Dr. Jean Marie Ndjip: “on risque de commencer à craindre d’avoir affaire à une femme enceinte”
Limogé par le Minsanté de la direction de l’hôpital de district de Mbanga (Littoral) après le décès d’une femme enceinte dans cette structure, le médecin estime qu’il n’est pas un “assassin”
Il faut dire que la décision du Minsanté, de relever ce responsable, intervenait dans un contexte particulier: la difficile gestion de l’affaire Monique Koumateke (parturiente décédée le 12 mars 2016 avec ses deux foetus dans un hôpital public de Douala), et les mesures prises pour calmer une opinion publique nationale qui en avait même appelé à la démission de M. Mama Fouda. Le 31 mars 2016, soit un jour avant le décès d’une femme enceinte à l’hôpital de district de Mbanga et 18 jours après le décès de Monique Koumateke et ses jumeaux à l’hôpital Laquintinie, le ministre de la Santé avait communiqué à tous les directeurs d’hôpitaux publics: des directives relatives à l’accueil, l’orientation et la prise en charge des patients dans les formations sanitaires publiques.
L’ex-directeur de l’hôpital de district de Mbanga, qui se retrouve désormais en compléments d’effectifs dans les services centraux du Minsanté, a ainsi été la première victime du nouveau cap voulu par le ministre André Mama Fouda. C’est un homme résigné mais interrogateur quant à l’imagerie populaire du médecin au Cameroun que le quotidien privé Mutations a fait témoigner dans son édition du 13 avril.
Le Dr Jean Marie Ndjip, titulaire d’un doctorat en médecine obtenu à la Faculté de médecine de l’université de Yaoundé I, est d’abord revenue dans cette interview sur les circonstances du décès de Minette Mfomo.
On apprend ainsi que le 29 mars 2016, trois jours avant son décès, Minette Mfomo s’est rendue dans la formation hospitalière avec des douleurs au ventre et de la fièvre. Du récit de l’ex-directeur, elle s’est rendue au service prénatal sans passer par l’accueil, pour être prise en charge par le médecin de service. “Ce dernier l’examine et constate qu’elle a de la fièvre et des contractions et ne sent pas l’enfant bouger, ni les battements de coeur du foetus. C’est ainsi qu’il demande une échographie du troisième trimestre. Lorsque cette dernière est faite par mes soins, je découvre qu’il y a un enfant de 38 semaines. Il s’agissait d’un garçon qui était alors vivant”, explique le Dr Ndjip.
“Une fois le diagnostic posé, j’envoie la dame dans le service de maternité qui est spécialisé dans le traitement du paludisme, spécialisé dans le suivi des accouchements. Une fois qu’elle est admise dans ce service, elle est prise en charge par le personnel, notamment par le médecin avec qui j’ai réalisé l’échographie. Elle est donc prise en charge dans le suivi et dans toutes les optiques. Le major, le médecin et les autres personnels du service l’ont suivie. A partir de cet instant, j’avais mon pronostic, moi, qui l’avais renvoyé dans le service de maternité. Le pronostic était celui du paludisme avec une grossesse à terme. Selon moi, au courant de deux ou trois jours, elle aurait déjà accouché. Et je savais que tout se passait pour le mieux puisque je n’avais pas eu de feedback pour m’informer de quelques complications que ce soit. Pour moi, c’était donc un dossier réglé”.
L’ex-directeur de l’hôpital de district de Mbanga explique qu’il est allé par la suite poursuivre la préparation de la visite du gouverneur de la région du Littoral qui était prévue dans cette formation sanitaire, jusqu’au jour fatidique du 01er avril. “Spécialement dans la semaine du drame, j’étais tiraillé par l’administration et les réunions préparatoires de la visite du gouverneur de la région du Littoralà l’hôpital pour inaugurer la toute nouvelle salle de “communication pour le changement de comportement”. Durant cette semaine-là, j’ai travaillé de 07h00 à 20h00 chaque jour ouvrable jusqu’au week-end”, explique-t-il.
Interrogé sur la “négligence” qu’il y aurait eu dans ce décès de sa part, le Dr Jean Marie Ndjip se dédouane: “Parce qu’une patiente qui est vue trois fois par jour par un médecin mais qui à la fin vient à mourir, y a-t-il eu négligence au sens propre du terme? N’y a t-il pas eu plutôt sous-évaluation du danger que courait cette dame? Mme Fomo est morte d’anémie. La question qu’on se pose est de savoir pourquoi cette anémie n’a pas alerté le médecin qui la suivait afin qu’il indique au directeur de l’hôpital que les choses virent au rouge. S’il ne l’a pas fait, c’est peut-être parce qu’il n’a pas eu l’appréciation du danger”.
Et de fustiger ses jeunes collègues. “J’ai 47 ans mais je constate que l’école de médecine que nous avons faite n’est pas la même pour les jeunes d’aujourd’hui. Lorsque je parle d’erreur d’appréciation pour détecter le danger imminent, cela interpelle la qualité de la formation (...) Je suis triste. Et ceux qui ont mon âge le sont aussi. Nous sommes en train de penser que la relève n’est pas assurée. Toutefois, il y a des jeunes qui sortent du lot, mais lorsqu’ils sont minoritaires, c’est un problème”, estime le Dr Jean Marie Ndjip.
[“ Au plan moral, j’ai une âme blessée et un coeur brisé. Les médias en manque d’information me considèrent comme le médecin traitant de la patiente décedée et à ce titre la population confond la personnalité et les prérogatives. On risque de me prendre pour un assassin alors que je tombe juste pour ma position dans l’organigramme de l’hôpital”], ajoute-t-il.
Le Dr Jean Marie Ndjip se dit victime du “spectre de Koumateke”. “Je respecte la sanction et pense que compte tenu du contexte, le ministre de la Santé publique n’avait pas beaucoup de choix. Il fallait une action forte et spontanée pour ramener la sérenité. La sanction d’un infirmier ou d’un médecin en complément d’effectif aurait été peu significative. Limoger un directeur, aussi petit soit-il, est un signal fort pour avoir du répit.”
Comme lui, le directeur de l’hôpital Laquintinie, le Dr Jean II Dissongo, a été limogé hier par arrêté du Premier ministre.
L’ex-directeur de l’hôpital de district de Mbanga juge aussi que les médecins sont régulièrement sous le feu des critiques alors qu’il y a d’autres secteurs tout aussi vitaux. “On réclame toujours plus à celui qui donne plus. les audits de décès maternels sont obligatoires dans toutes les formations sanitaires, on aurait souhaité des audits devant tout cas d’accident de la route lié à l’état de la chaussée, ou tout cas d’agression liée au délestage, ou encore tout cas de maladie liée à la qualité de l’eau et j’en passe. Tous ces cas vitaux sont similaires à mon sens et certains entraîneraient même plus de décès que ceux attribués “une négligence dans les formations sanitaires”, déclare le médecin.
Journal du Cameroun