et d’aménagement du territoire qui inverserait les flux migratoires des zones urbaines vers les zones rurales. Pour cela ils doivent avoir reçu ou bénéficié:
• D’une formation adéquate dans des lycées agricoles et/ou d’élevages spécialisés à créer dans chaque département en fonction de leurs particularités locales. Y favoriser le téléenseignement des techniques agricoles avec le concours de nos partenaires étrangers. Réhabiliter le service national de participation au développement d’antan en l’adaptant aux réalités d’aujourd’hui.
• D’un lopin de terre dans le cadre d’un contrat de bail emphytéotique (bail de longue durée) qui permettrait au lauréat d’exercer son métier aux côtés d’autres jeunes dans une même coopérative ou Gie (Groupement d’intérêt économique) ou Gic (groupement d’intérêt commercial).
• De plants et d’intrants produits suffisamment par nos instituts de recherche, en contrepartie d’un quota de leur production qui alimenterait les stocks de soudure en cas de saisonnalité difficile.
• D’un encadrement et d’un suivi de la part de nombreux ingénieurs agronomes que notre pays a formés ces dernières années et qui peuplent nos ministères parfois de façon oisive.
• D’une aide via la location de matériels agricoles et non une donation comme cela se fait aujourd’hui de la part des démembrements de la chambre d’agriculture qu’il faudrait également créer dans le cadre de ce vent de décentralisation appelé à souffler sur notre pays.
Ces formations qualifiantes s’imposent également à d’autres secteurs de notre économie. En effet, nos rues sont peuplées de jeunes diplômés tantôt désœuvrés tantôt travaillant dans des secteurs d’activités pour lesquels ils n’ont point été formés. Pour le contribuable et la collectivité  il s’agit d’un gâchis et d’une perte d’opportunités considérables.
Les décisions prises par les autorités dans le cadre des projets structurants ne semblent pas prendre en compte la nécessité d’avoir à temps une offre de main d’œuvre adaptée à la demande qui en découlerait.
Aucun chronogramme de mise en œuvre de ces projets, permettant de former les personnels requis n’existe dans l’agenda gouvernemental. Le comité de pilotage des grands projets, récemment crée, vient à point nommé mais tardivement. Il est à craindre que les quelques milliers d’emplois provisoires et définitifs à qualification élevée qu’engendreront ces projets soient pourvus en grande partie par des étrangers.
La situation de chômage généralisé, le découragement dû aux réflexes de corruption, le malaise grandissant qui a gravé l’avenir dans un nuage obscur imposent qu’à situation exceptionnelle, priorité exceptionnelle. Il convient donc de prévoir et de donner aux jeunes Camerounais, longtemps à l’avance, une formation adaptée aux besoins de notre économie. Cela passe bien évidemment par :
• La démultiplication des formations professionnelles par alternance à tous les niveaux : Lycées, universités et écoles supérieures.
• Un cadre réglementaire et fiscal incitatifs pour les entreprises, notamment les Pme, qui voudraient bien accueillir ces jeunes en formation.
• La construction d’instituts spécialisés. En effet, comment imaginer qu’après tant d’années d’exploitation de notre pétrole, nous n’ayons toujours pas les moyens de créer un institut national de pétrole et de chimie chez nous? Comment imaginer qu’un gouvernement ayant la maîtrise de la gestion d’une telle richesse ne dispose toujours pas  de  telles écoles sur son sol et plus particulièrement dans la région du Sud-ouest, berceau de nos gisements? Par extension contrôlera-t-on demain nos zones diamantifères de l’Est Cameroun sans une école de taille de cette pierre précieuse à Batouri ou Lomié, ou notre « coin ferreux » de Mbalam sans une école de mines à Djoum ou à Ebolowa?

Une croissance forte et régulière au service de l’emploi
Nous sommes résolument convaincus que seule une croissance élevée de préférence à deux chiffres sur plusieurs années pourra non seulement permettre à nos jeunes de trouver des emplois mais aussi sortir notre pays des standards internationaux de la pauvreté.
Les goulots d’étranglement et les freins à cette émergence du Cameroun sont nombreux. Malgré les annonces et quelques avancées minimes, la perception qu’ont les investisseurs étrangers de notre pays et qui se traduit d’ailleurs par des Ide (Investissement Direct Etranger) très faibles, reste constante depuis plusieurs décennies. Un climat d’affaires peu attirant et qui n’est qu’un doux euphémisme pour parler de l’affairisme, la corruption, l’inertie bureaucratique, une fiscalité peu adaptée, une absence d’Etat de droit, ajouté à d’autres facteurs auxquels il faudrait s’attaquer, contribuent à ralentir notre croissance en dépit de nos potentialités.
Notre pays souffre depuis de nombreuses années d’un déficit chronique en énergie qui lui fait perdre chaque année un demi-point de croissance en dépit de son potentiel hydro-électrique qui le place en deuxième position en Afrique après la Rdc. Les Grands barrages hydro-électriques, en cours de pré réalisation sont certes attendus mais ne devraient pas être l’unique réponse à cette demande en énergie qui continuera de croître de façon vertigineuse les prochaines années. Nous devons encourager fiscalement les investisseurs privés, dans le cadre des contrats Bot (Build, Operate and Transfer), à réaliser plutôt des mini-centrales peu onéreuses et moins contraignantes en termes d’études d’impact environnemental d’une part et de diversifier notre parc énergétique en s’ouvrant au solaire et à l’éolienne d’autre part.
Nos infrastructures de transport sont vétustes, insuffisantes voire inadaptées. Une étude réalisée récemment par un cabinet camerounais montre qu’avec la construction d’un second pont sur le Wouri, notre Pib gagnerait un point de plus de croissance. Si on allait vers la construction d’un troisième pont à l’instar de celui sur la lagune d’Ebrié à Abidjan, nous pensons qu’une telle construction aurait des effets multiplicateurs très importants sur notre économie.
Depuis la fin de la construction du Transcamerounais, aucun kilomètre supplémentaire de ligne ferroviaire n’a été construit ou réhabilité dans notre pays. Tout au contraire la ligne Douala-Mbanga a été abandonnée. Là aussi, nous proposons la rénovation des lignes existantes, leur extension vers le Tchad, la République centrafricaine par des développeurs autres que Camrail. Cela aurait pour effet non seulement d’accélérer l’intégration sous-régionale mais aussi de donner un coup de fouet supplémentaire à notre économie nationale.
Les autres types de transports ne doivent pas être en reste. Alors que nous sommes encore au stade des études relatives à la construction de notre première liaison autoroutière, d’autres pays moins bien lotis que nous, ont commencé la réalisation des leurs. La liaison Bamako-Koulikoro ou Dakar-St Louis pour ne citer que celles-là. Il y a trente ans déjà que la Côte d’Ivoire dispose d’une autoroute entre Abidjan et Bouaké. Le réseau routier doit être développé et densifié, les ports de Kribi et de Limbé doivent enfin sortir des limbes. En effet ces constructions portuaires viendraient désengorger celui de Douala peu propice à l’accostage des navires de grand tonnage tout en améliorant la compétitivité de notre économie.
Le développement des télécommunications, nerfs de la guerre moderne, a pris du retard. Ce retard doit être rattrapé le plus rapidement possible si nous souhaitons développer de nombreuses activités comme celles liées à l’Outsourcing (externalisation des services pour une entreprise : ie call-center), pourvoyeuses d’emplois. Le Maroc, la Tunisie et le Sénégal dans une moindre mesure sont des exemples à suivre. L’offshoring tout comme le Nearshoring est pourvoyeur de richesses. La fibre optique doit rapidement s’enraciner dans le paysage camerounais. De nouveaux opérateurs téléphoniques doivent pouvoir s’installer afin de booster le marché, émuler la concurrence, réduire les coûts puis les prix aux consommateurs.
Une gestion des finances publiques qui plombe la croissance. Après l’atteinte du point d’achèvement Ppte, notre pays s’est lancé à nouveau dans un cycle d’endettement non productif. L’orthodoxie budgétaire à laquelle l’Etat devrait s’astreindre, a commencé à voler en éclat après les émeutes de février 2008 avec le gel des prix notamment ceux du carburant à la pompe. Ces subventions ont fait perdre à la Sonara, l’équivalant de 106 Mds de FCfa, soit 1% de notre Pib. Ajoutée aux créances qu’elle détient sur l’Etat (300 Mds de FCfa), cette société ne survit qu’au prix d’emprunts bancaires onéreux. Son plan de rénovation d’un montant équivalant aux sommes que lui doivent l’Etat, s’en trouve menacé tout comme ses créanciers, si cette société venait à déposer son bilan. La solution des Dts (Droits de tirage spéciaux) du Fmi, pour éponger ces dettes et qui prive d’autant notre économie de financements opportuns et productifs, aurait pu être évité si certaines dépenses « somptuaires » pour les uns et de « souveraineté » pour les autres n’avaient été engagées contre tout bon sens. C’est le cas des festivités récentes du cinquantenaire de notre indépendance (plus de 50 Mds de FCfa) et celles à venir de nos forces de défense.
Un système financier et bancaire qui, en dépit de sa sur liquidité, rechigne à financer les Pme-Pmi, faute de projets bancables, disent ces établissements. Rien de surprenant dans un pays où l’informel est la règle et le formel l’exception. Afin d’atténuer la frilosité de nos établissements de crédit et banques, nos pouvoirs publics devraient mettre en place un fonds de garantie, (à l’instar de la Coface en France mais tournée néanmoins vers l’intérieur), des emprunts contractés par ces entreprises dites inéligibles. Un organisme devrait accompagner les créateurs tout comme les entreprises dans le montage des projets à financer. Si un cadre politique et économique incitatif est mis en place, à travers des mécanismes, outils et institutions à mettre en œuvre ou à créer : Pépinières locales d’entreprises, Fonds d’investissement, Déploiement des filiales des banques et du Crédit Foncier dans les zones d’émigration camerounaise,  le potentiel financier de la diaspora pourrait booster l’investissement dans notre pays et les activités de sa place boursière.
La volonté affichée par le gouvernement d’affecter les 200 Mds de FCfa du futur emprunt obligataire à la réalisation des grands travaux a, à notre avis, très peu de chance de relancer notre économie et surtout d’avoir un impact en termes d’emplois durables si certains pré requis n’ont pas été réalisés. En effet, tout comme nos jeunes ne sont point formés, notre industrie n’est pas prête à absorber cette masse d’investissements. A titre d’exemple, comment expliquer qu’en dépit d’une offre insuffisante en ciment, les différents projets de construction de cimenteries avec les Sud-coréens à Limbe ou des Chinois dans le Sud tardent à être opérationnels avant le début d’exécution des dits grands travaux, futurs grands consommateurs de ce produit? Si tel n’est pas le cas, cette politique de relance par les grands travaux profitera aux étrangers comme nous l’avons vu sous d’autres cieux. La France du premier gouvernement de gauche de Pierre Mauroy en 1981 l’a appris à ses dépens avec une politique de relance audacieuse qui profita  à l’Allemagne.
Le Cameroun doit rapidement sortir du « traitement social » du chômage qui consiste à recourir au recrutement, certes nécessaire mais peu productif, dans la fonction publique, l’armée et la police, pour s’attaquer aux causes structurelles de ce fléau dans notre pays. Une alternative existe. Il est temps de la mettre en œuvre afin que l’émergence de notre pays ne soit pas simplement un effet d’optique mais une réalité.
Adrien Macaire Lemdja
Consultant International en Finance


27/10/2010
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