Dr. Christopher FOMUNYOH: "La légitimité du leadership politique provient des élections transparentes et crédibles"
DOUALA - 04 JAN. 2011
© MOKUN NELSON | Dikalo
Le
Président Paul Biya vient de faire son discours de fin d'année avec un
accès sur le bilan de 2010, et beaucoup de promesses pour l'année qui
commence. Quel est votre réaction à ce discours ?
Bien que la reconnaissance par le Président Biya du bilan nuancé en matière économique, des défis à relever et des lacunes qui freinent le développement de notre pays soit rafraîchissant en soi, comme beaucoup des Camerounais de ma génération qui écoutent ces discours depuis près de 30 ans, je n'ai pas été épaté autre mesure; encore que comme par le passé, la liste de promesses est toujours plus longue que les réalisations de l'année précédente. Si les promesses font partie d'une stratégie globale de développement de notre économie et de nos infrastructures, alors tant mieux. Par contre, s'il s'agit d'une ruse pour les besoins électoralistes étant donné que nous sommes déjà en 2011, alors les Camerounais verront assez rapidement à travers le brouillard et les échappatoires.
J'ai apprécié que Paul Biya ait reconnu dans son discours que nous entrons dans une année électorale, et j'espère que cela signifie un attachement au principe fondamental qui voudrait que dans chaque société démocratique, la légitimité du pouvoir politique provient des élections transparentes et crédibles. J'espère aussi que ce passage du discours servira de notification directe à ELECAM et aux différentes entités administrative et autres de ce que les Camerounais ne s’attendent pas à la moindre faille.
Que pensez-vous du Président Paul Biya qui est au pouvoir depuis trois décennies et de son style de gouvernance ?
Vous savez, on juge les dirigeants politiques en fonction de la manière dont ils ont abordé les défis à leur époque et comment ils ont pu exploiter pour le bien être commun les opportunités qui se sont présenté. Lorsque Paul Biya est arrivé au pouvoir en 1982, il a bénéficié d'un fond de soutien incroyable parce qu'il a soulevé les espoirs pour un avenir plus brillant pour notre pays. Il était jeune (49 ans), il a projeté une vision nationale en parlant de la rigueur et de la moralisation, et de plus d'efficacité dans le service public. Lorsqu'un groupe de militaires a essayé de renverser son gouvernement en 1984, le reste de l'armée et le pays avec n'ont pas suivi.
Trois décennies plus tard, le sentiment est tout à fait différent et le faussé entre ceux-là qui gouvernent et les citoyens à la base va grandissant. La misère de certains de nos concitoyens contraste vivement avec l'opulence de certaines élites. Il y a comme une centralisation excessive des prises de décision ou les gens attendent toujours des instructions d'au-dessus. Bien sur que nous laissons les jugements définitifs à l'histoire et à la postérité; mais au fond du cœur, je crois que pour le cas de notre pays, même les acteurs principaux devraient se rendre à l'évidence de ce que la beauté a perdu son lustre.
Quelle est alors votre évaluation de la situation politique actuelle de notre pays ?
La situation politique me semble réflectrice d'une certaine illisibilité; d'un certain essoufflement, en dépit des apparences et de la rhétorique. Les populations sont fatiguées d'être gouvernées par les mêmes individus pendant près de 30 ans, sans compter que beaucoup parmi ceux-là étaient déjà aux affaires dans les années 60. Je ressens aussi une polarisation excessive du débat politique, ce qui pourrait être symptomatique des frustrations que les citoyens ressentent a plusieurs niveaux. Il y a une certaine angoisse venant de notre jeunesse, exposée aux difficultés de chômage ou de sous-emploi parce que celle-ci ne porte pas beaucoup d'espoir pour un avenir plus brillant. On peut aussi mentionner la criminalité et la corruption qui n'améliorent pas l'environnement des affaires pour faire prospérer le secteur privé vecteur de la création d'emplois. Alors, les Camerounais regardent autour d'eux par rapport aux autres pays qui sont moins dotés en ressources naturelles et humaines mais qui réalisent des avancées politiques et économiques, et se demandent pourquoi pas nous, et pourquoi pas notre pays ?
Après 20 ans d'un jeu du chat et du chien, le Président Biya a enfin reçu en audience son challenger le Président du principal parti d'opposition (le SDF) Ni John Fru Ndi. Quel sens donnez vous à cette rencontre et comment pensez-vous que cela puisse influencer l'avenir politique du Cameroun?
J'ai toujours prôné le dialogue politique en décriant la personnalisation excessive de nos différences politiques. Encore, il n'y a pas si longtemps, lors d'une rencontre abritée par le Centre pour les droits de l’Homme et de la Démocratie à Buea, j'ai parlé de la nécessité de voir plus de civilité dans nos interactions politiques. C'est une bonne chose que le Président Biya et le chairman Fru Ndi se soient rencontré enfin le mois dernier à Bamenda; ca aurait été même mieux pour notre pays s'ils s'étaient rencontré il ya de cela 10 ou 15 ans. J'espère qu'à partir de cette rencontre, nos dirigeants vont s'efforcer d'étaler continuellement le message que tous nous aimons notre pays, même lorsque nous sommes en compétition politique parce que soutenant des philosophies différentes quant à la meilleure manière de travailler pour un Cameroun meilleur. Les réunions et des consultations fréquentes entre le chef de l'Etat et les responsables des partis d'opposition constituent des actes de routine dans toute société démocratique.
Il se dit que vous envisagez présenter votre candidature à la présidentielle de cette année ?
Je n'ai pas encore fait d'annonce à cet effet. Je sais qu'une fois la vaste majorité des Camerounais aurait trouvé une compréhension commune des défis auxquels nous somme confrontés, nous trouverons aussi facilement un consensus global autour de celui qui a les compétences, l'expertise et la vision nécessaire pour continuer à porter le flambeau de notre pays en avant. Avec une telle approche dans ma propre réflexion, je vois aussi beaucoup de Camerounais bien qualifiés et extrêmement respectés et dont la probité et le désir de servir leurs compatriotes ne souffrent d'aucun doute, et à qui on peut aussi confier le bateau national. Heureusement que notre pays a une abondance d'individus dévoués et engagés qui rencontrent ces critères, ce qui me fait penser qu'une véritable transformation de notre pays et de son avenir n'est pas aussi loin.
Vous le constatez aussi comme moi que nous sommes un peuple compatissant qui, en dépit de nos différences de l'heure, voulons toujours voir les meilleurs d'entre nous porter leur contribution au service public et à la construction de l'édifice national. Ces dernier années, j'ai déployé des efforts considérables pour élargir le débat sur notre pays et son avenir avec bien sur d'autres compatriotes de la Diaspora mais aussi ici au bercail. Je prends toujours des positions sur les questions d'intérêt national et j'essaie de partager mon expertise et mon expérience avec les compatriotes. Surement que cela amène certains de nos compatriotes, et pas des moindres, à se demander pourquoi continuer à entrecroiser l'Afrique et d'autres continent pour parler démocratie et bonne gouvernance, élections crédibles, état de droit, droits de l'Homme, liberté de la presse, etc, alors que notre propre patrie mérite également plus d'attention.
Selon certains observateurs, en 1992, un Anglophone John Fru Ndi du parti d'opposition SDF avait gagné l'élection présidentielle mais a été empêché de pendre le pouvoir avec la connivence de la France. Un Anglophone devrait-il soigner l’ambition présidentielle au Cameroun ?
Beaucoup a été dit sur l'élection présidentielle de 1992, mais il serait erroné d'aborder la problématique seulement sur l'angle des réseaux linguistiques ou néocolonialistes et paternalistes. Y a-t-il un Camerounais là dehors qui croit que si Bouba Bello Maigari ou Adamou Ndam Njoya avait obtenu le score de Ni John Fru Ndi en 1992 que cet autre candidat aurait été déclaré vainqueur de l'élection présidentielle de cette année là ? Je le doute ! En plus, on ne peut pas nier que même le score officiel à Fru Ndi confirmait que beaucoup de francophones avaient voté pour lui. Le SDF en ce moment là avait une affluence nationale. En effet, John Fru Ndi a obtenu ses plus hauts scores dans quatre régions (provinces à l'époque) clés - l'Ouest, le Nord Ouest, le Littoral et le Sud ouest — dont deux sont majoritairement francophones. Les Camerounais sont plus éveillés et plus objectifs que ça. De plus en plus, ils savent que notre diversité culturelle tout comme notre bilinguisme sont des atouts susceptibles de projeter ce pays sur l'échiquier international. Non seulement tout Camerounais qui a les compétences, qu'il soit né anglophone ou francophone, devrait soigner des ambitions présidentielles dans notre pays ??? puisse se trouver le meilleur président possible celui là qui sera a même de redynamiser les potentialités énormes que regorge notre pays sans se laisser distraire par des considérations d'ordre linguistique ou ethnique. Je crois fermement que cela se passera dans notre cher et beau pays, plus tôt que certains ne le pensent.
L’élection présidentielle en Cote d’Ivoire semble attirer l’attention du monde entier en ce moment. Pourquoi est-ce que ce cas apparait comme un écrou difficile à craquer ?
Organiser des élections dans une situation de post-conflit n’est pas une tache facile. Il y a beaucoup de facteurs en jeu en cote d'Ivoire, ce qui explique déjà pourquoi il a fallu plus de cinq ans de négociations pour préparer l'élection présidentielle de 2010 alors qu'elle devait normalement avoir lieu en 2005. Beaucoup d'Ivoiriens ont espéré que ces élections serviraient de moment curatif pour leur pays afin d'encourager la réconciliation et la reconstruction nationale après le coup d'état de 1999 et le conflit armé qui a éclaté en 2002.
Le peuple Ivoirien est à encourager parce qu'il a fait de ?? en mieux. Il y avait pas mal d’éléments positifs qui auraient pu contribuer à une élection réussie, y compris la campagne paisible et les grands rassemblements ou meeting des candidats et de leurs supporters, le débat présidentiel entre les deux candidats, la signature du code de conduite dans lequel les deux candidats se sont engagés à respecter le verdict des urnes, la participation très active de la jeunesse ivoirienne, des organisations de la société civile et les groupes de femmes dans l'éducation d'électeurs et l'observation électorale, et la très grande participation des électeurs le jour du scrutin. Vous avez du noter que le taux de participation était très élevé. Malheureusement, quatre jours après le jour des élections, les choses ont commencé à se défaire au point ou la Commission Electorale Indépendante a annoncé Alassane Ouattara vainqueur avec 54 pourcent, pendant que le Conseil Constitutionnel a refusé ces résultats en annonçant Laurent Gbagbo vainqueur avec 51 pourcent. Aujourd'hui, plus de cinq semaines après l'élection du 28 novembre, ce pays africain de 20 millions d'habitants retient son souffle, attendant toujours de voir comment l'impasse sera résolue et qui sera son prochain président.
Pour revenir à notre pays, notre économie a été en chute libre sur plusieurs années maintenant. Comment pensez vous qu’on puisse la rétablir ?
Avant cette période de la mondialisation économique, l'Etat camerounais était très impliqué dans notre économie, ce qui n'était pas forcement une bonne chose. Toutefois, le désengagement de l'Etat géré par le processus de privatisation tel que notre pays a connu a abouti à ce que beaucoup des ?? économiques viables du pays ont été liquidées à des valeurs symboliques: la régie des Chemins de fer, Cameroun airlines, l'office des produits de base, une partie de la Cameroon Development Cooperation (CDC), etc. Beaucoup de Camerounais ont perdu des emplois dans ce processus, de même que leur capacité de consommation. Sans parler de la réduction des salaires qui à l'époque avait frappé le secteur publique, diminuant ainsi le pouvoir d'achat des fonctionnaires. En même temps, les secteurs clés comme l'agriculture et les petites et moyennes entreprises ont été relégués au second plan. Le mois dernier, j'ai visité quelques agriculteurs à Buea et à Bakundu-Bangwa dans la région du Sud-Ouest et j'ai pu voir les difficultés qu'ils rencontrent pour évacuer leurs produits sur différents marchés. Certes, ils sont des agriculteurs à petite échelle, mais ils ont des compétences entreprenantes, de grandes idées et un très grand potentiel. Surement qu'ils pourront contribuer énormément à valoriser l'économie s'ils avaient la possibilité de mécaniser leur moyen de production. Notre base industrielle a diminué au cours des années, et les ressources qui proviennent du secteur extractif n'ont pas été gérées de la manière la plus transparente possible. Nous avons besoin de réanimer la marque Made in Cameroun et d'améliorer la transparence dans la gestion des ressources pétrolières et du secteur minier.
Que pourrons-nous faire pour faire de notre pays un havre des investisseurs ? Y-a-t-il des règles à revoir et que proposerez-vous ?
Premièrement, je crois que nous avons besoin de revoir en profondeur notre plan d'infrastructure nationale des routes, le chemin de fer, ainsi les facilités de transport aérien et maritimes. C'est inconcevable que 50 ans après l'indépendance nous soyons toujours avec juste une route et un seul pond qui relie la capitale économique de Douala aux centres de production majeurs dans le Sud-ouest, l'Ouest et le Nord Ouest. Si les agriculteurs de Mbouda, de Bafang ou de Melong savent que les produits de leurs fermes peuvent être transformés et exportés rapidement aux pays africains avoisinants ou même envoyés par la route et le rail à l'Extrême Nord et même au Tchad et au Niger dans des brefs délais, ils seraient motivés à produire davantage. Si les planteurs de cacao de Kumba ou les producteurs de l'huile de palme dans le Ndian et à Mande savent qu'ils peuvent expédier facilement leurs produits d'un port de Limbe au lieu de contracter des frais supplémentaires en transportant ces produits jusqu'à Douala, ils seront motivés de produire plus. Pour maximiser la très riche diversité de la base économique de notre pays, nous devons proposer notre plan de développement d'infrastructures qui devrait relier le pays entier par une toile solide de communications et d'infrastructures comme pilier de développement. Il est inadmissible que pendant les saisons de pluies lorsque le chemin de fer de Yaoundé à Ngaoundéré connait de difficultés de fonctionnement, les trois régions du Nord - Adamaoua, le Nord et l'Extrême Nord — sont presque coupées du reste du pays. Cela met en péril notre sécurité nationale, ca mine notre cohésion nationale et notre objectif de développement économique équilibré. Je suis d'accord avec le Président Biya lorsqu'il décrie, dans son discours, l'insécurité routière. Mais l'appel à la raison, (ou a défaut) une répression plus stricte tel que énoncé dans le discours ne suffiront pas. Quand on voyage par route à travers le pays, on ne peut pas s'empêcher de sonner l'alarme sur la vétusté et le dépassement de notre infrastructure routière, par endroit.
Le monde est devenu très compétitif, donc pour attirer les investisseurs, nous devons créer un meilleur environnement qui favorise le développement du secteur privé. Je n'entends plus tellement parler de zones libres industrielles dont l'objectif était de réduire les coûts opérationnels pour lancer une affaire ou en maintenir une surtout en matière de l'industrie de transformation.
Pensez vous que le Cameroun pourra être compétitif dans ce nouveau monde de la globalisation ?
Mais oui ! Notre pays a toutes les potentialités pour servir comme un moyeu régional a partir duquel les investisseurs et les entreprises multinationales peuvent entretenir ou accéder à des marchés y compris dans les Etats voisins comme le Nigéria à l'Ouest et la République Démocratique du Congo à l'Est, et les points intermédiaires. Aujourd'hui, même un pays de petit-calibre comme le Rwanda s'est donné le défi d'être le Moyeu de technologie pour Afrique de l'Est; il est entrain de réussir, et cela attire l'attention favorable de la part des investisseurs de tous bords.
Dans toutes ces interactions avec les partenaires internationaux, nous devons promouvoir des investissements directs étrangers tout en créant des Conditions pour que les entrepreneurs camerounais aussi puissent émerger et prospérer. De ce fait, comment ne pas envisager une option d'appropriation des stocks ou des actions pour que les employés Camerounais puissent avoir des actions dans les grandes entreprises dans lesquelles ils travaillent. Cela pourra aussi améliorer la productivité de notre main d'œuvre et de nos cadres.
Heureusement que nous avons la bourse de Douala. Pour la valoriser, nous devons créer des occasions pour faire consolider la classe moyenne camerounaise, bastion des actionnaires potentiels. Nous devrions aussi jeter un regard sur notre régime fiscal et nos pratiques en la matière pour ne pas étouffer beaucoup les entrepreneurs viables qui sont les moteurs véritables pour la croissance économique et le développement. Peut être qu'une table ronde sur l'état de l'économie nationale ne serait pas une mauvaise idée pour que chacun puisse contribuer à la réflexion.
Quel est donc votre message aux Camerounais ce jour de nouvel an ?
Mon message à mes compatriotes Camerounais ce jour de la première année de la deuxième décennie dans le 21e siècle, est un message d'espoir et de détermination, pour que chacun puisse avoir le courage et le positivisme qui nous permettront d'œuvrer ensemble pour l'émergence d'une nouvelle génération de leaders politiques visionnaires, dévoués et patriotiques, capables d'élever au plus haut niveau nos souhaits et nos aspirations collectifs pour un avenir meilleur pour notre cher et beau pays. Bonne et Heureuse année 2011.
© MOKUN NELSON | Dikalo
Le
Directeur régional pour l'Afrique du National Democratic Institute,
NDI, basé à Washington est présenté par la spéculation comme l'un des
challengers potentiels du Président Biya lors de la prochaine élection
présidentielle.
Dans l’entretien qui suit, il donne sa réaction à chaud sur le discours
de fin d'année du Président Biya, et partage son appréciation de la
situation politique, sociale et économique de notre pays.
Bien que la reconnaissance par le Président Biya du bilan nuancé en matière économique, des défis à relever et des lacunes qui freinent le développement de notre pays soit rafraîchissant en soi, comme beaucoup des Camerounais de ma génération qui écoutent ces discours depuis près de 30 ans, je n'ai pas été épaté autre mesure; encore que comme par le passé, la liste de promesses est toujours plus longue que les réalisations de l'année précédente. Si les promesses font partie d'une stratégie globale de développement de notre économie et de nos infrastructures, alors tant mieux. Par contre, s'il s'agit d'une ruse pour les besoins électoralistes étant donné que nous sommes déjà en 2011, alors les Camerounais verront assez rapidement à travers le brouillard et les échappatoires.
J'ai apprécié que Paul Biya ait reconnu dans son discours que nous entrons dans une année électorale, et j'espère que cela signifie un attachement au principe fondamental qui voudrait que dans chaque société démocratique, la légitimité du pouvoir politique provient des élections transparentes et crédibles. J'espère aussi que ce passage du discours servira de notification directe à ELECAM et aux différentes entités administrative et autres de ce que les Camerounais ne s’attendent pas à la moindre faille.
Que pensez-vous du Président Paul Biya qui est au pouvoir depuis trois décennies et de son style de gouvernance ?
Vous savez, on juge les dirigeants politiques en fonction de la manière dont ils ont abordé les défis à leur époque et comment ils ont pu exploiter pour le bien être commun les opportunités qui se sont présenté. Lorsque Paul Biya est arrivé au pouvoir en 1982, il a bénéficié d'un fond de soutien incroyable parce qu'il a soulevé les espoirs pour un avenir plus brillant pour notre pays. Il était jeune (49 ans), il a projeté une vision nationale en parlant de la rigueur et de la moralisation, et de plus d'efficacité dans le service public. Lorsqu'un groupe de militaires a essayé de renverser son gouvernement en 1984, le reste de l'armée et le pays avec n'ont pas suivi.
Trois décennies plus tard, le sentiment est tout à fait différent et le faussé entre ceux-là qui gouvernent et les citoyens à la base va grandissant. La misère de certains de nos concitoyens contraste vivement avec l'opulence de certaines élites. Il y a comme une centralisation excessive des prises de décision ou les gens attendent toujours des instructions d'au-dessus. Bien sur que nous laissons les jugements définitifs à l'histoire et à la postérité; mais au fond du cœur, je crois que pour le cas de notre pays, même les acteurs principaux devraient se rendre à l'évidence de ce que la beauté a perdu son lustre.
Quelle est alors votre évaluation de la situation politique actuelle de notre pays ?
La situation politique me semble réflectrice d'une certaine illisibilité; d'un certain essoufflement, en dépit des apparences et de la rhétorique. Les populations sont fatiguées d'être gouvernées par les mêmes individus pendant près de 30 ans, sans compter que beaucoup parmi ceux-là étaient déjà aux affaires dans les années 60. Je ressens aussi une polarisation excessive du débat politique, ce qui pourrait être symptomatique des frustrations que les citoyens ressentent a plusieurs niveaux. Il y a une certaine angoisse venant de notre jeunesse, exposée aux difficultés de chômage ou de sous-emploi parce que celle-ci ne porte pas beaucoup d'espoir pour un avenir plus brillant. On peut aussi mentionner la criminalité et la corruption qui n'améliorent pas l'environnement des affaires pour faire prospérer le secteur privé vecteur de la création d'emplois. Alors, les Camerounais regardent autour d'eux par rapport aux autres pays qui sont moins dotés en ressources naturelles et humaines mais qui réalisent des avancées politiques et économiques, et se demandent pourquoi pas nous, et pourquoi pas notre pays ?
Après 20 ans d'un jeu du chat et du chien, le Président Biya a enfin reçu en audience son challenger le Président du principal parti d'opposition (le SDF) Ni John Fru Ndi. Quel sens donnez vous à cette rencontre et comment pensez-vous que cela puisse influencer l'avenir politique du Cameroun?
J'ai toujours prôné le dialogue politique en décriant la personnalisation excessive de nos différences politiques. Encore, il n'y a pas si longtemps, lors d'une rencontre abritée par le Centre pour les droits de l’Homme et de la Démocratie à Buea, j'ai parlé de la nécessité de voir plus de civilité dans nos interactions politiques. C'est une bonne chose que le Président Biya et le chairman Fru Ndi se soient rencontré enfin le mois dernier à Bamenda; ca aurait été même mieux pour notre pays s'ils s'étaient rencontré il ya de cela 10 ou 15 ans. J'espère qu'à partir de cette rencontre, nos dirigeants vont s'efforcer d'étaler continuellement le message que tous nous aimons notre pays, même lorsque nous sommes en compétition politique parce que soutenant des philosophies différentes quant à la meilleure manière de travailler pour un Cameroun meilleur. Les réunions et des consultations fréquentes entre le chef de l'Etat et les responsables des partis d'opposition constituent des actes de routine dans toute société démocratique.
Il se dit que vous envisagez présenter votre candidature à la présidentielle de cette année ?
Je n'ai pas encore fait d'annonce à cet effet. Je sais qu'une fois la vaste majorité des Camerounais aurait trouvé une compréhension commune des défis auxquels nous somme confrontés, nous trouverons aussi facilement un consensus global autour de celui qui a les compétences, l'expertise et la vision nécessaire pour continuer à porter le flambeau de notre pays en avant. Avec une telle approche dans ma propre réflexion, je vois aussi beaucoup de Camerounais bien qualifiés et extrêmement respectés et dont la probité et le désir de servir leurs compatriotes ne souffrent d'aucun doute, et à qui on peut aussi confier le bateau national. Heureusement que notre pays a une abondance d'individus dévoués et engagés qui rencontrent ces critères, ce qui me fait penser qu'une véritable transformation de notre pays et de son avenir n'est pas aussi loin.
Vous le constatez aussi comme moi que nous sommes un peuple compatissant qui, en dépit de nos différences de l'heure, voulons toujours voir les meilleurs d'entre nous porter leur contribution au service public et à la construction de l'édifice national. Ces dernier années, j'ai déployé des efforts considérables pour élargir le débat sur notre pays et son avenir avec bien sur d'autres compatriotes de la Diaspora mais aussi ici au bercail. Je prends toujours des positions sur les questions d'intérêt national et j'essaie de partager mon expertise et mon expérience avec les compatriotes. Surement que cela amène certains de nos compatriotes, et pas des moindres, à se demander pourquoi continuer à entrecroiser l'Afrique et d'autres continent pour parler démocratie et bonne gouvernance, élections crédibles, état de droit, droits de l'Homme, liberté de la presse, etc, alors que notre propre patrie mérite également plus d'attention.
Selon certains observateurs, en 1992, un Anglophone John Fru Ndi du parti d'opposition SDF avait gagné l'élection présidentielle mais a été empêché de pendre le pouvoir avec la connivence de la France. Un Anglophone devrait-il soigner l’ambition présidentielle au Cameroun ?
Beaucoup a été dit sur l'élection présidentielle de 1992, mais il serait erroné d'aborder la problématique seulement sur l'angle des réseaux linguistiques ou néocolonialistes et paternalistes. Y a-t-il un Camerounais là dehors qui croit que si Bouba Bello Maigari ou Adamou Ndam Njoya avait obtenu le score de Ni John Fru Ndi en 1992 que cet autre candidat aurait été déclaré vainqueur de l'élection présidentielle de cette année là ? Je le doute ! En plus, on ne peut pas nier que même le score officiel à Fru Ndi confirmait que beaucoup de francophones avaient voté pour lui. Le SDF en ce moment là avait une affluence nationale. En effet, John Fru Ndi a obtenu ses plus hauts scores dans quatre régions (provinces à l'époque) clés - l'Ouest, le Nord Ouest, le Littoral et le Sud ouest — dont deux sont majoritairement francophones. Les Camerounais sont plus éveillés et plus objectifs que ça. De plus en plus, ils savent que notre diversité culturelle tout comme notre bilinguisme sont des atouts susceptibles de projeter ce pays sur l'échiquier international. Non seulement tout Camerounais qui a les compétences, qu'il soit né anglophone ou francophone, devrait soigner des ambitions présidentielles dans notre pays ??? puisse se trouver le meilleur président possible celui là qui sera a même de redynamiser les potentialités énormes que regorge notre pays sans se laisser distraire par des considérations d'ordre linguistique ou ethnique. Je crois fermement que cela se passera dans notre cher et beau pays, plus tôt que certains ne le pensent.
L’élection présidentielle en Cote d’Ivoire semble attirer l’attention du monde entier en ce moment. Pourquoi est-ce que ce cas apparait comme un écrou difficile à craquer ?
Organiser des élections dans une situation de post-conflit n’est pas une tache facile. Il y a beaucoup de facteurs en jeu en cote d'Ivoire, ce qui explique déjà pourquoi il a fallu plus de cinq ans de négociations pour préparer l'élection présidentielle de 2010 alors qu'elle devait normalement avoir lieu en 2005. Beaucoup d'Ivoiriens ont espéré que ces élections serviraient de moment curatif pour leur pays afin d'encourager la réconciliation et la reconstruction nationale après le coup d'état de 1999 et le conflit armé qui a éclaté en 2002.
Le peuple Ivoirien est à encourager parce qu'il a fait de ?? en mieux. Il y avait pas mal d’éléments positifs qui auraient pu contribuer à une élection réussie, y compris la campagne paisible et les grands rassemblements ou meeting des candidats et de leurs supporters, le débat présidentiel entre les deux candidats, la signature du code de conduite dans lequel les deux candidats se sont engagés à respecter le verdict des urnes, la participation très active de la jeunesse ivoirienne, des organisations de la société civile et les groupes de femmes dans l'éducation d'électeurs et l'observation électorale, et la très grande participation des électeurs le jour du scrutin. Vous avez du noter que le taux de participation était très élevé. Malheureusement, quatre jours après le jour des élections, les choses ont commencé à se défaire au point ou la Commission Electorale Indépendante a annoncé Alassane Ouattara vainqueur avec 54 pourcent, pendant que le Conseil Constitutionnel a refusé ces résultats en annonçant Laurent Gbagbo vainqueur avec 51 pourcent. Aujourd'hui, plus de cinq semaines après l'élection du 28 novembre, ce pays africain de 20 millions d'habitants retient son souffle, attendant toujours de voir comment l'impasse sera résolue et qui sera son prochain président.
Pour revenir à notre pays, notre économie a été en chute libre sur plusieurs années maintenant. Comment pensez vous qu’on puisse la rétablir ?
Avant cette période de la mondialisation économique, l'Etat camerounais était très impliqué dans notre économie, ce qui n'était pas forcement une bonne chose. Toutefois, le désengagement de l'Etat géré par le processus de privatisation tel que notre pays a connu a abouti à ce que beaucoup des ?? économiques viables du pays ont été liquidées à des valeurs symboliques: la régie des Chemins de fer, Cameroun airlines, l'office des produits de base, une partie de la Cameroon Development Cooperation (CDC), etc. Beaucoup de Camerounais ont perdu des emplois dans ce processus, de même que leur capacité de consommation. Sans parler de la réduction des salaires qui à l'époque avait frappé le secteur publique, diminuant ainsi le pouvoir d'achat des fonctionnaires. En même temps, les secteurs clés comme l'agriculture et les petites et moyennes entreprises ont été relégués au second plan. Le mois dernier, j'ai visité quelques agriculteurs à Buea et à Bakundu-Bangwa dans la région du Sud-Ouest et j'ai pu voir les difficultés qu'ils rencontrent pour évacuer leurs produits sur différents marchés. Certes, ils sont des agriculteurs à petite échelle, mais ils ont des compétences entreprenantes, de grandes idées et un très grand potentiel. Surement qu'ils pourront contribuer énormément à valoriser l'économie s'ils avaient la possibilité de mécaniser leur moyen de production. Notre base industrielle a diminué au cours des années, et les ressources qui proviennent du secteur extractif n'ont pas été gérées de la manière la plus transparente possible. Nous avons besoin de réanimer la marque Made in Cameroun et d'améliorer la transparence dans la gestion des ressources pétrolières et du secteur minier.
Que pourrons-nous faire pour faire de notre pays un havre des investisseurs ? Y-a-t-il des règles à revoir et que proposerez-vous ?
Premièrement, je crois que nous avons besoin de revoir en profondeur notre plan d'infrastructure nationale des routes, le chemin de fer, ainsi les facilités de transport aérien et maritimes. C'est inconcevable que 50 ans après l'indépendance nous soyons toujours avec juste une route et un seul pond qui relie la capitale économique de Douala aux centres de production majeurs dans le Sud-ouest, l'Ouest et le Nord Ouest. Si les agriculteurs de Mbouda, de Bafang ou de Melong savent que les produits de leurs fermes peuvent être transformés et exportés rapidement aux pays africains avoisinants ou même envoyés par la route et le rail à l'Extrême Nord et même au Tchad et au Niger dans des brefs délais, ils seraient motivés à produire davantage. Si les planteurs de cacao de Kumba ou les producteurs de l'huile de palme dans le Ndian et à Mande savent qu'ils peuvent expédier facilement leurs produits d'un port de Limbe au lieu de contracter des frais supplémentaires en transportant ces produits jusqu'à Douala, ils seront motivés de produire plus. Pour maximiser la très riche diversité de la base économique de notre pays, nous devons proposer notre plan de développement d'infrastructures qui devrait relier le pays entier par une toile solide de communications et d'infrastructures comme pilier de développement. Il est inadmissible que pendant les saisons de pluies lorsque le chemin de fer de Yaoundé à Ngaoundéré connait de difficultés de fonctionnement, les trois régions du Nord - Adamaoua, le Nord et l'Extrême Nord — sont presque coupées du reste du pays. Cela met en péril notre sécurité nationale, ca mine notre cohésion nationale et notre objectif de développement économique équilibré. Je suis d'accord avec le Président Biya lorsqu'il décrie, dans son discours, l'insécurité routière. Mais l'appel à la raison, (ou a défaut) une répression plus stricte tel que énoncé dans le discours ne suffiront pas. Quand on voyage par route à travers le pays, on ne peut pas s'empêcher de sonner l'alarme sur la vétusté et le dépassement de notre infrastructure routière, par endroit.
Le monde est devenu très compétitif, donc pour attirer les investisseurs, nous devons créer un meilleur environnement qui favorise le développement du secteur privé. Je n'entends plus tellement parler de zones libres industrielles dont l'objectif était de réduire les coûts opérationnels pour lancer une affaire ou en maintenir une surtout en matière de l'industrie de transformation.
Pensez vous que le Cameroun pourra être compétitif dans ce nouveau monde de la globalisation ?
Mais oui ! Notre pays a toutes les potentialités pour servir comme un moyeu régional a partir duquel les investisseurs et les entreprises multinationales peuvent entretenir ou accéder à des marchés y compris dans les Etats voisins comme le Nigéria à l'Ouest et la République Démocratique du Congo à l'Est, et les points intermédiaires. Aujourd'hui, même un pays de petit-calibre comme le Rwanda s'est donné le défi d'être le Moyeu de technologie pour Afrique de l'Est; il est entrain de réussir, et cela attire l'attention favorable de la part des investisseurs de tous bords.
Dans toutes ces interactions avec les partenaires internationaux, nous devons promouvoir des investissements directs étrangers tout en créant des Conditions pour que les entrepreneurs camerounais aussi puissent émerger et prospérer. De ce fait, comment ne pas envisager une option d'appropriation des stocks ou des actions pour que les employés Camerounais puissent avoir des actions dans les grandes entreprises dans lesquelles ils travaillent. Cela pourra aussi améliorer la productivité de notre main d'œuvre et de nos cadres.
Heureusement que nous avons la bourse de Douala. Pour la valoriser, nous devons créer des occasions pour faire consolider la classe moyenne camerounaise, bastion des actionnaires potentiels. Nous devrions aussi jeter un regard sur notre régime fiscal et nos pratiques en la matière pour ne pas étouffer beaucoup les entrepreneurs viables qui sont les moteurs véritables pour la croissance économique et le développement. Peut être qu'une table ronde sur l'état de l'économie nationale ne serait pas une mauvaise idée pour que chacun puisse contribuer à la réflexion.
Quel est donc votre message aux Camerounais ce jour de nouvel an ?
Mon message à mes compatriotes Camerounais ce jour de la première année de la deuxième décennie dans le 21e siècle, est un message d'espoir et de détermination, pour que chacun puisse avoir le courage et le positivisme qui nous permettront d'œuvrer ensemble pour l'émergence d'une nouvelle génération de leaders politiques visionnaires, dévoués et patriotiques, capables d'élever au plus haut niveau nos souhaits et nos aspirations collectifs pour un avenir meilleur pour notre cher et beau pays. Bonne et Heureuse année 2011.