Paul Biya n’est jamais allé aussi loin dans la célébration punitive des ses anciens collaborateurs. Dans l’histoire politique des Etats modernes, il n’y a que le stalinisme qui a fait pire dans la mise en disgrâce et la purge de ses anciens dignitaires... En décidant l’emprisonnement brutal de son ancien Premier ministre, Inoni Ephraïm, et de son ancien ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation, Marafa Hamidou Yaya, le monarque de Mvomeka’a vient de sceller, dans le ciment du cynisme et du reniement de soi, la disqualification historique et définitive dont on hésitait encore à accabler le biyaïsme après 30 ans d’approximations, d’errances idéologiques, de tricheries électorales et de règne de l’indigence axiologique.
Le Renouveau national voudrait alors se dérober
à la redoutable efficacité de l’Histoire, qui le jugera de manière
impitoyable, pour tenter de se reconstruire une légitimité longtemps
perdue sur les débris des arrestations spectaculaires de ses propres
dignitaires d’hier au milieu d’un concert de récriminations et de doute.
Car le peuple qui voulait du sang hier demande, désormais, plus
simplement du pain. On a pris la véritable mesure du redondant et
mauvais gymkhana entre le palais de Justice et la prison de Kondengui.
Et cela n’amuse plus que les simples d’esprit…
En choisissant l’arme de la machine politico-judiciaire pour broyer de
très hautes personnalités de la République dont pas moins de trois
secrétaires généraux de la présidence de la République et désormais un
ancien Premier ministre, le président Paul Biya fait le réquisitoire de
son propre règne. Comment-a-t-il pu se tromper autant dans le choix de
tous ces proches collaborateurs qui font aujourd’hui l’objet de
poursuites judiciaires et d’incarcérations ? Comment de hauts commis de
l’Etat, jadis auréolés de tous les pouvoirs et de tous les honneurs,
ont-ils fait pour en arriver à une telle déchéance politico-morale ?
Craints et respectés hier, ils sont désormais traités comme de
misérables voleurs de poules, de vulgaires bandits qui nous rappellent
les risibles équipées des Dalton dans notre littérature de jeunesse.
Tant de ministres, de directeurs généraux, de secrétaires généraux et
autres responsables du Cameroun en prison ne peuvent dédouaner Paul Biya
d’avoir, lui- même constitué une classe politico-administrative si
infertile en idées, si pauvre en patriotisme et surtout si peu
respectueuse de la fortune publique.
Que l’opération Epervier soit aujourd’hui une opération de lutte contre
la corruption et les détournements de deniers publics ou, alors, une
vaste entreprise d’élimination politique de valeureux prétendants à la
magistrature suprême, le dénominateur commun reste la déliquescence d’un
régime pris dans ses propres contradictions et qui se refuse à assumer
la purulence de ses plaies et tente se réfugier derrière un violent
cannibalisme où il est contraint de se nourrir du sang de ses propres
enfants dans ses derniers spasmes convulsifs. Si donc l’opération
Epervier nous fait la grâce de ne perdre de temps demain pour juger un
régime qui le fait déjà lui-même, il restera toujours pour nous comme le
miroir symbolique de l’homme Paul Biya, lancé dans une entreprise
désespérée de reconquête de sens.
La voracité frénétique avec laquelle sa redoutable
machine répressive politico-juridique disloque, désarticule et
déconstruit les destins et les corps de ces hommes et de ces femmes
vient dire à suffisance la faillite d’un système qui ne survit plus que
dans la délectation éphémère que lui offrent les humiliations de ceux
qu’il adoubait encore hier ; l’Etat cannibale se repaît sous la férule
de son prophète pris dans le tourbillon de la fin mais broyant ses
victimes dans une giclée de sang pour apaiser sa déception et fuir la
sentence qui l’attend lui –même. Voilà un maitre qui balance tous ses
élèves sans la moindre émotion, ni le moindre ressenti. Sans ciller ni
vaciller…
Après avoir constitué une classe dirigeante et une génération d’hommes
et de femmes insensibles au terrible destin de leurs concitoyens,
l’homme du 06 novembre 1982 voudrait s’en débarrasser pour constituer à
lui seul le commencement et la fin de son régime qu’il rêve propre et
irréprochable. Comme s’il fut le seul innocent au milieu de 19 millions
de coupables…
Les mauvais films du cinéma de Hong-Kong de notre jeunesse nous montraient bien qu’après la chute des phalanges, puis du bras droit de la triade, finissait tout de même par tomber, celui que nous appelions le « chef bandit ».