Du 10 juillet au 11 août, 26 personnes exécutées par les FRCI
Guillaume N'Guefa (Chef intérimaire de la division des Droits de l'Homme de l'ONUCI) |
Le chef par intérim de la division des Droits de l'Homme de
l'ONUCI, Guillaume N'Guefa fait lepoint, sur ONUCI FM, des missions
d'enquête sur le terrain sur l'évolution des droits de l'homme. Il se
prononce également sur les conditions de détention des anciens barons de
l'ancien régime au pouvoir.
OFM : Au cours de la dernière conférence de presse
hebdomadaire de l'Onuci, vous avez parlé d'une situation précaire en
Côte d'Ivoire et surtout à Abidjan. Vous avez aussi dénoncé des
violations des Droits de l'Homme et de nombreuses exactions commises.
Comment avez-vous recueilli les informations en votre possession?
Guillaume N'guefa
: D'abord, j'aimerais souligner que cet exercice constitue un élément
important dans l'observation permanente de la situation des Droits de
l'Homme en Côte d'Ivoire. Pendant ce mois, nous avons reçu plus d'une
centaine d'allégations des Droits de l'Homme. Nous avons des équipes sur
le terrain, nous avons neuf bureaux de terrain. Une fois que nous avons
ces allégations, des équipes sont sur le terrain. Ce sont des équipes
qui ont la compétence, l'expertise qui récoltent et vont pour établir
les faits. En fait, ils conduisent des missions d'établissement de
faits. Ce ne sont pas des allégations.
OFM : Qui a fait quoi?, Comment? Quelles sont les victimes? Et quelles sont les conséquences?
GN :
C'est seulement à la fin de ces investigations qu'ils envoient leurs
conclusions. Si nous estimons que leurs conclusions sont suffisantes,
nous nous permettons de les dire publiquement au cours d'une conférence
de presse. Cette capacité d'investigation a comme objectif de ne pas les
dénoncer. Mais surtout, d'attirer l'attention des autorités ivoiriennes
sur une situation qui demande des réponses adéquates. Du 10 juillet au
11 août, nous avons constaté que pendant cette période, il ya eu 26
personnes dont un enfant de 17 mois qui ont été sommairement exécutées
dans différents endroits de la Côte d'Ivoire. En plus, plus 80 cas
d'arrestations arbitraires et des détentions illégales et enfin 11 cas
de viol et de mutilations génitales dont la plupart ont été commis dans
l'ouest de la Côte d'Ivoire. Il ne s'agit pas de spéculation et des
choses qui sont inventées.
OFM : S'agit-il des recueils de témoignages?
GN :
Il s'agit non seulement de témoignages, mais nous avons rencontré des
autorités des FRCI, des autorités locales. Nous avons rencontré les
victimes, nous avons été sur le terrain pour constater ce que nous avons
déclaré.
OFM : Qui sont les auteurs de ces exactions?
GN : Les auteurs de ces exactions sont principalement les FRCI. Sur 26 cas d'exactions sommaires. 17 ont été commis par les FRCI.
OFM : Sur quelle base affirmez-vous cela, M. N'Guefa ?
GN :
Mais, nous avons été sur le terrain. Par exemple, le 11 juillet à
Abidjan, l'auteur présumé était un élément des FRCI. Nous connaissons la
victime. Elle a été tuée. Le même jour à Fengolo, non loin de Duékoué,
c'est aussi un élément des FRCI. Il y a eu aussi le 11 juillet, deux
personnes qui ont été sommairement exécutées à Baoubli. Le 19 juillet à
Marcory à Abidjan. Donc, ce sont les résultats de ces investigations. On
ne dit pas les choses par hasard. Si vous nous demandez le nom de la
victime, le lieu, l'endroit et l'heure, la division des Droits de
l'Homme sera en mesure de vous fournir ces informations. Donc, en termes
d'auteur, il y a les FRCI qui ont commis principalement ces violations.
Nous avons les dozos. Et nous avons aussi à Baoubli et à Bonon 7
personnes tuées par les milices pro-Gbagbo.
OFM : Quelles sont les preuves que vous avez, que ce sont les FRCI ou les dozos qui ont commis ces exactions à tel endroit?
GN : Ce sont les fruits de nos investigations. On a été sur le terrain. On a vu les FRCI.
OFM : Qui vous ont avoué avoir commis ces exactions?
GN :
Absolument. Quand les exactions sont commises sur le terrain, nous
rencontrons les FRCI. Nous entamons un dialogue critique avec les
commandants locaux. Ces commandants sont au courant de ce que nous
disons. Ils ont désigné un point focal au ministère de la Défense. Et le
ministère est au courant de tout cela. On suit cela. Ceux qui
conduisent ces investigations sont au courant. Au niveau local, si les
FRCI ne remontent pas l'information au niveau d'Abidjan, c'est leur
problème. Ce que je sais, ceux qui sont sur le terrain remontent
l'information au niveau d'Abidjan et nous retravaillons ces
informations. Nous les questionnons de la même manière que vous êtes en
train de nous questionner. Les rapports sont critiques. Nous avons le
nom de la victime et de l'auteur. Quelquefois, ce qui est troublant,
c'est qu'ils sont au courant. Ils disent qu'ils vont prendre des mesures
pour sanctionner l'auteur. Ensuite, on voit toutes ces personnes sur le
terrain.
OFM : Mais les autorités ivoiriennes
disent avoir été surprises par la publication de votre rapport. Elles
sont étonnées de n'avoir pas été préalablement informées par l'ONUCI.
Qu'est-ce que vous répondez à cela?
GN : Nous
maintenons un dialogue avec le gouvernement. Lorsque nos équipes vont
sur le terrain, elles informent le politique. Il ne nous appartient pas
de rendre compte aux autorités. Il appartient aux autorités sur place de
rendre compte à leur hiérarchie. D'ailleurs, nous échangeons de bonne
foi des informations avec les autorités. S'il y a eu une rupture des
échanges des informations au niveau des chaines de commandement, cela,
c'est à leur niveau. Mais, à notre niveau, la conférence de presse a été
tenue sur des faits qui sont connus pas les populations et les
organisations indépendantes de la société civile. Ces informations ne
viennent pas seulement des victimes ou de la société civile. Mais, il a
aussi des informations d'autres sources indépendantes telles que les
églises catholiques, protestantes ainsi que les imams et les chefs
coutumiers. Il y a un point focal au niveau du ministère de la Défense.
Je peux vous dire que moi-même, j'informe les autorités ivoiriennes sur
certaines des situations que nous constatons sur le terrain.
OFM : Vous dites certaines des situations?
GN : Certaines autorités, oui! Lorsque les
allégations sont confortées, elles deviennent des évidences. Nous
informons les autorités. S'il y a une rupture au niveau des chaines
d'informations des autorités, je pense qu'il y a lieu de corriger cela.
Mais quant à nous, nous allons maintenir ce dialogue critique avec les
autorités. Nous sommes prêts, si d'ailleurs elles veulent, nous pouvons
leur transmettre notre tableau récapitulatif des cas d'exécutions
sommaires, d'arrestations arbitraires constatées par la division des
Droits de l'Homme, du 11 juillet au 10 août. Vous savez que certaines
des violations des Droits de l'Hommes, pas toutes, peuvent constituer
des crimes selon la législation ivoirienne. Il leur appartient sur la
base de ces informations de ceux qui sont appelés à dire le droit de se
saisir d'office et d'ouvrir les enquêtes appropriées.
OFM :
Alors, vous disiez aussi que dans votre rapport, vous avez découvert
des fosses communes. Où les avez découvertes? Combien de corps
contenaient-elles? Quelles sont les victimes?
GN : Nous avons eu des appels, des invitations, des
chefs d'établissement scolaires dans les communes de Yopougon qui nous
ont dit ceci: «Il y a huit fosses communes qui ont été découvertes dans
trois établissements. Venez constater cela.» Nous sommes allés
constater. Effectivement, il y a huit fosses communes dans ces trois
établissements à Yopougon à Abidjan.
OFM : Ces fosses communes contenaient combien de corps ?
GN : Nous ne savons pas combien de corps y sont
contenus. Pour le savoir, il faut que les autorités ivoiriennes, par la
voie judiciaire, nous permettent qu'on puisse creuser et déterrer ces
corps. Notre rôle n'est pas d'interférer dans la justice ivoirienne. Les
chefs d'établissement disent qu'en prévision de la rentrée scolaire, il
faut que les élèves fréquentent l'établissement scolaire. Il est
difficile de fréquenter un établissement scolaire où il y a huit fosses
communes autour. Nous ne connaissons pas les contenus. Donc, nous sommes
déterminés à accompagner les autorités ivoiriennes à déterrer les
corps, à déterminer les causes et en notre présence. C'est un message
d'alerte. Il appartient aux autorités ivoiriennes de prendre leur
responsabilité.
OFM : Comment avez-vous fait ce constat qu'il y a des fosses communes?
GN : Nous sommes allés sur le terrain sur la base
des témoignages des chefs d'établissement. Nous ne savons pas combien de
corps. C'est en présence d'un médecin légiste qu'on peut établir les
causes de leur décès. C'est l'Etat ivoirien qui doit s'assurer qu'à la
prochaine rentrée scolaire, les enfants ne vont pas à l'école où il y a
des fosses communes.
OFM : Vous avez rendu
visite aux détenus pro-Gbagbo à Bouna, Korhogo, Boundiali. Vous avez
aussi rencontré le couple Gbagbo à Odienné et Korhogo. Dans quel état
d'esprit les avez-vous vus? Quelles sont leurs conditions de détention?
GN : D'abord, nous avons rencontré Mme Gbagbo. Je
pense que les conditions sont bonnes. Mme Gbagbo est en résidence
surveillée à Odienné. Elle nous a dit, elle-même que les conditions de
détention sont bonnes. Elle a dit qu'elle est bien traitée. Elle a la
possibilité de se promener. Ce qui est une très bonne chose. L'attitude
positive du commandant FRCI d'Odienné contribue énormément à ce que ces
droits soient garantis. Le commandant FRCI fait un bon travail.
OFM : Et en ce qui concerne M. Gbagbo?
GN : Nous l'avons rencontré à la résidence
présidentielle. On a discuté longuement avec lui. Il ressort des
discussions qu'il y a des recommandations à formuler aux autorités
ivoiriennes. Nous le ferons par des canaux appropriés.
OFM : Comment avez-vous trouvé des détenus pro-Gbagbo à Bouna et à Boundiali?
GN : A Boundiali, je pense que les conditions sont
bonnes et conformes aux normes et standards internationaux. En ce qui
concerne les détenus de Bouna, il y a des améliorations à apporter.
OFM : Lesquelles par exemple?
GN : Vous savez, quand il pleut, il y a de l'eau qui
rentre. Il y a des conditions hygiéniques à améliorer. Nous allons
faire des recommandations aux autorités. Mais en tout état de cause,
aucune de ces personnes ne nous a dit qu'elle était torturée même
moralement. Il y a des petites choses qu'il faut améliorer. Nous allons
maintenir le dialogue avec les autorités.
OFM :
L'un des avocats de M. Gbagbo, notamment Me Emmanuel Altit, a publié un
courrier dans la presse. Il dénonce les conditions de détention de son
client, M. Gbagbo. Il affirme avoir demandé de l'aide à l'ONUCI. Il dit
s'être buté à une fin de non recevoir. Que répondez-vous à cela?
GN : Normalement, nous sommes astreints au devoir de
réserve. Mais, je vais prendre une petite exception sur ça. Me Altit,
je l'ai reçu personnellement en compagnie de l'un de mes collaborateurs.
Il a demandé à ce que l'ONUCI puisse le transporter pour aller
rencontrer son client. Ma réponse a été claire. C'est un avocat, il fait
une profession libérale. Il est payé par son client. Nous ne pouvons
pas le transporter. Si cela devait se faire, cela devait se faire sur
une base exceptionnelle. Nous sommes en train d'apporter un appui aux
autorités judiciaires et ivoiriennes pour mener les enquêtes.
OFM :
Pour terminer, M. N'Guefa, vous faisiez régulièrement des rapports sur
la situation des droits de l'Homme. Vous avez arrêté de publier les
rapports. Est-ce qu'on peut connaitre les raisons de cet arrêt?
GN : Nous avons toujours tenu régulièrement des conférences de presse.
OFM : Il n'y a plus de rapports après la crise?
GN : Avant la crise, tous les quatre mois, nous
produisons des rapports. Nous sommes entrés dans une situation
pré-électorale qui nécessitait que nous puissions suivre la protection
des Droits de l'Homme. Nous avons régulièrement tenu informée la
communauté nationale et internationale sur ce que nous faisions. Il y a
des rapports qui sont publics. Il y a d'autres qui ne le sont pas.
OFM : Vos rapports sont de plus en plus publics, par rapport à ceux d'avant la crise?
GN : Mais pas du tout. Il faut dire que pendant la
période pré-électorale, on n'avait pas autant de violation des Droits de
l'Homme que nous avons aujourd'hui. On n'a pas changé, parce que les
gens pensent que sous le Président Gbagbo, on était très dur. On
produisait des rapports et maintenant, on en produit de moins en moins.
OFM : C'est ce que les gens pensent?
GN : Ceux qui connaissent la réalité, avant les élections à partir du mois de septembre, la division des Droits de l'Homme a produit systématiquement des rapports. Nous avons fait l'évaluation des Droits de l'Homme. On n'a pas changé parce que l'Onuci ne défend pas les individus. Nous défendons les principes et les causes. Il appartient au peuple ivoirien de comprendre cela. Nous visons la promotion et la protection des Droits de l'Homme. Avant et après Gbagbo, ce sera pareil. Si les violations de Droits de l'Homme sont commises, nous le dirons avec la même fermeté et principe. La protection des Droits de l'Hommes contribue aux efforts de paix et à la réconciliation nationale.