Douala: 7500 patients privés d’Arv à l’hôpital Laquintinie

Yaoundé, 07 Août 2013
© Théodore Tchopa | Le Jour

En attendant la distribution annoncée par le Ministre de la Santé publique, les porteurs du Vih-Sida souffrent de la pénurie des médicaments dans cette formation hospitalière.

Adolf Tankeu ne souffre pas d'un quelconque handicap moteur. Pourtant, ce mardi, ce patient sous antirétroviraux n'a pas été en mesure de se servir de ses membres inférieurs pour se rendre à l'hôpital Laquintinie de Douala, plus précisément au bloc baptisé «hôpital de jour». Adolf s'est servi de béquilles généralement prescrites aux patients en rééducation, après un accident corporel. Appuyé contre le support en fer, le patient sort de la salle d'accueil où il vient de passer sept heures à attendre le médecin. Vêtu d'une chemise grise et d'un pantalon noir, un sac en bandoulière autour du cou, ce jeune à la quarantaine révolue se déplace d'un pas lourd et sans coordination. On eût dit une personne souffrant de tabès. Il articule difficilement les paroles. La fatigue et la longue attente en ont rajouté à ses souffrances. «J'ai des maux de tête», se plaint-il.

Il est quatorze heures. Aujourd’hui encore, Adolf n'aura pas d'Arv. Le médecin lui a conseillé, en lieu et place de ces molécules prescrites contre le Vih Sida, d'observer une bonne hygiène de vie. «Le médecin m'a conseillé de laver soigneusement les mains et de bien manger. Ça m'affecte moralement car notre vie dépend des Arv», déplore-t-il. Depuis son dépistage positif il y a sept ans, et son éligibilité aux Arv, la prise en charge de ce patient n'avait connu aucun couac. Mais, depuis le mois de juin dernier, Adolf est privé de soins à cause de la rupture de stocks d'Arv à l'hôpital Laquintinie. Une situation qui le dépite considérablement. «Mon état de santé s'est aggravé, précise-t-il. Je pensais que je pouvais avoir des Arv ne serait-ce que pour dix jours, mais je n'ai rien eu».

Comme Adolf, de nombreux patients reçus au pavillon de prise en charge des personnes vivant avec le Vih Sida (Pvvih) au petit matin de ce mardi 6 août 2013 ont été déçus. «Je suis arrivée ici à 7h et je n'ai pas encore été reçue. L'unique médecin en service est sorti tout à l'heure aux environs de 11 h 30 sans nous dire où il allait», confie une patiente qui a requis l'anonymat. Elle est porteuse du virus de l'immunodéficience humaine acquise depuis plus de cinq ans. De temps en temps, elle est obligée d'interrompre ses soins à cause de l'indisponibilité des Arv. J'étais ici mercredi 31 juillet, puis hier. J'ai attendu jusqu'à 14h. Le médecin m'a dit qu'il ne pouvait pas me recevoir», regrette la patiente.


Un médecin pour 7500 patients

Dans la salle d'accueil, une trentaine de patients continuent d'attendre impatiemment. Un lourd silence pèse dans la salle et sur un long banc disposé en face du bureau du médecin. Quelques patients s'y bousculent déjà. Le médecin vient de regagner son service. «Je reçois seulement trois personnes», lance-t-il. Les trois patients correspondent aux trois carnets qu'il a reçus dans son bureau avant son départ en pause. Un grondement sourd retentit dans la salle et sur le banc d'attente. La déception se lit sur les visages. Voilà une énième journée perdue. «Si les malades sont mal traités, à plus forte raison les infirmiers?», s'interroge un personnel de prise en charge. «Nous sommes sidérés. Nous sommes obligés de donner des médicaments aux patients pour dix jours alors qu' on doit en prescrire pour un mois », confie une infirmière.

A cause de ces ruptures «périodiques», les rapports entre les personnels soignants et les patients sont souvent tendus. «Certains nous chahutent mais ils sont minoritaires. D'autres se montrent plus compréhensifs, poursuit l'infirmière. Nous sommes obligés de mentionner nos contacts sur les carnets des patients afin qu'ils nous appellent pour savoir si les médicaments sont disponibles. Ceux qui ont des pressions à leur service nous confient leur carnet en y mentionnant leur numéro de téléphone. De sorte que nous pouvons les appeler en cas de besoin». Ils sont 7500 patients qui prennent d'assaut l'hôpital de jour, en quête d'Arv. Tout ce monde est pris en charge par un seul médecin. Les deux autres médecins jadis en service dans ce pavillon ont été affectés.


1500 F l'ordonnance

«Lorsque je viens chaque mois, je paye 1500 F à la caisse», s'indigne Murielle, une patiente fragilisée par la maladie. Cette femme porteuse de Vih Sida depuis huit ans affirme que le mois passé, elle a consommé des médicaments pendant seulement dix jours. Depuis lors, elle n'a plus pris de comprimés. D'où son état fragile. En trois semaines, la jeune femme a perdu beaucoup de poids et elle ressent une folle envie de manger. En plus de la «maladie du siècle» dont elle souffre, Murielle doit gérer au quotidien ce vilain mal qui lui martyrise la colonne vertébrale.

Elle tient d'ailleurs en main le paquet qui contenait les derniers comprimés prescrits contre la douleur à la colonne vertébrale. Mais l'argent lui fait défaut. Elle a pourtant besoin de seulement 1800 FCFA pour s'en ravitailler. Grâce à deux reporters du Jour, la femme mal en point a pu collectionner 1700F.

Certains malades enregistrés à l'hôpital de jour, négligent leur traitement. «Mon amie continue de jouer. Son copain, lui, est bien portant. Son Cd4 a doublé, passant de 400 à 800 par mm3. Tandis que le Cd4 de mon amie est retombé jusqu'à 90. Elle m'a dit qu'elle avait la gale sous le ventre, ce qui est étonnant au 21ème siècle», fulmine une infirmière, sur le point de retourner à son domicile. «Ça nous cause souvent d'énormes difficultés quand des patients se comportent ainsi, étant donné qu'au Cameroun nous n'avons que deux lignes de traitement. Si le malade grille la 1ère, on le passe en 2ème ligne. S'il passe la 2ème, nous ne pourrions plus faire grand-chose pour lui parce qu'étant diminué financièrement, il ne pourra pas acheter les médicaments de la 3ème ligne qui coûtent chers», analyse le Dr Hans Mossi, vice-coordonnateur de l'hôpital de jour. Un conseil qui tombe souvent dans les oreilles de sourds.



08/08/2013
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