Elections au Cameroun: Transparence opaque

Qui ne se souvient pas de l’engouement des leaders des partis politiques et d’opinion pour les consultations qui avaient précédé le choix et la nomination des  responsables actuels d’Elections Cameroon (Elecam) ? Qu’est-ce qui avait bien pu motiver cet engouement ? Pourquoi n’avaient-ils pas tiré les leçons des résultats des précédentes consultations faites quand il fallait nommer les responsables de l’Observatoire national des élections (Onel) ?

Nous n’irons pas jusqu’à penser que ce sont les frais de transport et d’hébergement qui les avaient poussés à rencontrer Inoni Ephraïm, alors premier ministre, pour lui faire des propositions de noms de personnes et personnalités susceptibles d’être nommées à Elecam. En tout cas, le temps a montré qu’ils avaient eu tort de créditer un régime congénitalement roublard d’une certaine dose de bonne foi. Puisque la montagne avait accouché d’une souris, Paul Biya ayant nommé ses camarades du comité central et du bureau politique au Conseil électoral d’Elecam, viciant ainsi le processus électoral.
Disons-le sans ambages : Elecam est un machin.
Lorsqu’un régime qui veut durer est conscient de la rupture du contrat politique avec le peuple, il ne peut faire autrement que bluffer, ruser, mentir et refuser de mettre sur pied un code électoral unique,  consensuel et moderne et une Commission électorale nationale indépendante qui organiserait des élections transparentes, libres, équitables et  justes.
En réalité, seuls les naïfs et les incrédules peuvent encore se laisser berner au point de placer leurs espoirs démesurés dans Elecam. L’embêtant est que, malgré toute logique, les gens continuent à prendre des vessies crevées pour des lanternes.
Mais, jusqu’à quand adopterons-nous ces attitudes face à l’imposture, la tricherie et l’ignominie ? Quel citoyen honnête et raisonnable peut encore soutenir que le verdict des urnes aura encore une certaine validité, puisqu’en réalité nous assistons à un jeu au dé pipé et à l’enjeu vicié ?
En tout cas, ce n’est pas en forgeant des victoires qu’on modifiera l’opinion d’un lectorat qui n’attend que le moment propice pour sanctionner les manigances d’un système pourri et appelé à disparaître.
Paul Biya et sa clique de sorciers, de vampires et de cannibales jouent avec le feu. Leurs manigances et leur insolence n’augurent pas des lendemains meilleurs pour le Cameroun.

Un jeu au dé pipé et à l’enjeu vicié
Plus qu’une preuve d’incapacité, l’instabilité institutionnelle de l’organe chargé de la gouvernance électorale et les soupçons qui pèsent sur son impartialité, témoignent de la volonté du régime de M. Biya de s’éterniser au pouvoir, en faisant un semblant d’ouverture alors même que tout le processus électoral est miné à toutes les étapes. Pour autant, les acteurs du ring politique doivent-ils s’avouer vaincus ?
L’intelligence au service du mal-être de la communauté nationale. Ainsi peut-on résumer le sentiment qui se dégage face au constat qui se fait de l’organisation des élections présidentielles, législatives ou communales au Cameroun, depuis le début de la décennie 90, date du retour du multipartisme politique dans notre pays. Car en fait, à voir les intelligences qui ont été mises à contribution ou le sont encore pour l’organisation de ces différentes compétitions politiques, l’observateur est, a priori, rassuré sur la gouvernance électorale.
Au départ, c’est tout un ministre de la République, en l’occurrence le ministre de l’Administration territoriale (Minat), qui est en charge de l’organisation de toutes les élections. Mais manifestement mal intentionnés, les différents ministres qui se sont succédé à la tête de ce stratégique département ministériel ont tous vite fait de dévoiler leur partialité en faveur du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), le parti au pouvoir auquel ils appartiennent ; suscitant ainsi une levée de boucliers dans la classe politique. Face à la forte pression interne et même externe, le président de la République crée le 16 décembre 2000, un Observatoire national des élections (Onel) dont la mission principale, était la supervision et le contrôle des opérations électorales et référendaires.
Seulement, après avoir été à l’œuvre lors des élections législatives et municipales de 2002, présidentielle de 2004 et des élections législatives et municipales de 2007, cet organe qui se voulait pourtant indépendant, a également montré ses limites, voire son incapacité à « assurer la régularité, l’impartialité, l’objectivité, la transparence et la sincérité du scrutin ». Pour pallier ces insuffisances, Paul Biya crée Elections Cameroon (Elecam) le 29 décembre 2006. Cette nouvelle structure est « chargée de l’organisation, de la gestion et de la supervision du processus électoral et référendaire ». Mais à peine s’est-elle mise en place, Elecam se présente déjà comme le dé pipé d’un jeu électoral volontairement vicié. Surtout qu’après avoir fait de cet organe le seul responsable de la gestion des élections, l’Assemblée nationale, en majorité Rdpc, est revenue sur les textes de 2006 en ramenant le Ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (Minatd) dans le jeu électoral ; sans oublier que le Président du conseil d’Elecam était encore militant de haut rang du parti au pouvoir au moment de sa nomination. Ce qui a donné du dégoût aux autres acteurs de ce jeu.

Un processus vicié
Cette instabilité institutionnelle et structurelle peut être perçue comme la quête d’une bonne gouvernance électorale. Pourtant à l’analyse, il apparaît que la création de ces organes est de la poudre jetée aux yeux de l’opinion qui, ces dernières années, porte un regard  de plus en plus intéressé sur l’organisation des élections.
En effet, l’élection qui est un grand moment de communion nationale est un long processus. Malheureusement au Cameroun, ce processus est, à dessein, vicié presque à toutes les étapes, mettant ainsi à mal la cohésion nationale. En dehors des organes de gestion électorale qui ont toujours fait l’objet de multiples contestations juridiques et politiques, l’étape préliminaire de tout processus électoral qu’est le Recensement général de la population (Rgp) n’a pas seulement un enjeu économique, mais d’abord électoral. C’est pourquoi, lorsque cette étape est déjà contestée, comme ce fut le cas avec les résultats du dernier Rgp, où il apparaissait, par exemple, que la région du Centre est plus peuplée que celle de l’Extrême Nord ou du Littorale, la suite des opérations souffrira de forts soupçons de manipulations, de tricherie et de supercherie.
Ensuite, la mauvaise foi politique de ceux qui ont en charge la gestion du processus électoral se manifeste aussi au niveau de l’étape des inscriptions sur les listes électorales. Par le passé avec le Minatd, s’inscrire sur une liste électorale relevait de la croix et de la bannière. Lorsqu’un citoyen réussissait à se faire enregistrer dans un bureau de vote, soit son nom n’apparaissait sur aucune liste, soit alors il apparaissait sur une liste loin de son point d’inscription et sa carte dans un autre bureau. À cet imbroglio, il faut ajouter les doubles inscriptions ou l’inscription des mineurs… Autant de pratiques politiquement malsaines qui visent à décourager une catégorie de citoyens à s’intéresser à la chose électorale. Ce qui a d’ailleurs été et est malheureusement encore le cas aujourd’hui.
L’arrivée de l’Onel n’y changera rien du tout. Dans son Rapport de synthèse sur l’observation de l’élection présidentielle du 11 octobre 2004, le Service national "Justice et Paix" de la Conférence Episcopale nationale du Cameroun, sous la plume de Mgr Patrick La Fon, secrétaire général de cette Conférence constate à la préface : «Quand on a lu ce rapport et qu’on garde en mémoire celui du double scrutin municipal et législatif du 30 juin 2002, on constate que rien n’a changé. Les mêmes entorses à la loi électorale se répètent. Les Camerounais, poursuit-il, seraient-ils condamnés à faire du "sur place" ?». Ce constat aux allures d’une fatale incapacité sera confirmé plus tard par l’Onel. Dans la correspondance qu’il adresse au président de la République le 5 mars 2008, le président de l’Onel, M. Mbouyom François-Xavier note que le rapport qu’il soumet à son appréciation relève des «irrégularités perpétrées à certaines étapes du processus électoral », mais que celles-ci, précisera-t-il plus loin, « n’étaient pas de nature à modifier le résultat du scrutin ».
Toujours est-il que le jour du scrutin, d’autres entraves qui empêchent la transparence et l’égalité du vote existent. Intimidation de certains électeurs et des scrutateurs représentants des partis d’opposition. Il y a également la présence dissuasive des éléments de force de l’ordre dont la complicité aveugle avec l’autorité administrative, très souvent membre ou sympathisant du Rdpc, est visible le jour du vote.

Les vices oubliés du processus
La loi électorale prévoit que les résultats soient publiés par chaque bureau de vote et copie du procès-verbal remis au représentant de chaque candidat dans ledit bureau de vote. D’abord, à ce niveau, non seulement certains bureaux de vote étaient logés dans des domiciles privés, mais en plus, au moment du dépouillement, soit il y a coupure d’électricité, ce qui entraine le déplacement des urnes vers les domiciles des autorités administratives ou traditionnelles, avec pour conséquence le bourrage des urnes ; soit alors, les représentants vulnérables des autres candidats se laissent corrompre et acceptent que le dépouillement se fasse à huis clos. Résultat des courses : les résultats proclamés par la cour suprême qui reçoit les documents de base du Minatd n’ont rien de commun avec ceux portés sur les procès-verbaux.
Même le contentieux post électoral, ne constitue pas une lueur d’espoir pour les adversaires du candidat du Rdpc. On se souvient de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle de 1992 par la cour suprême qui avait égrainé un chapelet d’irrégularités suffisant pour remettre en cause ce scrutin. Mais la Cour se déclara incompétente pour annuler cette élection. Cette attitude est symptomatique de la philosophie juridique électorale telle que pensée au Cameroun.
L’on ne saurait passer sous silence les autres actes pour le moins anodins, mais délictueux du président Paul Biya et de son gouvernement qui participent de la stratégie de verrouillage du jeu électoral. Il s’agit par exemple du découpage des circonscriptions électorales. Au nom de quelle logique politique une circonscription électorale par exemple deux fois moins peuplée qu’une autre doit avoir le même nombre de députés sinon plus à l’Assemblée nationale ? Au nom de principe le Rdpc s’arroge 10 milliards de F.cfa sur les 15 prévus pour le financement des partis politiques lors de la dernière présidentielle ? De même, que l’on ne comprend pas pourquoi il est devenu banal d’accepter que les moyens humains et infrastructurels de l’État soient utilisés par le Rdpc. Véhicules administratifs et personnel des administrations publiques mis en mission pendant les campagnes électorales. The last but not the least, des partis satellites  sont crées et financés pour troubler le jeu électoral, à défaut d’infiltrer les partis adversaires.
En somme, toute cette batterie de subterfuges vise à décourager le maximum d’adversaires politiques afin de contrôler le plus longtemps possible encore le jeu électoral et partant l’arène politique. Au de se décourager, les autres acteurs doivent développer des stratégies alternatives pour infléchir la tendance lors des échéances futures. Car, faut-il le noter, l’alternance politique est tributaire d’une élection transparente, juste et équitable. Le camp d’en face l’a compris et refuse d’ouvrir le jeu. Aux autres acteurs de faire preuve de témérité et d’endurance en prenant leur responsabilité.
Simon Patrice Djomo

Les élections bancales au Cameroun de A à Z

Autour des élections s'est développée toute une culture qui caractérise bien des populations africaines et qui, sans nul doute revêt d'autres dimensions sous d'autres cieux. L'expression culturelle qui en découle s'inscrit dans un système où les mots revêtent des significations un peu à l'image des institutions en place dans chaque pays comme c'est le cas pour le Cameroun. C'est qu'il y a un grand fossé entre ce qui est mis en place comme organe avec des objectifs précis définis dans les textes et ce qui se fait lors de l'application, dans la pratique. Une administration est là pour servir en toute neutralité tous les citoyens mais l'administrateur va modeler son action dans l'intérêt de celui qui a signé l'acte de sa nomination ; tout est ainsi personnalisé. L'institution dans toute sa personnalité ne vit pas et demeure une conquête pour devenir réalité. Les populations réalisent de plus en plus qu'elles sont bafouées. Au stade où nous en sommes cependant, elles agissent à travers les mots et quelquefois des comportements c'est à dire des revendications et des manifestations. Ici, encore malheureusement, ces revendications et manifestations sont vouées à l'échec. Dans la culture régnante, les manifestations ne doivent point se faire ; on ne doit pas marquer son mécontentement face au " prince " ! La démocratie ainsi a un autre sens, elle est comprise et appliquée différemment ...
Nous sommes ici au pays où les concepts qui ont leur sens, demandent des actions conséquentes par les citoyens, connaissent des exploitations des plus diverses pour répondre aux préoccupations des acteurs principaux du moment ; alors pour ceux qui, de plus en plus nombreux, attendent d'autres attitudes et résultats, face aux risques qu’ils courent, ils s’en remettent à l’humour. Derrière l’humour, il y a un drame: celui d’un peuple; il faut le vivre car les élections constituent dans toutes société la voie par laquelle peut se construire ou se détruire le bonheur de chaque membre ou toute la soicété.
Patricia Tomaino Ndam Njoya
Source: Les élections bancales au Cameroun de A à Z, Minsi,/EAE, Yaoundé, 2004, pp.15-16

L’impartiale dépendance

La nomination des membres du comité central et du bureau politique du Rdpc aux commandes d’Elecam fait peser de lourds soupçons sur cette structure chargée d’organiser, de gérer et de superviser l’ensemble du processus électoral et référendaire.
En plaçant les membres du comité central et du bureau politique du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) aux commandes de Elections Cameroon (Elecam), le président Pau Biya a, sans peut-être le vouloir, donné de la voix à une opposition qui, jusque-là brillait par un silence suspect et inquiétant. A quoi d’ailleurs fallait-il s’attendre face aux Lions indomptables qui ont fait de la manipulation, du mensonge et de la fourberie leurs sports favoris. Pour des observateurs avisés, « la nomination des membres du Rdpc à Elecam est venue faire perdre l’espoir des élections transparentes, justes et d’une transition pacifique au Cameroun en 2011 »
Le problème en ce qui concerne cette structure chargée « de la gestion et de la supervision de l’ensemble du processus  électoral et référendaire » est moins son existence en tant que structure chargée de gérer tous le processus électoral que la qualité et la crédibilité des personnes chargées de l’animer, personnes, qui devraient, au sens de la loi, être « neutre » et « impartiale ». Ne dit-on pas que l’avenir et la crédibilité d’une institution dépend des hommes chargés de l’animer ?
À propos de l’absence de neutralité et d’impartialité des membres du Conseil électoral d’Elecam, Alain Fogue Tédom, enseignant et directeur du Centre africain d’études stratégiques pour la promotion de la paix et du développement (Caped), réagissant à une prise de position médiatique et médiatisée du Professeur Narcisse Mouelle Kombi, Directeur de l’Iric, écrit :  « l’article 8 (2) de la loi n°2006/011 du 29 décembre 2006 portant création, organisation et fonctionnement « d’Elections Cameroon » (Elecam) dispose clairement que « Les membres du Conseil Electoral sont choisis parmi des personnalités de nationalité camerounaise, reconnue pour leur compétence, leur intégrité morale, leur honnêteté intellectuelle, leur sens patriotique, leur esprit de neutralité et d’impartialité». Sauf à faire admettre que le droit est une science qui ne s’impose aucune logique, la « neutralité » et « l’impartialité » contenues dans cet alinéa 2 de l’article 8 ne sont pas sans rapport avec l’article 13 intitulé « Des incompatibilités » lequel souligne justement, et en toute logique, que les fonctions de membre du Conseil électoral ne peuvent s’accommoder  par exemple du statut de « Membre d’un parti politique ou d’un groupe de soutien à un parti politique, à une liste de candidats ou à un candidat ». La qualité de « Membre d’un parti politique […] » qui est incompatible avec le statut de membre du Conseil électoral est concomitamment un curseur juridique et politique important pour statuer sur la  « neutralité » et « l’impartialité »  des personnalités susceptibles d’être nommées ».
Les griefs formulés contre cet organisme sont nombreux. Entre autres : partialité et absence de neutralité des membres du Conseil électoral, absence d’autonomie financière qui met en cause sa prétention d’indépendance, atrophie des pouvoirs du Conseil électoral au bénéfice du Directeur général des élections, unique ordonnateur des dépenses, qui concentre entre ses mains tous les pouvoirs exécutifs réels sans pour autant présenter les mêmes garanties de serment, de crédibilité à travers l'assurance d'un esprit de neutralité et d'impartialité ou la soumission au régime des incompatibilités ; absence de garanties d'indépendance Directeur général des élections qui contrôle tout le fonctionnement de Elecam, absence d'indépendance fonctionnelle telle qu’il ressort des statuts de Elecam1.
C’est vraisemblablement cet ensemble d’écueils et bien d’autres qui jonchent le processus électoral qui poussent les responsables du Social Demaocratic Front à dire « qu’aucune élection ne sera organisée au Cameroun avec la  configuration actuelle d’Elecam », même si on peut si on peut la capacité de parti à empêcher le déroulement d’une élection au Cameroun. Simple menace ou chantage ?
Toujours est-il que les dés sont pipés à Elecam. « Il n’y a objectivement pas de chances sérieuses qu’Elecam puisse effectivement agir et opérer comme une structure indépendante, crédible, neutre et impartiale d’organisation des élections. Cet état de choses prévaut parce que le groupe gouvernant a imperturbablement et impérieusement choisi de faire nommer les membres du Conseil électoral et de la Direction générale des élections par l’institution-clef du système étatique gouvernant, le Président de la République, sans que cet organe soit juridiquement contraint à procéder à ces nominations en dehors d’un cadre discrétionnaire », tranche Mathias Éric Owona Nguini. (Lire plus loin)
Yvan Eyango
1-Rapport Ndh, Thé citoyen.  Problématique du droit électoral au Cameroun Elecam en question, 19 juin 2008.

Nécessité d’un code électoral unique et consensuel

Depuis le retour du pluralisme partisan au Cameroun, les consultations électorales  organisées posent chaque fois, avec un peu plus d’acuité, la question de la légitimité du pouvoir ou des institutions de représentation qui en sont issues. De fait, le processus électoral au Cameroun recèle des insuffisances objectives qui tiennent pour beaucoup (mais non exclusivement, naturellement) dans la qualité défectueuse de la norme électorale qui se caractérise par une floraison et une dispersion criantes. Il n’est pas futile par ailleurs de savoir que la politique législative en matière électorale se caractérise dans notre pays par une adaptation selon les intérêts du moment de ceux qui procèdent à la réforme.
Pas étonnant dès lors, que la remise en février 2010 par le ministre de l’Administration territoriale au premier ministre d’un projet de code électoral unique ait été interprétée par les observateurs de la scène politique comme une rupture, les plus optimistes y voyant le signe précurseur de l’examen imminent par les Députés d’un projet de code électoral unique.
Alors que toute la classe politique attendait que ledit projet soit déposé devant les députés, ce sont plutôt des amendements à la Loi sur Elecam qui ont été portés en mars 2010 devant l’Auguste Chambre. Cette modification qui fait peser sur l’ordre gouvernant le soupçon de vouloir à tout prix retenir le contr
ôle effectif du processus électoral, apporte trois changements déterminants 1) le retour autrefois décrié de l’Administration territoriale dans le l’organisation des élections,  2) la mise à l’écart de Elecam dans la supervision des Commissions départementales et régionales de supervision des votes et 3) la participation de la Société Civile qui était acquise comme instance devant prendre part dans la concertation dans le premier texte, est désormais « éventuelle ».
Il reste cependant quasi certain, qu’un code électoral unique apporterait à coup sûr des perfections dans la mauvaise qualité des normes électorales actuelles aussi bien dans leur forme que dans leur fond.
Dans la forme, les normes électorales se caractérisent par une floraison et une dispersion étonnante. Si on prend l’exemple les trois types d’élections régulièrement tenues au Cameroun depuis le retour du multipartisme (présidentielle, municipales et législatives), il est loisible de relever que, outre le fait qu’une même élection est régie en même temps par plusieurs textes législatifs et une mosaïque d’autres dispositions réglementaires1 , on note aussi entre les différentes élections, de profondes similitudes dans les dispositions qui régissent nombre d’étapes qui les constituent telles que : la qualification de l’électeur, la constitution des listes, la campagne électorale, la distribution des cartes, l’organisation matérielle du bureau de vote, les modalités de vote, le droit pénal électoral. La situation de flou est exacerbée lorsque deux ou plusieurs textes de droit rentrent en contradiction ou se superposent.
Dans leur globalité, les questions de fond abordées par les normes électorales au Cameroun telles qu’elles se présentent actuellement demeurent très controversées. Elles donnent à penser qu’elles sont faites pour un seul parti, celui qui est au pouvoir. Ainsi, selon les intérêts du moment de ceux qui tiennent les rennes du pouvoir, les lois électorales sont votées de façon prudente et opportuniste. Cette réalité est palpable au moins à quatre niveaux du processus électoral à savoir : le découpage électoral, l’éligibilité (diktat des partis politiques), la constitution de l’électorat, le contentieux électoral.
En tout état de cause, un code électoral entendu comme cadre cohérent et lisible régissant le processus électoral au Cameroun pour être accepté doit faire l’objet d’un consensus entre les acteurs qui, tous doivent s’engager au respect de ses clauses.
Isaac Justin Mabouth
Entrepreneur Social
1-Les élections municipales sont par exemple régies par la loi plusieurs fois amendée qui fixe les conditions d’élection des conseillers municipaux, celle relative à la communication sociale, celle créant Elecam, celle fixant le financement des campagnes électorales, celle sur le Conseil National de la Communication, les arrêtés organisant le fonctionnement des bureaux de vote, les arrêtés organisant l’exercice de certaines libertés…

 

Le fichier électoral virusé

Quand entend les uns et les autres spéculer sur l’informatisation du fichier électoral, on peut immédiatement penser que c’est une panacée. Peut-être perdent-ils de vue que c’est l’outil information que les élections avaient été truquées au Tchad et au Togo.
L’informatisation du fichier électoral est elle une panacée au sempiternel problème des fraudes électorales organisées à répétition par le pouvoir Rdpc pour se maintenir au pouvoir ? En tout cas, après avoir goûté à la fraude électorale sous toutes ses formes, les camerounais ne savent plus à quel Dieu de la transparence se vouer. Ils se sont déjà rendu compte qu’Elecam est une antichambre du parti au pouvoir, chargée d’assurer la réélection de ce dernier. Et la dernière piste que les forces du changement comptent explorer pour se débarrasser d’un régime dictatorial qui les opprime depuis 28 ans est celle de l’informatisation du fichier électoral. Une exigence de plus en plus martelée. Seulement, au regard des expériences du Tchad, du Togo, de la Côte-d’Ivoire…il s’avère que ce dernier gadget électoral n’est pas une solution miracle. Ce qui fait dire à certains experts de la question qu’il ne pourra pas empêcher le Rdpc de jongler avec les voix des électeurs afin de s’assurer un passage en douce et même en douleur.
Il y a quelques années déjà, le gouvernement  lançait à grand renfort de publicité, le fameux projet Sigipes, Informatisation du Système Intégré de Gestion Informatique du personnel de l’État et de la Solde. Un projet qui devait permettre d’assainir les finances publiques et mettre un terme aux irrégularités telles que les perceptions de double salaire, les grossissements des salaires de certains fonctionnaires…Aujourd’hui, ce projet est resté au niveau des « bonnes intentions ». Bilan des courses : les Camerounais ont su jongler avec le Sigipes.

Prévaricateurs
Les prévaricateurs ont plus d’un tour dans leurs poches. Ils savent toujours contourner l’armada d’ordinateurs et de serveurs chèrement acquis par l’argent du contribuable pour continuer à spolier les coffres-forts du pays, non sans la complicité  de certaines personnes chargées d’y mettre un terme. Un triste exemple qui devra tempérer l’ardeur et la foi des Camerounais en l’informatisation du fichier électoral.
Si cette informatisation présente des avantages certains au niveau du coût d’impression des cartes électorales, il reste que c’est l’homme qui sera aux commandes des ordinateurs. Et l’utilisation d’une souris d’ordinateur et de certains programmes pour attribuer le nombre incomptable de voix à un candidat lamda ne sera pas plus difficile que bourrer une urne. Là où il fallait trainer une pile de bulletins et réussir à les introduire discrètement dans une urne fut-elle transparente, un simple clic suffit. En pianotant sur un clavier d’ordinateur, il est plus facile de coller un zéro au résultat d’un candidat préféré et il prend une avance considérable sur ses challengers.
Marcel Fouda Medjo, enseignant d’université, ne dit pas autre chose. Pour lui, « si l’on admet que l’informatique offre des possibilités accrues de déceler et de prévenir les fraudes électorales, il convient aussi de reconnaître qu’elle offre exactement les mêmes possibilités pour une manipulation frauduleuse des données. En effet, s’il est facile de constater qu’un programme informatique réalise certaines opérations, il est beaucoup plus difficile de vérifier que sous certaines conditions, il n’en réalise pas d’autres. On peut faire faire n’importe quoi à un ordinateur de sorte qu’il peut changer de fonctionnement à telle ou telle heure s’il a été programmé ainsi. Les possibilités de l’informatique peuvent donc permettre aussi bien de prévenir les fraudes que de les aggraver en les rendant de surcroît plus difficile à déceler. ». A ce sujet, l’exemple que vient de nous livrer la Côte-d’Ivoire est assez illustrateur. Par la complicité de la société française Sagem, le président de la Commission Électorale indépendante de ce pays a réussi à introduire 50 000 noms d’électeurs fictifs sur la liste électorale. Seule la diligence des membres du Fpi, parti du président Laurent Gbagbo a permis de démasquer la manœuvre. Ce président de la Cei qui avait juré la main sur le cœur qu’il sera indépendant a été viré de son poste. C’est dire que l’outil informatique est insuffisant pour mettre un terme aux intensions des fraudeurs. Il en faut plus.
Au Cameroun, cette informatisation à défaut d’être un vœu pieux, engendra d’autres problèmes ; à commencer par le sort des électeurs des zones rurales. C’est une lapalissade : le pays de « Grandes Ambitions », malgré son potentiel hydro-électrique reste assez peu connecté à l’énergie électrique. Ce qui fait que tous les compatriotes des campagnes seront écartés du processus. Sauf si les pouvoir publics  prennent l’engagement de doter toutes les circonscription de matériel informatique adéquat et d’électrifier toutes les villes et villages du Cameroun. Autant de défis qu’il faut bien résoudre au préalable.
Maheu


La réalité diverse des commissions électorales nationales

La plupart des pays qui ont mis en place une commission électorale, ont expérimenté la formule dès la période de transition. Ensuite, ce modèle de gestion s'est imposé ou l'a été par la pression des oppositions. Ce phénomène s'inscrit dans un contexte particulier avec l'impératif libéral en matière économique et l'impératif démocratique en matière politique. Dans ce contexte s'impose la mise en place de « nouveaux modes de régulation de l'action publique » qui peuvent s'interpréter comme « la mise en place d'un tiers régulateur chargé de superviser le jeu social, en établissant certaines règles et en intervenant de manière permanente pour amortir les tensions, régler les conflits, assurer le maintien d'un équilibre d'ensemble ».
La composition de ces commissions électorales peut être très variable. Dans une forme très large elles associent, outre les représentants des partis de la majorité au pouvoir et ceux de l'opposition, des représentants des organisations de la société civile, ceci indépendamment de la nature du pouvoir en place. On retrouve ainsi cette configuration au Mali mais aussi au Burkina Faso. Pour les premières élections organisées sous la IIIe République malienne, une Ceni est mise en place par l'adoption du code électoral en janvier 1997. C'est le bâtonnier de l'ordre des avocats, Me Kassoum Tapo, qui la préside. Elle comprend 30 membres et est chargée de l'organisation et de la gestion des élections. Après la réforme du code électoral en février 2002, la Ceni ne comprend plus que quinze membres, mais garde cette pluralité. Au Burkina Faso, la Ceni mise en place lors du processus électoral de 1998 procède du même équilibre, mais intègre également des représentants des centrales syndicales. À l'opposé, d'autres commissions électorales présentent une composition basée exclusivement sur les partis politiques, comme au Togo où figurent à part égale les représentants du parti majoritaire et des partis de l'opposition.
Ces variantes dans la composition ne sont pas neutres. La commission électorale togolaise reste enfermée dans la bipolarité politique pouvoir-opposition, que la présence de membres de la société civile permet de rompre dans les autres exemples. Cela renvoie à la capacité de médiation du conflit politique de ces commissions, qui est essentielle dans certains cas. Par exemple, au Congo, la commission électorale mise en place en décembre 1992 après les premiers affrontements, a été présidée par un militaire, le général Ngollo, toujours ministre de la Défense, tandis que l'armée s'érigeait en arbitre du conflit.
Le mandat des commissions électorales est lui aussi très varié selon les situations. Rares sont celles qui peuvent assurer le suivi, a fortiori l'organisation du processus électoral dans toute sa continuité : préparations des listes, validation des candidats, contrôle de la campagne, organisation matérielle du scrutin, contrôle des modalités du vote le jour de celui-ci, contrôle des opérations de dépouillement et de la promulgation des résultats. De même, les commissions peuvent être chargées de l'organisation pratique du processus ou au contraire ne simplement assurer qu'un contrôle, un suivi des opérations électorales organisées par l'administration territoriale de l'État.
L'existence d'une commission électorale nationale ne signifie pas forcément que l'administration territoriale de l'État soit complètement court-circuitée (Burkina Faso) dans la gestion pratique de l'élection. La Ceni burkinabé a pour fonction non seulement la supervision des listes et cartes, le recensement des coûts, l'acquisition et la ventilation et la gestion des moyens nécessaires aux opérations de vote, mais elle d'autres commissions électorales présentent une composition basée exclusivement sur les partis politiques, comme au Togo où figurent à part égale les représentants du parti majoritaire et des partis de l'opposition.
Ces variantes dans la composition ne sont pas neutres. La commission électorale togolaise reste enfermée dans la bipolarité politique pouvoir-opposition, que la présence de membres de la société civile permet de rompre dans les autres exemples. Cela renvoie à la capacité de médiation du conflit politique de ces commissions, qui est essentielle dans certains cas. Par exemple, au Congo, la commission électorale mise en place en décembre 1992 après les premiers affrontements, a été présidée par un militaire, le général Ngollo, toujours ministre de la Défense, tandis que l'armée s'érigeait en arbitre du conflit.
Le mandat des commissions électorales est lui aussi très varié selon les situations. Rares sont celles qui peuvent assurer le suivi, a fortiori l'organisation du processus électoral dans toute sa continuité : préparations des listes, validation des candidats, contrôle de la campagne, organisation matérielle du scrutin, contrôle des modalités du vote le jour de celui-ci, contrôle des opérations de dépouillement et de la promulgation des résultats. De même, les commissions peuvent être chargées de l'organisation pratique du processus ou au contraire ne simplement assurer qu'un contrôle, un suivi des opérations électorales organisées par l'administration territoriale de l'État.
L'existence d'une commission électorale nationale ne signifie pas forcément que l'administration territoriale de l'État soit complètement court-circuitée (Burkina Faso) dans la gestion pratique de l'élection. La Ceni burkinabé a pour fonction non seulement la supervision des listes et cartes, le recensement des coûts, l'acquisition et la ventilation et la gestion des moyens nécessaires aux opérations de vote, mais elle doit assurer la sécurité du scrutin et l'acheminement et la proclamation provisoire des résultats, qui n'est officielle qu'après promulgation par la Cour suprême. Les membres de la Ceni sont assistés de façon pratique par des personnes ressources extérieures dans le cadre de sous-commissions. Ainsi ce sont des commissions administratives émanant du ministère de l'Administration territoriale et de la sécurité burkinabé qui ont notamment réalisé la révision des listes électorales avec un membre de la Ceni pour superviser les opérations.
Du point de vue de l'analyse institutionnelle, la qualification juridique de ces commissions n'est pas évidente. A. Loada les assimile à des « autorités administratives indépendantes » s'inspirant de J.L. Quermonne :
« Instances administratives situées hors de la mouvance du gouvernement, d'un département ministériel ou de leur délégués, et qui reçoivent de l'État la mission d'opérer la régulation d'un secteur sensible de la vie en société, à l'interface de la société civile et du pouvoir politique »
Par contre, si leur caractère administratif ne fait pas de doute « ils se présentent également sur le plan formel comme un ensemble organisé de moyens matériels et humains mis en œuvre en vue de l'exécution de tâches précises », leur indépendance est beaucoup plus sujette à caution, en dépit de cette qualité conférée par la constitution ou le juge administratif :
« Pour certains, ce sont les garanties statutaires accordées, organiques et fonctionnelles (durée du mandat, inamovibilité, immunités, incompatibilités, obligations des membres, autonomie de gestion administrative et financière, absence de contrôle hiérarchique, etc.) qui permettent d'apprécier le degré d'indépendance d'une institution. Encore faudrait-il que ceux qui la font fonctionner soient animés d'une réelle volonté d'indépendance, et non de dépendance mue par la détermination de tirer quelques ressources du clientélisme ou du népotisme, dans un contexte économique, politique ou social favorable à ce type d'échange social ».
La Cen n'est donc qu'un des acteurs du processus électoral, qui en porte en grande partie la légitimité et la responsabilité. Mais la Cen à elle seule ne peut garantir l'équité et la liberté du processus électoral. Elle doit souvent s'appuyer au niveau local sur les autorités étatiques. Elle est tributaire de ses relations avec les autres intervenants. Ainsi au Togo, la Cen doit collaborer avec des préfets aux ordres du général Eyadéma. Sur un autre plan, la Cen est confrontée à un autre acteur que sont les observateurs électoraux, nationaux ou internationaux. Si en général ils sont officiellement placés sous l'égide de la Cen, en réalité ils représentent une source différente de légitimation qui parfois vient conforter la Cen comme parfois elle vient la neutraliser. Le rôle des observateurs est loin d'être neutre.
Céline Thiriot
Source : Voter en Afrique. Comparaisons et différenciation, Paris, L’Harmattan, 2004, pp 136-139. Pour les notes page, consultez l’ouvrage.

Mathias Eric Owona Nguini

“Elecam ne peut agir et opérer comme une structure indépendante, crédible, neutre et impartiale d’organisation des élections”

Germinal : Au début des années 90, des États africains ont engagé des processus de libéralisation politique caractérisée par l’émergence d’institutions nouvelles telles que les conférences nationales souveraines, les gouvernements d’union nationale, les Commissions électorales nationales indépendantes (Ceni), etc. Ces institutions, notamment les Ceni, qui laissent transparaître l’idée de cogestion, étaient-elles ou sont-elles devenues une manière de consolider les régimes post-transition ?
Mathias Eric Owona Nguini : Effectivement, ces différentes institutions et instances (Conférences nationales souveraines gouvernements d’union nationale, commissions électorales nationales indépendantes) étaient envisagées comme des organes avisés permettant de réorienter et de restructurer la gouverne étatique dans les sociétés étatiques d’Afrique postcoloniale. Il s’agissait de mettre en place le cadre politico-institutionnel de régimes post-parti unique devant effectivement assurer une transition réussie et maîtrisée vers la démocratie pluraliste-constitutionnelle. Pour ce faire, il s’agissait de mettre en place des techniques de gouvernement basé sur le power-sharing (partage au pouvoir) qui introduisaient la co-gestion pluraliste dans la gouvernance des Etats longtemps restés à l’ombre de l’Etat présidentiel de parti unique comme modèle institutionnel paradigmatique. La cogestion électorale était particulièrement recherchée et a fondé la mise en place des Commissions électorales nationales indépendantes (Ceni).

Comment comprendre ou interpréter la diversité des Ceni ? A quoi servent-elles ?

La diversité des formules organiques et fonctionnelles qui ont été juridiquement fixées à propos de ces commissions électorales nationales appelés à gérer le réapprentissage politique de la concurrence politique par le vote, est une situation liée à la trajectoire historique singulière de la transition post-parti unique dans chaque société étatique africaine. Elle a aussi à voir avec la variété des rapports de force et des équilibres d’intérêts caractérisant les jeux et les échanges politiques entre groupes partisans, citoyens, communautaires et corporatifs selon les pays. Cet état de choses caractérisé par une multiplicité d’arrangements institutionnels a également partie liée avec la capacité de négociation des forces socio-politiques prioritairement intéressés par les choix juridico-politiques d’institutionnalisation de l’arbitre électoral. Les commissions électorales nationales indépendantes, telles qu’envisagées dans l’échange politique entre les groupes gouvernants et les groupes d’opposition, étaient des instances censées assurer un rééquilibrage libéral des pratiques dominantes de régulation des élections hérités du parti unique qui étaient caractérisées par un biais politique et institutionnel monopoliste favorable à l’élite de pouvoir installée au cœur de l’Etat, profitant de ses privilèges à titre de rétribution du soutien apporté à un leader central présidentiel placé en dehors de toute mise en concurrence électorale.

Au Cameroun, sous la pression des bailleurs de fonds et des partis politiques de l’opposition, les pouvoirs publics ont d’abord opté pour l’Observatoire national des élections, puis ils sont passés à Elections Cameroon (Elecam). Qu'est-ce qui change fondamentalement entre les deux structures ?
Ce qui a changé au niveau politico-institutionnel-formel dans le passage entre l’Observatoire national des élections (Onel) et Elections Cameroon (Elecam), c’est que le régulateur électoral ne se contente plus d’observer et de superviser mais doit de manière plus englobante organiser et gérer. La question qui persiste est de savoir si le nouveau gendarme électoral qu’est Elecam s’est organiquement et fonctionnellement doté de l’indépendance lui permettant normativement et matériellement de conduire le processus électoral de manière impartiale, neutre, franche, sincère, sérieuse et honnête. Telle qu’Elecam a été conçu et mis en place, il est difficile d’établir clairement l’indépendance de cette structure par rapport à l’Etat central en général et au pouvoir exécutif en particulier. Le groupe gouvernant a une nouvelle fois recouru à un art juridico-politique de la ruse et de la duplicité, en faisant notamment de la Direction générale des élections, le dispositif moteur dans la conduite de la régulation électorale.

Elecam peut-elle être considérée comme une structure indépendante, crédible et impartiale ou neutre susceptible d’organiser des élections crédibles, transparentes, équitables et justes au Cameroun lorsqu’on sait que la plupart de ses principaux dirigeants étaient membres soit du comité central, soit du bureau politique du Rdpc ?
Clairement, non. Il n’y a objectivement pas de chances sérieuses qu’Elecam puisse effectivement agir et opérer comme une structure indépendante, crédible, neutre et impartiale d’organisation des élections. Cet état de choses prévaut parce que le groupe gouvernant a imperturbablement et impérieusement choisi de faire nommer les membres du Conseil électoral et de la Direction générale des élections par l’institution-clef du système étatique gouvernant, le Président de la République, sans que cet organe soit juridiquement contraint à procéder à ces nominations en dehors d’un cadre discrétionnaire. Elecam est d’autant moins crédible que les membres du Conseil électoral ont été nommés dans des conditions de forme, de procédure et de fond qui n’ont pas respectées les dispositions légales prévues à cet effet qui posaient des critères d’objectivité, d’impartialité, de neutralité. Au plan aussi bien de l’éthique juridique attachée à l’esprit et la lettre de la loi qui au plan d’une éthique politique basée sur la tolérance pluraliste, la nomination exclusive de membres même démissionnaires du Comité central et du Bureau politique du Rdpc au sein du Conseil électoral n’est pas un gage de loyauté, ni d’honnêteté et de sincérité. Très clairement, cette nomination a été  délibèrément effectuée en violation des dispositions de la loi et dans un esprit qui souligne le refus (cynique) du groupe gouvernant de tout dialogue électoral sérieux,loyal et franc avec les forces d’opposition. Par ailleurs, le groupe gouvernant qui avait négocié avec le Commonwealth en vue de la mise en œuvre d’une commission électorale impartiale et non partisane, a délibérément choisi une stratégie de tromperie sur la marchandise en faisant comme si Elecam était une commission électorale politiquement paritaire.

Elecam est-elle en mesure de remplir les missions qui sont les siennes sans l’intervention du Minatd ?
Non. Elecam ne peut pas raisonnablement ni concrètement remplir ses missions sans une intervention massive du ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation, intervention qui pourrait effectivement et empiriquement mettre en question la capacité de cette commission électorale à organiser de manière autonome et indépendante le cadre logistique et opérationnel de tenue du scrutin. Elecam ne dispose pas de moyens budgétaires et financiers qui puissent lui permettre de contrôler l’organisation matérielle et opérationnelle des élections et de cantonner l’implication du Minatd à un appui en évitant que celui-ci ne conduise en pratique à une véritable action de substitution de l’administration territoriale à Elecam.
Elecam verra également sa tâche difficultée parce que le délai confié à cette structure en vue de l’organisation du prochain cycle-électoral, de l’élection présidentielle en particulier, paraît court, compte tenu de l’importance de ce scrutin et de la capacité matérielle limitée de ce régulateur électoral.

Les querelles autour de l’Onel et de Elecam ne traduisent-elles pas un déficit de confiance entre les acteurs politiques ?
Bien entendu, oui. La controverse politique récurrente sur l’organisation et la gestion des opérations électorales au Cameroun s’exprime de manière continue depuis les querelles concernant l’Onel jusqu’aux disputes relatives à Elecam. Cela révèle que le système institutionnel camerounais et la superstructure politique constituée autour des appareils de parti ou des associations civiques ne sont pas capables d’entretenir un dialogue politique à la fois sérieux et fructueux autour de la nécessité d’un consensus électoral pluraliste soulignant l’accord des acteurs politiques sur les règles du jeu.
En raison de l’inconsistance et de l’insignifiance du dialogue entre les principaux acteurs politiques, les processus électoraux organisés au Cameroun sont et demeurent marqués par une forte méfiance et une nette méfiance, toutes choses qui révèlent la faible qualité démocratique et pluraliste des pratiques électorales en cours. Dans de telles conditions, le système institutionnel camerounais ne peut pas fonder et construire une légitimité et une crédibilité électorales sérieuses en termes de sincérité et de représentativité démocratiques.

Ces querelles préfigurent des contestations des résultats des urnes. Si on admet à la suite des observateurs avertis que les fraudes électorales sont normales et sont un élément constitutif du « marché politique » et que la violence électorale, forme déviante de participation politique, n’est pas l’indice d’un refus des procédures démocratiques, ces contestations des résultats des urnes ne correspondent-elles pas, le plus souvent, à l’absence de stratégies de remplacement pour les perdants plutôt qu’à une incompréhension démocratique?
Sauf à encourager de manière systématique et systémique, la pratique frauduleuse et licencieuse des élections, on ne peut pas considérer les irrégularités et les déviances électorales comme des pratiques conformes. En effet, même si ils peuvent matériellement et pratiquement  être observés et constatés, ces conduites et comportements n’en deviennent pas pour autant légitimes, sauf à enlever tout sens sérieux à l’exercice libre intègre, honnête, transparent et sincère du suffrage universel qui fonde canoniquement la pratique électorale légitime de la démocratie pluraliste. Les fraudes, déviances et irrégularités électorales sont des distorsions et des perversions de l’acte et du jeu légitimes, légaux et conformes de la mise en concurrence démocratico-électorale. En conséquence de quoi, la qualité d’un processus électoral et la crédibilité d’un régulateur électoral s’apprécieront à leur capacité effective d’user de tous les moyens légaux institutionnels, procéduraux, formels, matériels et substantiels pour juguler ces sources et ressources d’inconduite qui alimentent la contestation des résultats électoraux. On ne peut légitimer ni justifier ces pratiques abusives de fraude et de violence électorales qui entravent l’exercice authentique, sérieux ou méticuleux de la démocratie par le vote concurrentiel, pacifique libre et indépendant. Il n’est alors pas possible de réduire les contestations des résultats à l’inefficacité des stratégies de remplacement des groupes électoraux perdants, sauf si il est prouvé que les groupes électoraux gagnants ont effectivement arrêté un accord avec leurs concurrents sur les règles du jeu électoral et les ont concrètement respectées.

Question à deux volées : au cours des élections précédentes, les acteurs politiques et certains observateurs ont très souvent dénoncé le clientélisme et l’achat des voix. Ces pratiques ne constituent-elles pas les bases de l’échange électoral et non sa perversion ? S’il n’y a pas un monopole qui empêche la compétition, autrement dit si le marché politique est libre et privatisé, ces pratiques empêchent-elles le fonctionnement de la démocratie électorale?
Si le clientélisme et l’achat des voix sont des réalités observables de la vie et de l’échange socio-politiques, on ne peut pas se suffire de cela pour considérer que ces pratiques sont des conduites conformes et régulières à l’axiologie et à la déontologie politico-morales de la démocratie pluraliste. En effet, l’exercice de la concurrence politique n’a de sens démocratique et pluraliste que quand il se fait à travers l’observance effective et décisive des règles de la concurrence politique pluraliste-électorale. Si à la pratique on peut constater de telles conduites, passé un certain stade, on ne peut sérieusement y voir que des comportements de perversion du jeu politique démocratico-électoral ; Il convient alors que soient organisés et institutionnalisés des régulateurs éthiques et juridiques à même de détecter et de sanctionner de tels comportements déloyaux et/ou illégaux ou tout au moins de les canaliser. La démocratie électorale a besoin de garde-fous institutionnels (Conseil constitutionnel ou Cour constitutionnelle, Cour suprême, Commission électorale, Commissions sur le financement des partis et/ou des campagnes électorales,Comissios indépendaéntes de lutte contre la corruption).
Ces gardes-fous moraux et/ou institutionnels ne seront pertinents que si ils peuvent être activés ou actionnés à travers des procédures interpellatives et inquisitoriales ou judiciaires et disciplinaires visant à dévoiler et à sanctionner ou faire sanctionner de tels écarts à la morale républicaine et démocratique. Dans cette optique, ces mécanismes de régulation et de protection sont appelés à agir pour contrecarrer la constitution douteuse, pernicieuse, licencieuse et frauduleuse de monopoles politiques et sociaux de représentation électorale qui résulte paradoxalement de l’exercice déréglé, privatisé et patrimonialisé de la concurrence politique pluraliste-électoraliste.

D’après vous, pourquoi jusqu'ici au Cameroun le consensus sur la question électorale n'intervient pas  ni entre le gouvernement et le reste des acteurs sociaux, ni entre les "opposants", comme en Afrique de l'Ouest ?
La vie sociopolitique camerounaise telle qu’organisée des années 1990 à 2010, est effectivement marquée de manière emblématique et paradigmatique, par l’absence et l’inexistence d’un consensus politique et institutionnel sur la question électorale. Un tel état de choses est révélateur de la disposition d’esprit illibérale et autoritaire qui prévaut dans les milieux politiques aussi bien gouvernants qu’oppositionnels. Cette situation souligne également la persistance d’une mentalité politique hégémoniste et intégriste chez les acteurs de la société politique ou même de la société civile, laquelle mentalité s’exprime dans le refus dogmatique ou fanatique de la discussion et de la remise en question. La difficulté à instaurer et à installer un dialogue politico-électoral soutenu, approfondi, élargi et partagé, montre la persistance dominante d’une vision rentière du pouvoir qui le fait considérer comme un jeu à somme nulle. Un tel état d’esprit prévaut surtout chez les élites gouvernantes, même si les acteurs de l’opposition et de la société civile ne sont pas exempts de tout reproche en la matière.

Quelle loi électorale et quelle constitution pour la crédibilité des élections et de la démocratie au Cameroun ?
Pour que les élections et le système de démocratie pluraliste soient crédibles et fiables au Cameroun, il convient de sortir d’un cadre politique et institutionnel dominé par le centralisme, le patrimonialisme et l’unilatéralisme, toutes caractéristiques qui demeurent prégnantes en raison de la prévalence persistante d’une empreinte étatique présidentialiste dont les ressorts sont plus bureaucratiques et hiérarchiques que démocratiques et polyarchiques. Dans un tel système de facture et de structure monopolistes et absolutistes, la constitution présidentialiste réprime le pluralisme et le parlementarisme démocratiques-constitutionnels et invalide toute division pluraliste sérieuse du pouvoir, favorisant plutôt le centralisme princier et bureaucratique. Un tel système est peu disposé à permettre une véritable concurrence politique pluraliste et démocratique parlementaire, concurrence qui menace les privilèges viagers (à vie) ou semi-viagers (durables) qui profitent respectivement au président perpétuel et aux couches présidentialistes accompagnant le leader central présidentiel dans sa carrière de gouvernant perpétuel. C’est seulement avec une Constitution de démocratie polyarchique basée sur le parlementarisme pluraliste et intégrant comme en Afrique du Sud, la Commission électorale effectivement indépendante dans la loi fondamentale, que le système institutionnel et la structure des élections peuvent devenir vraiment libres et indépendants. Pour y arriver, il convient de se libérer du catenaccio présidentialiste.
Propos recueillis par:
Jean-Bosco Talla



 


 



27/10/2010
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