Elections :Comment Elecam a été verrouillé

Elecam : Une loi qui fait la danse Bafia

Le gouvernement a corrigé une loi qui n'avait même pas commencé à s'exprimer.

Le 31 décembre 2009, lors de son adresse à la nation, le président de la République indique que des ajustements seront apportés à la configuration actuelle de Elections Cameroon (Elecam), de manière à ce que les processus électoraux qu'elle aura à gérer ne souffrent d'aucune contestation. L'annonce de cette nouvelle, précédée par de longs mois de joutes oratoires et de vives contestations, sonne, pour certains, l'heure de la rectification. Le 25 mars 2010, les ajustements promis sont déposés devant le parlement. Le gouvernement, dans l'exposé des motifs du projet d'amendement de la loi, indique que la loi du 29 décembre 2006 portant création, organisation et fonctionnement de Elecam "consacre le monopole de l'organisation de la gestion et de la supervision de l'ensemble du processus électoral par Elecam, à l'exclusion des partis politiques et des administrations de l'Etat". Le constat ainsi posé amène le gouvernement à dire que cela "ne garantit cependant pas l'efficacité recherchée et la maîtrise des complexités de la transition vers le nouveau système des élections ainsi établi".

Le déni de compétence infligé à Elecam par l'administration, conduit celle-ci à reprendre en main le contrôle de la gestion du processus électoral. Les modifications apportées ainsi au texte initial concernent l'article 7 de la loi qui désormais, comporte quatre alinéas au lieu d'un seul auparavant. Le 2ème alinéa fait apparaître l'intégration de la Justice dans les concertations organisées par le Conseil électoral, "en vue de la constitution des commissions mixtes électorales". L'apport de la société civile, autrefois impératif, devient "éventuel", à cause de "sa structuration". L'illusion de Elecam de diriger les commissions régionales et départementales de supervision des votes vole en éclat à l'alinéa 3. Cette prérogative est désormais partagée avec l'administration, qui s'invite dans la révision des listes électorales, l'établissement et la distribution des cartes électorales, non sans faire irruption dans les commissions locales de vote.

Par cet acte, le pouvoir étale sa crainte d'assister à l'organisation d'élections transparentes dont la vérité traduira certainement la rupture avec le peuple ; et veut éviter l'exode des parcelles de souveraineté dont il est encore le détenteur dans ce registre. Pour le professeur Mathias Eric Owona Nguini, ces ajustements subtils "trahissent de l'ordre dominant administratif de reprendre une part considérable du contrôle dans l'organisation des élections au Cameroun". La composition du bureau de Elecam, au départ, avait déjà enflammé la classe politique. Le 30 décembre 2008, le président de la République nomme les 12 membres de Elecam avec à leur tête, le secrétaire général adjoint de l'Assemblée nationale de l'époque, Samuel Fonkam Azu'u. En plus de cet éminent membre du comité central du Rdpc, des membres du bureau politique de ce parti, à l'instar de Cécile Bomba Nkolo et de Dorothy Njeuma, font partie de l'exécutif de cette institution. Justin Ebanga Ewodo, Adamou Ali, Abdoulaye Babale, tous membres du comité central, sont aussi désignés comme membres du Conseil. Thomas Ejaké Mbonda est à l'époque Inspecteur général au Minatd.

Neutralité
Vient alors le combat la légalité de cet acte de nomination qui foule au pied l'esprit et la lettre de la loi portant création, organisation et fonctionnement de Elecam. En effet, les articles 8 et 13 de cette loi, disposent respectivement que les membres du Conseil sont choisis parmi les personnalités reconnues pour leur esprit de neutralité et d'impartialité. Par ailleurs, les fonctions de président, de vice-président ou de membre sont incompatibles avec la qualité de membre d'un parti ou de soutien à un parti politique. Les déclarations de chaque membre, clamant leur démission du parti au pouvoir, ne réussiront pas à calmer la colère du corps électoral et les acteurs politiques. Entre le procès en illégitimité, le doute sur l'impartialité et l'indépendance, Elecam, autrefois attendu avec impatience et espoir, fait face à une fronde contestataire vigoureuse, embrayée par la communauté internationale.

En réaction à cette vive protestation, le gouvernement, par la voix de Henri Eyebe Ayissi, ministre des Relations extérieures, rappelle à l'ordre les ambassadeurs des "pays amis" et des "partenaires bilatéraux". Le 19 février 2009, dans un propos dont le ton menaçant et intimidant fera date, le Minrex prescrit compréhension et respect aux diplomates. "Le gouvernement camerounais attend de vous (…), le respect de ses institutions et la compréhension que méritent ses décisions, dans la mesure où celles-ci ne peuvent que correspondre à l'intérêt bien compris du Cameroun, tel qu'il est perçu et assumé par les autorités nationales compétentes, en particulier celles ayant reçu mandat du peuple camerounais pour le représenter et se prononcer en son nom".

La leçon du ministre continue avec, cette fois là, un rappel sans équivoque du droit à la souveraineté, en observant "l'exigence d'autodiscipline vis-à-vis d'Elecam, en se gardant de céder à la tentation de cette nouvelle forme de mission civilisatrice, qui tend à se draper sous le manteau du devoir d'ingérence démocratique, qui n'hésite pas à recourir aux médias nationaux et internationaux pour discréditer les institutions politiques nationales, pour cause de non-conformité aux modèles politiques ou culturels dominants". L'envie et le vœu formés par le chef de l'Etat le 31 décembre 2009, de faire mieux, apparaissent aujourd'hui, avec l'adoption de cette loi, comme un subterfuge, une manœuvre de diversion, visant à donner le change à la communauté internationale et à l'opinion publique nationale, très critiques sur la composition des membres

Pierre Célestin Atangana




30/03/2010
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