Droit d’auteur au Cameroun: Donner un statut social à l'artiste

YAOUNDE - 03 JAN. 2012
© SAM MBENDE | Correspondance

Depuis l’avènement du droit d’auteur au Cameroun, de la SACEM à la CMC, en passant par la SOCADRA et la SOCINADA, le débat sur le statut social de l’artiste a toujours mis et continue de mettre au jour une grande confusion qu’il faut d’urgence clarifier pour rendre cette contribution plus intelligible et éventuellement plus pertinente : confusion entre le ministère des Arts et de la Culture et les organismes de gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur.

DONNER UN STATUT SOCIAL A L’ARTISTE



Sam Mbende
Photo: © Sam Mbende
Depuis l’avènement du droit d’auteur au Cameroun, de la SACEM à la CMC, en passant par la SOCADRA et la SOCINADA, le débat sur le statut social de l’artiste a toujours mis et continue de mettre au jour une grande confusion qu’il faut d’urgence clarifier pour rendre cette contribution plus intelligible et éventuellement plus pertinente : confusion entre le ministère des Arts et de la Culture et les organismes de gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur.

Comment a toujours vécu un artiste au Cameroun ? Cette question n’est pas posée sérieusement, alors qu’elle sous-tend tout le débat. Il faudra pourtant bien y répondre si l’on veut que l’art continue d’exister. Ce n’est pas faire du catastrophisme que de s’interroger sur la survie de l’art et des artistes au Cameroun aujourd’hui. Ce dont il s’agit, c’est bien du choix d’une société face au libéralisme triomphant et à la trivialisation des artistes et de leur travail.

Pour une infime minorité d’artistes qui réussissent encore à vivre de commandes et de droits d’auteur (malgré leurs portions congrues), combien d’autres, la plupart dans tous les cas, vivent d’expédients et parfois même meurent, faute de les trouver ? Certains artistes sortent certes du lot, mais la multitude doivent vivre souvent d’une activité qui n’a rien à voir avec leur art.

Et pourtant, les artistes camerounais, qu’ils soient chanteurs, musiciens, instrumentalistes, acteurs de cinéma et de théâtre, danseurs, metteurs en scène, stylistes, plasticiens…, contribuent, par leur travail, à l’enrichissement culturel, social, économique et politique de notre pays. Malheureusement, ils exercent en dehors des contrats de travail les mettant sous l’autorité hiérarchique d’un employeur et en dehors des régimes légaux de sécurité sociale.

Dans leur ignorance compréhensible, d’aucuns pourraient se demander en quoi doit-on reconnaître à l’artiste la qualité de travailleur avec l’utilisation des termes comme employé, employeur, salaire, contrat de travail et sécurité sociale. Il importe de rappeler rapidement que tous les artistes, sans exception, sont des travailleurs et en tant que tels concernés par un statut social.

Parmi les exemples, nous citerons le musicien qui enseigne, se produit en concert, compose et enregistre ses compositions musicales avec un groupe. Il juxtapose ainsi les statuts de fonctionnaire pour l’enseignement, de salarié pour les concerts et les enregistrements, d’indépendant pour ses compositions musicales et peut-être d’employeur pour ses musiciens.

Nous pouvons également noter l’activité de mise en scène théâtrale. En impliquant la créativité de la mise en scène et le travail de mise au point avec les comédiens, elle engendre des honoraires pour la conception, des droits d’auteur pour les représentations et un salaire pour le travail technique de mise en place. Un metteur en scène peut ainsi être considéré soit comme un salarié, soit comme indépendant.

Nous avons enfin l’activité de cinéaste. Celle-ci, en impliquant l’écriture de l’histoire et la réalisation du film, engendre des honoraires pour la conception, des droits d’auteur pour l’exploitation du scénario, un salaire et des défraiements pour les prestations techniques lors du tournage, des prix et des subsides ou encore des avances sur recette pour le montage financier. Toutes choses qui entraînent en pratique une situation polyvalente de salarié et d’indépendant.

Ces explications données, il convient de relever que plusieurs organisations internationales du système des Nations Unies, dont le Cameroun en est d’ailleurs membre, reconnaissent les artistes comme étant des travailleurs.

Entre autres, l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture), à travers la recommandation signée le 27 octobre 1980 à Belgrade en Serbie par tous les Etats membres et qui recommande que « … dans leur acceptation la plus complète et la plus large, les arts font et doivent faire partie intégrante de la vie et qu’il est nécessaire et approprié que les gouvernements contribuent à instituer et à maintenir non seulement un climat propice à la liberté d’expression artistique, mais aussi les conditions matérielles facilitant l’expression de ce talent de créateur ».

L’OIT (Organisation Internationale du Travail), à travers la Convention N°102 de 1952, fixe les normes minimales de sécurité sociale et arrête la liste des prestations indispensables que chaque Etat signataire s’oblige à faire servir à sa population.

La Déclaration universelle des droits de l’Homme, en son article 25, n’est pas en reste. Elle proclame en effet que « toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ». En d’autres termes, il s’agit du droit aux soins médicaux et aux services sociaux essentiels, à la sécurité en cas de maladie, de maternité, d’invalidité, de décès, de vieillesse et de chômage, à une aide et une assistance spéciale pendant la maternité et l’enfance.

Malgré l’adoption de ces textes, malgré l’existence de la loi N°92/007 du 14 août 1992 portant sur le code du travail au Cameroun, la prise en charge des artistes dans le cadre des régimes de sécurité sociale pose toujours problème, les règles qui régissent lesdits régimes s’accommodant mal avec les caractéristiques de l’activités artistique au Cameroun. La conséquence est que l’on assiste à l’accentuation de la paupérisation des artistes. Lesquels rejettent à tort la responsabilité de l’élaboration de leur statut social au ministère des Arts et de la Culture et aux organismes de gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur.

Il est temps que chacun prenne ses responsabilités, que les artistes sachent ce qu’ils veulent et sachent se battre pour l’obtenir. Et plutôt que de se laisser aller à la tentation du suicide collectif, il faut faire de réelles propositions constructives, y compris inventer de nouvelles formes organisationnelles, institutionnelles capables de relever les enjeux de la création, de la production et de la diffusion artistiques d’aujourd’hui et de demain. Et dans la confrontation ou la concertation, créer de nouvelles formes de contestation, plus satisfaisantes et efficaces que l’autodestruction.

Les syndicats et autres associations professionnels regroupant les artistes camerounais ayant montré toutes leurs limites, préoccupés qu’ils sont, depuis plusieurs années, par d’autres intérêts qui n’ont rien à voir avec la protection sociale des artistes dans le cadre du dispositif de sécurité sociale géré par la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS), les artistes doivent désormais mettre l’imagination au pouvoir. C’est leur responsabilité, leur rôle social, qu’ils ne doivent abandonner à personne.

Face aux obstacles juridiques à la protection sociale des artistes, les artistes, selon le domaine auquel ils appartiennent, pourraient par exemple créer des syndicats forts. Lesquels auront la lourde responsabilité de négocier fermement avec les pouvoirs publics au regard de la nécessité d’adaptation des textes législatifs existants en matière de code du travail et de sécurité sociale pour les artistes. Les points portant sur l’assujettissement, la détermination de l’employeur, les cotisations et le bénéfice des prestations sont les plus concernés.

D’une part, il serait important que le contrat de travail, en ce qui concerne l’activité artistique, soit clairement défini et qu’il soit pris en compte par le code du travail. D’autre part, il faudrait bien identifier l’employeur qui est un élément essentiel en matière de paiement des cotisations. L’employeur pouvant ainsi être défini comme cette personne physique ou morale qui s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste interprète en vue de sa production ou sa prestation, le code de sécurité sociale, sur un autre plan, pourrait préciser les structures qui assument le rôle d’employeur.

De troisième part, au sujet de la détermination de l’assiette de cotisation, il faudrait certainement faire le distinguo entre l’artiste interprète et de spectacle et l’artiste auteur. En tenant compte de la spécificité du travail artistique des artistes interprètes et de spectacle, les rémunérations dues en raison de l’interprétation, exécution ou présentation de spectacle non enregistré devant être considérées comme s’ajoutant au salaire à titre de complément y compris les rémunérations versées à l’occasion de la vente ou de l’exploitation impliquant la présence de l’artiste.

Concernant la contribution des artistes auteurs, tous les revenus tirés de leurs activités, à titre principal ou à titre accessoire, devraient être soumis aux cotisations de la sécurité sociale au taux applicable aux salariés.

De quatrième part, les cotisations des artistes salariés seraient versées conformément au droit commun. Quant à celles des artistes auteurs, elles pourraient être collectées à travers les soins des organismes de gestion collective du droit d’auteur par précompte sur les redevances de droit d’auteur ou directement auprès des artistes.

De cinquième part enfin, les conditions d’accès aux prestations se résumeraient à l’adaptation des conditions d’accès aux prestations sociales par l’avancement de l’âge de la pension et le remplacement des critères basés sur le temps de travail pendant une période de référence par le critère d’un montant minimal de revenus assujetti à des cotisations sociales pendant une période référence.

Ces dispositions proposées ne sont que des pistes de réformes du code actuel de sécurité sociale dans le but de mieux prendre en compte la spécificité du travail d’artiste au Cameroun. De manière concrète, elles sont difficilement applicables à court terme, de telles propositions et bien d’autres devant faire l’objet des études en commissions regroupant toutes les parties prenantes (syndicats d’artistes, organismes de gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins de droit d’auteur, ministère des Arts et de la Culture, ministère du Travail et de la Sécurité sociale, Caisse Nationale de Prévoyance Sociale …)

Ce sont auxdites commissions que reviendrait l’entière responsabilité de définir les formules ou mécanismes en matière de protection sociale des artistes, ces formules ou mécanismes devant être assortis d’analyses pertinentes en ce qui concerne les champs d’application matériel (types de prestation) et personnel (personnes couvertes), ainsi que sur les conditions d’affiliation. Il devrait en être de même quant à la détermination des cotisations et aux modalités de recouvrement de ces cotisations.

Outre les commissions qui seront à pied d’œuvre, il faudrait également pallier les difficultés administratives. Les outils de gestion des institutions de sécurité sociale au Cameroun gèrent des travailleurs salariés disposant d’un emploi stable à rémunérations mensuelles. Si l’adaptation des textes législatifs ou règlementaires peut s’opérer en un temps relativement court, il n’en est pas de même de l’adaptation des outils de gestion. D’où les difficultés liées au traitement des cas afférents aux artistes qui sont des travailleurs indépendants ou intermittents.

Par ailleurs, le maintien des dossiers à jour sera administrativement compliqué dans la mesure où les artistes travaillent par intermittence et souvent, de manière simultanée, chez plusieurs employeurs. Bien plus, affilier et recouvrer les cotisations auprès d’artistes auteurs, qui sont sans adresse géographique bien déterminée, peut causer de grandes difficultés administratives et inclure des coûts de transactions élevés.

Enfin, il faudrait prévoir des solutions aux problèmes de financement. Les risques d’insolvabilité financière ne sont pas à exclure. Les artistes auteurs, assimilés à des travailleurs salariés alors qu’ils exercent, pour la plupart, des professions indépendantes, auront, dans un souci d’équité, leurs taux de cotisation équivalents à ceux des salariés sur une assiette de revenus reconstituée forfaitairement. Cela pourrait constituer une charge financière difficilement supportable pour ceux d’entre eux qui perçoivent de faibles redevances.

Il convient ensuite d’observer que l’assimilation des artistes auteurs exerçant à titre indépendant pose le problème de la cotisation patronale. Les diffuseurs devraient supporter la part patronale. Et pour assurer l’équilibre financier du système, il serait nécessaire que les employeurs, qui sont les diffuseurs, augmentent dans le même ordre de grandeur que celui des artistes. Dans le cas contraire, toute augmentation du nombre d’artistes entrainerait une augmentation de charges sociales sans que cela ne soit compensé par une augmentation comparable des cotisations.

Les artistes, à l’instar de tous les autres travailleurs, ont besoin d’une protection contre le risque d’une perte de revenu. Cependant, au regard des capacités administratives limitées des institutions de sécurité sociale au Cameroun d’une part et des études quantitatives spécifiques qui doivent être faites d’autre part, cela ne semble pas envisageable à court terme.

En attendant, des solutions transitoires peuvent être trouvées pour une certaine couverture sociale des artistes. Notamment, la mise en place de mutuelles de santé ouvertes à tous les artistes, l’assurance obligatoire et l’assurance volontaire en vue de permettre aux artistes de se constituer une retraite de base et complémentaire.

La vraie question aujourd’hui n’est donc pas celle du statut de l’artiste. Elle serait plutôt celle de la permanence : concevoir un statut qui permette à l’artiste camerounais de se développer en continu, y compris en toute transparence, sans faux semblants quand il n’est pas en train de créer, mais de se former, de former les autres, ou de réfléchir et théoriser sur sa pratique, ou encore d’administrer sa carrière ou de contribuer à faire connaître son travail. Car aucune de ses activités n’est assimilable à du chômage mais fait partie du travail de l’artiste.

L’objectif ne doit donc pas être bêtement de signer des conventions collectives face à la triste réalité, facteur d’injustices et trop facilement détournable à des fins qui n’ont rien à voir avec l’art et la création. Mais d’élaborer un réel statut social de l’artiste. Et par là-même, de déterminer la place réelle et non virtuelle que l’on veut donner à l’art et à la création dans notre pays.


Sam MBENDE
Homme de culture
Expert en droit d'auteur et droits voisins du droit d'auteur



05/01/2012
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