Du rififi au sein du sérail : Le doyen d'âge du Sénat demande le retour à la fédération et lance: "Je m'en fous... Allez dire à Paul !"
Source: Camerounvoice 10 04 2019
Incroyable ! Chief Mukete l'a enfin fait. Et cette fois-ci sur la place publique, sans possibilité de se dérober derrière une "déformation-adaptation" de son propos par un média, comme c'était le cas l'an dernier, quand ses porte-parole ont accusé l'hebdomadaire Jeune Afrique de lui avoir attribué des déclarations similaires à celles qui font jaser le sérail ces derniers jours.
Face à des membres du gouvernement, le Sénateur Mukete a manifesté son incompréhension au sujet des souffrances de son peuple qui se meurt pendant que des gens s'amusent à Yaoundé. Entendez par "gens" les dirigeants camerounais dont il a pour la circonstance critiqué ouvertement la gestion négligente de la très meurtrière "crise anglophone" qui a cours dans les deux régions anciennement sous tutelle britannique du Nord-ouest et du Sud-ouest du Cameroun.
« Il a fallu du temps ! » : Les Camerounais connaissent bien ce slogan accolé à sa création à une marque éponyme de bière brassée dans leur pays par un opérateur local. Mais le slogan devenu proverbial est en voie de s'appliquer au Doyen d'âge du Sénat camerounais, Victor Mukete, écœuré par le malheur perpétuel qui frappe les Camerounais d'expression anglaise dont il est une figure majeure.
Un Drame orchestrée par un régime Biya particulièrement irresponsable, dont il nierait difficilement qu'il a été jusqu'ici été considéré –plus à raison qu'à tort - comme une caution morale, dans l'entreprise de celui-ci de résoudre par les armes à feu et les incendies, le soulèvement légitime des anglophones, poussant certains d'entre eux, à opter pour de regrettables menées séparatistes, l'usage de la force brutale contre les contestataires et leur stigmatisation aidant.
La dégaine irascible d'un irréductible défenseur de la cause anglophone et l'énergie d'un impétueux parlementaire -comme on en voit dans les pays où les parlementaires sont véritablement des représentants du peuple- en moins (le sénateur Chief Mukete est âgé de 100 ans depuis le 15 novembre 2018), la complainte du Paramount Chief de Kumba, élevée vendredi dernier à l'intention des membres du gouvernement lors d'une séance de questions-réponses au Senat, n'en a pas moins portée de profonde interpellation et d'invitation à l'introspection pour le régime dont il est un fervent soutien, mais qui malheureusement, est responsable au premier chef du chaos ambiant actuel,
Et le Sénateur centenaire de s'en aller d'un constat dont seul le régime de Biya et ses partisans, habitués à nier les évidences, réussisent encore l'exploit de refuser d'en admettre la pertinence :
«Le système a échoué, la fédération est le seul moyen. Dix états fédérés pour que chaque région puisse gérer ses affaires. Pourquoi les gens ont-ils peur de la fédération? Je ne parle pas comme ça parce que le pays devrait être divisé. Non! Je me suis battu très fort pour la réunification de l'ex-Cameroun méridional et de l'ex-République du Cameroun. Et je ne pourrai jamais le détruire. Mais le pays devrait être fédéré. Regardez l'Amérique, l'Afrique du Sud, la Suisse, le Nigéria, le Canada, la Belgique, l'Allemagne, le Mexique, la Russie et le Rwanda ». |
Une préconisation de retour au fédéralisme qui, aux dires de ceux qui l'ont rapportée de la séance de vendredi à la Chambre haute, croissait en intensité et décuplait le ressentiment de l'orateur, au point où face à son auditoire médusé par sa sortie, mais religieusement respectueux, il a lancé en martelant furieusement le plancher de sa canne royale : «Qu'est-ce que toutes ces absurdités ? Mon peuple meurt; il souffre. Et nous jouons à des jeux ici à Yaoundé. Nous devons être prudents. Je m'en fous. Allez le dire à n'importe qui. Allez dire à Paul !» (Biya s'entend).
L'an dernier, Fon Victor Mukete avait un temps mis au devant de l'actualité pour avoir fait une déclaration que beaucoup avaient qualifiée de courageuse, au magasine Jeune Afrique . Il aurait alors affirmé dans les colonnes du journal de Béchir Ben Yahmed, à propos de la crise anglophone qui commençait alors à prendre des proportions inquiétantes : « si l'on s'était abstenu d'emprisonner des leaders modérés qui n'avaient en définitive que des revendications sociales. Si l'on s'était abstenu aussi de brider la parole des protagonistes des deux camps, celui des modérés comme celui des sécessionnistes ».
Quelques semaines plus tard, cet ancien ministre du gouvernement de Tafawa Balewa à la fin des années 1950 quand l'ancien Western Cameroon, seulement territoire sous tutelle de la Grande Bretagne, était encore rattaché à la colonie britannique du Nigeria, mais aussi acteur historique de la réunification dans les années 1960 des deux Cameroun (anglophone et francophone), bottait en touche et rejetait tout en bloc. Il n'avait jamais accordé d'interview à Jeune Afrique, et les propos à lui attribués, dans les formes tels qu'ils avaient été restitués par le journal, n'étaient que pure déduction ou déformation de journaliste lui faisant dire ce qu'il voulait entendre, avait-on lu dans les journaux relayant les mises au point des membres de sa famille qui disaient parler «pour le vieux ». Avec son autorisation, bien sûr.