Du 23 au 28 février 2008, les zones urbaines du Cameroun ont connu un déchaînement de fortes violences, durement réprimées dans le sang par le pouvoir en place. Le bilan de ces tueries divergent d'un bord à l'autre, passant d'une quarantaine de victimes pour le régime du président Biya à 200, voir un millier de morts pour certaines Ong et partis politiques de l'opposition camerounaise. Un bref rappel des faits.
7 février 2008 : demi-finale de la 26è Coupe d'Afrique des nations de football au Ghana. Les Lions Indomptables du Cameroun rencontrent, au stade d'Accra, les Black Stars du Ghana (1-0). Ce même jour à Douala, Yaoundé, Bafoussam, Buéa, Sangmélima, ou ailleurs au Cameroun, le prix du carburant a augmenté de 15 FCFA à la pompe. Les transporteurs sont en colère et lancent des mots d'ordre de grève par l'intermédiaire de leurs syndicats. En raison de la CAN et de la qualification des Lions pour la finale, cette augmentation et cette agitation première des syndicats sont relativement peu suivies.
Il faut par ailleurs signaler que le projet de modification de la Constitution dont le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RPDC, parti au pouvoir) a envie de faire passer coûte que coûte à l'Assemblée nationale dominée par lui, pour permettre au président Paul Biya de briguer un autre mandat de 7 ans à la présidentielle d'octobre 2011, est fortement combattu par les partis d'opposition et une grande frange de la population. C'est dans ce contexte tendu que quelques jours plus tard, suite à l'explosion des prix des produits de première nécessité sur les marchés, la rue s'enflamme dans une chronologie d'événements meurtriers :
- 23 février 2008 au soir : la représentation régionale du Social Democratic Front (SDF) organise, sous la présidence du député Jean Michel Nintcheu, un meeting au lieu-dit quartier Madagascar à Douala, pour protester contre la modification de la constitution, en dépit du fait que le gouverneur de la région du Littoral, Faï Yengo Francis, a interdit toute manifestation publique quelques jours auparavant. La gendarmerie charge brutalement les participants qui se dispersaient déjà : on relèvera un mort, deux d'après certaines sources. Incendie d'un bus de la Socatur et mise à sac d'une station service.
- 25 février 2008 : la grève des taxis prend corps à Douala et les émeutes s'étendent dans la ville. Selon des sources médicales, six personnes sont tuées par les forces de l'ordre (2 dans le quartier Bessengue et 4 à Bonabéri). Le pillage des magasins, surtout ceux des Chinois au quartier Akwa, le saccage des stations service (Total, Mobil et Texaco), l'incendie de la mairie de Douala 5è à Bonamoussadi sont les faits saillants de cette journée dans la capitale économique.
- 27 février 2008 : journée noire à Douala pour les manifestants qui se dirigeaient vers les services du gouverneur ; ils sont bloqués sur le pont du Wouri par les forces de l'ordre et l'hélico de l'armée et mitraillés à balles réelles. Plusieurs plongent dans l'eau et se noient. A Yaoundé, raid musclé de l'armée à l'Université, pendant que les émeutes éclatent à Biyemassi et à la Briqueterie.
A la télévision nationale, Paul Biya, très en colère, fustige les manifestants qu'il dit manipulés par ses opposants : «Pour certains, l'objectif est d'obtenir par la violence ce qu'ils n'ont pas eu par la voie des urnes, c'est-à-dire par le fonctionnement normal de la démocratie. (...) Les apprentis sorciers qui, dans l'ombre, ont manipulé ces jeunes ne se sont pas préoccupés du risque qu'ils leur faisaient courir en les exposant à des affrontements avec les forces de l'ordre», martèle-t-il, courroucé. Il fait donner le Bataillon d'intervention rapide (Bir) pour mater le soulèvement populaire. Le bain de sang est inévitable. Combien de morts et de blessés a-t-on relevés après les tirs à balles réelles sur des jeunes désarmés pendant ces quatre jours de révolte ? 100, 200, 500... On ne le saura jamais avec exactitude.