Edking : "Tu seras fonctionnaire, mon fils"
Voici
la problématique : entre le paysan et le fonctionnaire, qui dispose de
la meilleure espérance de vie ? Autre versant de la question : du paysan
ou du fonctionnaire, à qui donneriez-vous votre fille en mariage ? A
voir le choix des parents de Jeannette, la réponse est évidente. Dans
son intrigue, Guillaume Oyono Mbia qui intitula son œuvre “ trois prétendants un mari ”, avait vu juste.
La
scène se déroule dans un village perdu au fond de la forêt du sud.
Jeannette devait choisir son fiancé entre un paysan, un commerçant et un
fonctionnaire. Mais le choix avait déjà été fait pour elle par ses
parents : le fonctionnaire vient de la ville ; il est bien habillé ; il a
été à l’école, il travaille avec le bic.
L’agent de la fonction
publique, plus craint qu’adulé, appartient à une race étrange. C’est un
chômeur salarié. Il ne produit rien ou presque, mais il est payé pour
embêter ses contemporains.
Tu t’appelles Nkelenkwé, natif de Babouantou à l’Ouest. Nkelenkwé signifie ‘écorce de bananier séchée’.
Comme c’est trop compliqué pour l’officier d’Etat civil, il adopte pour
la phonétique en écrivant sur ton acte de naissance : Koloko. Voici
comment tu es bombardé Sawa avant même d’avoir appris ta langue
maternelle.
Le
fonctionnaire sait tout faire. Tu as 30 ans ? Tu veux entrer à la police
pour devenir à ton tour fonctionnaire ? No problem. Va à Kumba. Même si
tu veux enlever 15 ans sur ta part, le fonctionnaire est là. Il est
payé pour tout faire.
Tu n’as pour diplôme que ton permis de
conduire acheté au bureau de transport à Douala ? Monte à Yaoundé. Même
le bac, même la licence, même le doctorat, il y aura pour toi si tu sais
parler façon Kamer.
Tu es Biafrais, mais tu veux toum
le passeport camerounais pour que la police ne t’embête plus avec les
bêtises de cartes de séjour ? Rien de plus simple. Va au service
adéquat. On t’y coudra sur mesure, la nationalité camerounaise. Avec
même l’âge sur ça que tu es né à Bamenda up station. Avec même le vert-rouge-jaune sur ça !
Le
fonctionnaire peut tout, je te dis. Tu veux jouer à Arsenal, tes
cheveux blancs vont trahir ton vrai âge ? Va à la Fécafoot. Fais le way
sur ça, teintes ensuite tes cheveux en jaune. Tu crois que Song a fait
comment ? Avec sa crinière de lion vieillissant, est-ce que tu peux lui
donner 50 ans et demi ?
Tu es premier au concours d’entrée à
l’Enam ? Et alors, on mange ça ? Va voir le fonctionnaire avec le
bordereau, mon frère. Si tu retardes, tu verras que c’est ton ancien
camarade d’université qui n’a même pas composé, qui sera admis à ta
place dans cette prestigieuse usine à fabriquer les futurs
fonctionnaires, pour assurer la pérennité de la race.
Mais
ceux-là sont des gagne-petit qui s’engraissent laborieusement sur le dos
de l’Etat. La race comporte quand même quelques grandes virtuoses du
bic rouge, qui ne se nourrissent pas à la petite cuillère. Ils pompent
goulûment la mamelle de l’Etat, que l’on sait intarissable. La qualité
là n’a pas besoin de client pour sucer ses doigts. Ils se ravitaillent
directement à la source, aux impôts, à la douane, bref dans toutes les
régies financières où les rentrées se comptent en milliards. D’autres
privatisent carrément l’argent public, en le gardant dans leur compte
bancaire.
Ho,
cela n’a pas toujours été ainsi. C’est vrai qu’il y avait de bons
fonctionnaires auparavant ! On peut même en citer quelques uns de
notoriété publique comme Tobie Kuoh (zéro parapheur sur son bureau) ;
Paul Biya (un dossier reçu est un dossier traité) ; Koungou Edima
Ferdinand (une main de fer dans un gang de velours), Sabal Lecco (tout
dans la souplesse) et j’en passe. Ces grands commis de l’Etat ont donné à
la fonction publique ses lettres de noblesses.
Mais cette
génération spontanée a disparu sans assurer la relève. La nouvelle
génération est faite de pistoleros. Le bic est devenu une arme de
destruction massive. Demandes au Gicam. Un opérateur économique qui veut
créer une entreprise doit s’armer d’une dose de patience et prévoir
dans son business plan, un poste intitulé : “ encouragement à l’avancement du dossier ”, dont le budget est équivalent au projet initial.
Toutefois
le fonctionnaire est aussi un bon nationaliste. La rédaction
administrative, ça le connaît. Pour attirer les opérateurs économiques
étrangers, il pond des mesures incitatives à l’investissement. Il se
met donc en mission à l’étranger pour prospecter les investisseurs. Les
gogos qui tombent dans le piège arrivent en masse, les mallettes
bourrées de projets. Ils vont vite déchanter. Les textes et règlements
sont bourrés de chausse-trappe. Un article annule l’autre. Avant que le
porteur de projet ne s’en rende compte, il a déjà passé six mois au
pays, s’est ruiné en frais d’hôtel, billets d’avion et passe-droits de
toutes sortes ...et le fonctionnaire est content. Son château avance à
Nguelemendouga...
Plus personne ne se bouscule au portillon.
Aucun emploi ne se crée puisque la production est au point mort. Mais le
fonctionnaire a la peau dure. C’est lui qui est au pouvoir. Il est payé
pour embêter ses contemporains.
L’actualité récente confirme
cette acception ambiante. Nous n’avons inventé ni la poudre ni la
boussole. Mais nous avons des grandes et riches terres inoccupées et
inexploitées. Nous avons un gisement de jeunes hommes qui ne demandent
qu’à travailler. Au lieu de cela, le pouvoir préfère les fonctionnaires à
la place des cultivateurs de tomates.
Quelle richesse
produisent-t-ils ? La solde des agents publics s’élève à 665 milliards
pour quelques 200 000 fonctionnaires. 25 000 recrutements de plus
représentent plus du huitième de la totalité des agents de l’Etat
Central. Leur traitement représentera environ le huitième
de la masse salariale de l’Etat, soit environ 80 milliards de francs
de plus à débourser par an. Si l’on y ajoute le budget de fonctionnement
qui accompagne les activités des agents, les éléments complémentaires
de la solde et les avantages divers, et enfin les investissements
nécessaires à la création d’un poste de travail, dès l’année prochaine
l’Etat devra accroître ses dépenses du fait de ces nouveaux recrutements
d’une somme oscillant entre 150 et 200 milliards.
Sans produire une seule tomate.
Bon vendredi et à vendredi
Edking