Education: La vraie histoire du Cameroun torpillée dans les écoles
DOUALA - 03 Janvier 2012
© Nadège Christelle BOWA | Le Messager
Selon des chercheurs, l'enseignement de l'histoire du Cameroun dans les écoles ne reflète pas les réalités historiques. Cette marginalisation serait faite à dessein pour des raisons aussi bien idéologique, politique, économique que culturelle.
© Nadège Christelle BOWA | Le Messager
Selon des chercheurs, l'enseignement de l'histoire du Cameroun dans les écoles ne reflète pas les réalités historiques. Cette marginalisation serait faite à dessein pour des raisons aussi bien idéologique, politique, économique que culturelle.
Un sondage auprès de dix élèves
rencontrés au hasard dans les rues de Yaoundé révèle que la majorité
n'est pas très au fait de l'histoire de leur pays. Ceux qui le sont
l'ont appris au travers des sources secondaires d'apprentissage que sont
: les programmes télévisés (émissions sur l'histoire du Cameroun), les
journaux, les livres hors du programme officiel, etc. La vérité étant
que l'histoire du Cameroun est très peu enseignée dans nos écoles
primaire, secondaire et même dans nos universités. A ce sujet, interrogé
par des confrères à la faveur de la célébration du cinquantenaire de
l'indépendance du Cameroun, Paul Mbem, enseignant d'histoire et
directeur de collège, indique que l'Histoire du Cameroun occupe une
place insuffisante dans les programmes scolaires camerounais. «De la
classe de 6e en Terminale, les cours d'Histoire du Cameroun précolonial,
colonial et post-colonial couvrent à peine trois chapitres, qui sont
logés vers la fin du livre au programme de la classe de Terminale. Il
faut que l'enseignant fasse donc preuve de conscience professionnelle
pour couvrir tout le programme et donc dispenser des enseignements sur
l'Histoire du pays».
En étudiant pour sa part «Le nationalisme camerounais dans les programmes et manuels d'histoire: réalités et enjeux » dans le cadre de son Mémoire de Master académique en sociologie politique, Segnou Siéwé aboutit à une conclusion similaire: «Les programmes d'histoire au Cameroun sont encore assez extravertis. Autrement dit, on enseigne plus l'histoire des autres pays que celle du Cameroun». Les résultats de son étude quantitative et qualitative des programmes et manuels d'histoire actuellement en vigueur au Cameroun dans l'enseignement primaire, secondaire et supérieur montrent en effet que le nationalisme camerounais est assez dévalorisé dans les enseignements d'histoire; de telle sorte que la jeunesse camerounaise ne peut connaître la vraie histoire de la décolonisation du Cameroun ainsi que celle des circonstances de la naissance de l'État camerounais. Alors même que, l'un des objectifs de l'enseignement de l'histoire au Cameroun est, selon ces programmes en vigueur, de donner aux jeunes scolaires «une plus grande conscience de leur identité» ; cela afin de produire socialement des «citoyens patriotes, éclairés, fiers de leur identité,...». Un résultat que l'on ne risque pas d'atteindre au regard des enjeux.
Enjeux
En interviewant des chercheurs, enseignants, inspecteurs pédagogiques et hommes politiques, l'auteur de cette étude parvient à la conclusion selon laquelle, cette marginalisation de l'histoire du Cameroun dans les programmes scolaires n'est pas gratuite. En effet, note-t-il, «la mémoire nationaliste du Cameroun renferme des enjeux non seulement aux yeux de l'Etat camerounais, mais aussi aux yeux de l'Etat français. Car ces deux États ont coopéré dans la répression des revendications indépendantistes menées par les nationalistes camerounais, et coopèrent depuis 1960 dans la définition du contenu des programmes d'enseignement du Cameroun». En réalité poursuit-il, l'histoire du nationalisme camerounais renferme des vérités qui, si elles étaient révélées à la jeunesse camerounaise, pourraient ébranler les fondements de l'État camerounais et ceux de la domination française au Cameroun.
Et relater cette histoire telle qu'elle s'est déroulée serait faire un procès à ces deux Etats. Dans la mesure où explique ce chercheur, au moment où le Cameroun francophone doit acquérir son indépendance, deux camps se forment chez les Camerounais: d'une part ceux qui veulent et revendiquent l'indépendance du Cameroun, représentés par l'Upc et une large majorité des Camerounais; d'autre part, les collaborateurs de l’administration coloniale française qui ne veulent pas du tout de cette indépendance. Paradoxalernent, «c'est à ceux qui refusaient cette indépendance ¬et qui combattaient avec acharnement les Camerounais qui la revendiquaient, que la France remit le pouvoir en 1960». Pour ce chercheur qui s'appuie sur des aînés tels Achille Mbembé et Thomas Deltombe, si les jeunes scolaires connaissent les détails de l'Histoire de leur pays, «ils s'interrogeront très probablement sur la légitimité de ceux qui sont au pouvoir au Cameroun depuis 1960 et qui se disent être les «pères-fondateurs» du Cameroun moderne et les «artisans» de l'indépendance du Cameroun». Du côté de l'Etat français, souligne Segnou Siéwé, l'enjeu est lié à l'image de la France à cause notamment de la façon dont celle-ci réprima les revendications indépendantistes au Cameroun. En usant, selon les films documentaires produits sur l'indépendance du Cameroun et les ouvrages écrits sur ce sujet, de tous les moyens possibles pour anéantir politiquement et militairement l'Upc et ses partisans. Tandis que l'armée française disposait des armes de guerre modernes (chars d'assaut, avions, bombardiers,...), les combattants camerounais ne disposaient que des machettes et des fusils de chasse pour se défendre. C'est ainsi que plusieurs centaines de milliers de Camerounais furent massacrés par l'armée française. La France d'après lui, ne voudrait pas que l'on sache qu'elle fit la guerre avec des armes sophistiquées à un pays africain, mais surtout à des Noirs quasiment désarmés. En plus de ces enjeux idéologiques, il recense d'autres politiques, économiques et socioculturels aussi bien pour l'Etat camerounais que français.
Par exemple au plan économique, «l'enjeu pour l'Etat camerounais est la conservation des privilèges et des profits économiques liés à gestion du pays, tandis que l'enjeu pour l'Etat français est la conservation de sa main mise sur les richesses du sol et du sous-sol camerounais».
Au plan social, où les enjeux sont les mêmes pour les deux Etats, l'on craint que le risque d'une prise de conscience collective au sein des masses camerounaises de tout ce qui s'est effectivement passé, puisse entraîner des révoltes, des soulèvements populaires, des insurrections, des révolutions contre l'ordre de domination existant. Pour empêcher ce malaise, la France d'après cet auteur, perpétue la destruction de l'identité historique des Camerounais, ce qui entraîne l'aliénation culturelle et empêche par conséquent l'éclosion d'une conscience alternative au sein des masses camerounaises.
En étudiant pour sa part «Le nationalisme camerounais dans les programmes et manuels d'histoire: réalités et enjeux » dans le cadre de son Mémoire de Master académique en sociologie politique, Segnou Siéwé aboutit à une conclusion similaire: «Les programmes d'histoire au Cameroun sont encore assez extravertis. Autrement dit, on enseigne plus l'histoire des autres pays que celle du Cameroun». Les résultats de son étude quantitative et qualitative des programmes et manuels d'histoire actuellement en vigueur au Cameroun dans l'enseignement primaire, secondaire et supérieur montrent en effet que le nationalisme camerounais est assez dévalorisé dans les enseignements d'histoire; de telle sorte que la jeunesse camerounaise ne peut connaître la vraie histoire de la décolonisation du Cameroun ainsi que celle des circonstances de la naissance de l'État camerounais. Alors même que, l'un des objectifs de l'enseignement de l'histoire au Cameroun est, selon ces programmes en vigueur, de donner aux jeunes scolaires «une plus grande conscience de leur identité» ; cela afin de produire socialement des «citoyens patriotes, éclairés, fiers de leur identité,...». Un résultat que l'on ne risque pas d'atteindre au regard des enjeux.
Enjeux
En interviewant des chercheurs, enseignants, inspecteurs pédagogiques et hommes politiques, l'auteur de cette étude parvient à la conclusion selon laquelle, cette marginalisation de l'histoire du Cameroun dans les programmes scolaires n'est pas gratuite. En effet, note-t-il, «la mémoire nationaliste du Cameroun renferme des enjeux non seulement aux yeux de l'Etat camerounais, mais aussi aux yeux de l'Etat français. Car ces deux États ont coopéré dans la répression des revendications indépendantistes menées par les nationalistes camerounais, et coopèrent depuis 1960 dans la définition du contenu des programmes d'enseignement du Cameroun». En réalité poursuit-il, l'histoire du nationalisme camerounais renferme des vérités qui, si elles étaient révélées à la jeunesse camerounaise, pourraient ébranler les fondements de l'État camerounais et ceux de la domination française au Cameroun.
Et relater cette histoire telle qu'elle s'est déroulée serait faire un procès à ces deux Etats. Dans la mesure où explique ce chercheur, au moment où le Cameroun francophone doit acquérir son indépendance, deux camps se forment chez les Camerounais: d'une part ceux qui veulent et revendiquent l'indépendance du Cameroun, représentés par l'Upc et une large majorité des Camerounais; d'autre part, les collaborateurs de l’administration coloniale française qui ne veulent pas du tout de cette indépendance. Paradoxalernent, «c'est à ceux qui refusaient cette indépendance ¬et qui combattaient avec acharnement les Camerounais qui la revendiquaient, que la France remit le pouvoir en 1960». Pour ce chercheur qui s'appuie sur des aînés tels Achille Mbembé et Thomas Deltombe, si les jeunes scolaires connaissent les détails de l'Histoire de leur pays, «ils s'interrogeront très probablement sur la légitimité de ceux qui sont au pouvoir au Cameroun depuis 1960 et qui se disent être les «pères-fondateurs» du Cameroun moderne et les «artisans» de l'indépendance du Cameroun». Du côté de l'Etat français, souligne Segnou Siéwé, l'enjeu est lié à l'image de la France à cause notamment de la façon dont celle-ci réprima les revendications indépendantistes au Cameroun. En usant, selon les films documentaires produits sur l'indépendance du Cameroun et les ouvrages écrits sur ce sujet, de tous les moyens possibles pour anéantir politiquement et militairement l'Upc et ses partisans. Tandis que l'armée française disposait des armes de guerre modernes (chars d'assaut, avions, bombardiers,...), les combattants camerounais ne disposaient que des machettes et des fusils de chasse pour se défendre. C'est ainsi que plusieurs centaines de milliers de Camerounais furent massacrés par l'armée française. La France d'après lui, ne voudrait pas que l'on sache qu'elle fit la guerre avec des armes sophistiquées à un pays africain, mais surtout à des Noirs quasiment désarmés. En plus de ces enjeux idéologiques, il recense d'autres politiques, économiques et socioculturels aussi bien pour l'Etat camerounais que français.
Par exemple au plan économique, «l'enjeu pour l'Etat camerounais est la conservation des privilèges et des profits économiques liés à gestion du pays, tandis que l'enjeu pour l'Etat français est la conservation de sa main mise sur les richesses du sol et du sous-sol camerounais».
Au plan social, où les enjeux sont les mêmes pour les deux Etats, l'on craint que le risque d'une prise de conscience collective au sein des masses camerounaises de tout ce qui s'est effectivement passé, puisse entraîner des révoltes, des soulèvements populaires, des insurrections, des révolutions contre l'ordre de domination existant. Pour empêcher ce malaise, la France d'après cet auteur, perpétue la destruction de l'identité historique des Camerounais, ce qui entraîne l'aliénation culturelle et empêche par conséquent l'éclosion d'une conscience alternative au sein des masses camerounaises.