Il est quelque part dans le vaste monde. L’ancien ministre des Travaux publics, ancien deputé a preféré se mettre au ‘vert’, en attendant que la situation politico-judiciaire se decante dans son pays. Le Messagerl’a débusqué et lui a donné la parole.
Les sites d’information en ligne «Cameroon-Info.Net» et « Camer.be » ont relayé sur la toile respectivement les 9 et 7 novembre 2012, un article intitulé « « Opération Épervier : ces vrais dossiers que le Tribunal Criminel Spécial (Tcs) attend. Ces affaires qui condamnent le Régime Biya ». Vous êtes cité dans ce papier. Quel est votre réaction ?
Sauf si je me trompe, il m’a semblé que ledit article a été écrit dans le contexte du trentième anniversaire de l’accession du président Paul Biya à la magistrature suprême (6 novembre 1982-6 novembre 2012). À mon sens, il s’agit d’un réquisitoire d’une rare violence que l’intéressé considère comme sa « modeste contribution à ce procès que le peuple souverain se prépare à faire contre ceux qui ont humilié leur pays dans le monde entier, l’ont pillé et plongé les populations dans la misère ». L’auteur pourfend par ailleurs l’attitude du président Paul Biya qui, selon lui, « a pris la Justice en otage, ne lui permettant pas de faire son travail en recelant les criminels et en les protégeant ».
Je dois avouer que j’ai été à la fois indigné et choqué en parcourant ledit article et surtout ce qui est dit à mon égard. En effet, j’ai eu la mauvaise surprise de lire ce qui suit : « Dieudonné Ambassa Zang (en fuite en France) pour détournement de fonds au ministère des Travaux publics. Il peut être ramené si le Cameroun le demande, avec l’aide de l’Interpol pour répondre de ses actes. Préjudice : plusieurs milliards de Fcfa. Bien que la Conac qui a enquêté dans cette affaire ait demandé son déferrement à la Justice, le dossier n’y est pas encore parvenu ».
C’est à se demander si les libertés de communication, d’expression et de presse consacrées par le préambule de notre Constitution et garanties par divers textes de lois autorisent certains de nos compatriotes, de plus en plus nombreux, d’une part à fouler aux pieds les droits humains fondamentaux de ceux qui sont visés par leurs articles et, d’autre part, à lancer des appels à la haine contre quelques uns de leurs concitoyens, au risque de se retrouver dans une situation de justice de la rue. À cet égard, il me plaît d’attirer l’attention sur les dispositions de l’article 11(al1) de la Déclaration universelle des droits de l’Homme dont ci-après la teneur : « Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées ».
Cet article qui vous met en cause dans l’affaire du pont du Wouri révèle que vous êtes en fuite…
D’emblée, je voudrais me permettre de préciser, comme déjà indiqué en son temps que « Je ne suis pas en fuite. Je suis victime ». Et la Déclaration universelle des droits de l’Homme, en son article 14(al1), stipule que, « devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays ». Par ailleurs, je me dois d’ailleurs de faire savoir que mon cas est pendant devant les instances compétentes de l’Union interparlementaire qui a dépêché une mission de haut niveau au Cameroun du 24 au 27 mai 2011. La procédure y est contradictoire. Enfin, j’ai adressé des requêtes aux autorités de notre pays (Président de la République, Premier ministre et Mindel/Consupe) pour demander le réexamen de mon dossier, me fondant en cela sur des éléments objectifs ainsi que le droit positif en matière de sanction des ordonnateurs et gestionnaires de crédits publics. Ces autorités les ayant reçues, je reste toujours dans l’attente de leur réaction.
Que répondez-vous aux graves accusations que portent les vérificateurs du Consupe sur votre compte concernant les opérations de réhabilitation du pont du Wouri et celui d’Ebebda ?
Je dénonce avec la dernière énergie l’incompétence dont ont fait preuve les vérificateurs du Consupe commis pour réaliser les missions d’enquête et de contrôle qui me valent aujourd’hui des ennuis judiciaires et surtout de faire partie du « club des plus grands prévaricateurs du Cameroun ». Par ailleurs, partant du postulat que, au sein de cette institution de contrôle des finances publiques, on retrouve des cadres chevronnés, j’en viens à me demander s’il n’y a pas eu instrumentalisation. Parlant des accusations mises à ma charge, j’ai toujours dit, preuves à l’appui, qu’elles sont non fondées et malveillantes. Pour convaincre les plus sceptiques sur la vacuité des accusations mises à ma charge, et sans aller dans les détails, je prendrais celles des accusations les plus lourdes qui pèsent sur moi portant sur les opérations de réhabilitation des ponts d’Ebebda et du Wouri:
1- Pont d’Ebebda
Dans sa correspondance datée du 12 octobre 2006 au Secrétaire général de la présidence, pour la haute information du chef de l’État, le ministre Etame Massoma (Consupe) m’accable d’avoir payé la somme d’environ un milliard et demi Fcfa à l'entreprise Udecto au titre de diverses avances de démarrage pour la réhabilitation du pont concerné alors même que ladite entreprise était déjà défaillante sur les travaux de réhabilitation du pont du Wouri. Comme on dit chez nous, « le mensonge a de courtes jambes » : je suis sorti du gouvernement en décembre 2004 et les paiements concernés ont été faits en septembre 2005. Mieux, le bailleur de fonds allemand (Kfw), lequel a procédé lui-même auxdits paiements affirme avoir obtenu le remboursement des sommes en cause auprès des banques qui s’étaient portées caution du groupement Udecto/Eticv. Pourquoi cette accusation continuerait-elle donc à peser sur moi ?
2- Pont du Wouri
Les vérificateurs excipent tantôt un détournement tantôt un préjudice au détriment du Trésor public dont le montant varie d’un papier à un autre, dans une fourchette allant de 4,5 à 10 milliards Fcfa.Outre le fait que je ne connais toujours pas les accusations retenues contre moi et leur quantum, il se pose ici la question de la qualification juridique exacte des accusations mises à ma charge. Dans tous les cas, détournement ou préjudice, je conteste avoir commis la moindre faute tant en phase d’attribution que d’exécution du marché de réhabilitation du pont sur le Wouri. Avant de me jeter à la vindicte populaire dans le cadre d’une « conférence nationale souveraine » que l’auteur de l’article appelle de tous ses vœux, je voudrais en appeler au « bon sens » dont Descartes dit qu’il est « la chose la mieux partagée ».Le bon sens doit amener chacun à se poser au moins les deux questions ci-après: Ambassa Zang a-t-il obtenu toutes les autorisations préalables à la fois du bailleur de fonds (Afd) et de la Commission spécialisée de contrôle des marchés des routes et autres infrastructures placées auprès du Premier ministre, autorité des marchés (à l’époque) ? Ambassa Zang était-il chargé de la gestion des fonds octroyés au Cameroun par l’Afd, soit 7,5 milliards Fcfa ?
Sans entrer dans les détails techniques, les quelques éléments ci-après permettront à tout un chacun de répondre à ces interrogations :
a- En parfaite conformité avec la règlementation des marchés publics, le gré à gré a été prescrit par le Premier ministre en sa qualité d’autorité des marchés, en accord avec le bailleur de fonds (Afd) et sur la proposition de la Commission de passation des marchés compétente. Cette décision survenait après un troisième appel d'offres infructueux dans la double motivation de ne pas perdre le financement Afd (7,5 milliards) dont la convention était arrivée presque à échéance et l'urgence impérieuse justifiée par les circonstances imprévisibles notamment les risques réels d'effondrement du pont à tout moment.
b- En ma qualité de ministre des Travaux publics, je n’ai pas été partie prenante dans le processus de paiement des décomptes. Les règlements des décomptes étaient effectués par le bailleur de fonds (Afd) lui-même, après contrôle de l'effectivité des travaux par le bureau d’études faisant office de maître-d’œuvre.
c- Les études estimées insuffisantes par les vérificateurs dont le préjudice a été évalué à 1.5 milliard Fcfa ont été conduites en 2000, bien avant ma nomination comme ministre des Travaux publics le 24 août 2002.
d- Parlant du préjudice financier subi par l’État du Cameroun à la suite de la résiliation unilatérale du marché par Udecto, résiliation intervenue plus de 12 mois après mon départ des Travaux publics, le Cameroun a largement obtenu réparation car d’une part, les banques qui ont accordé des cautions et garanties à Uedecto ont payé 2.834 milliards Fcfa au Trésor public et d’autre part, la Chambre de commerce internationale de Paris, dans une sentence arbitrale, a condamné Udecto pourtant requérante à payer la somme d’environ 3 milliards Fcfa au titre de la réparation du préjudice subi et des frais de procédure exposés.
C’est le lieu pour moi de lancer un appel en direction de l’ambassadeur de France et du directeur de l’Agence française de développement au Cameroun, une fois de plus, pour sortir de leur mutisme. Sous le prétexte de ne pas vouloir interférer dans une procédure judiciaire camerounaise, lesdites autorités contribuent à entretenir le flou et l’amalgame, toutes choses ayant pour effet d’accréditer la thèse du détournement de fonds prétendument mis à jour par les vérificateurs du Consupe.
Quelle est votre lecture de l’opération Epervier dont on dit que vous êtes un client en puissance ?
Sous la coordination scientifique de Charly Gabriel Mbock, directeur de recherche en anthropologie, écrivain et professeur des universités, a été réalisé, par des compatriotes, un ouvrage collectif au titre évocateur à savoir : « L’Opération Épervier au Cameroun : un devoir d’injustice ? ». Pour ce qui me concerne, il est clair que je suis victime d’une grave injustice qui m’a poussé à l’exil tout en m’exposant à la précarité. Dans l’opération épervier, le principe est « la présomption de culpabilité » parce que l’on entretient malicieusement la confusion entre les « dénonciation » faites par les vérificateurs du Consupe et ma « culpabilité »
Ce qui est en cause, ce n’est nullement l’opération épervier elle-même dont les objectifs affichés sont louables, mais c’est la conduite et la gestion de cette opération. Les leaders des partis d’opposition signataires du « Pacte républicain » ont à l’issue de leur conclave à Yaoundé le 7 novembre dernier, dans leur communiqué de presse, condamné la conduite de l’opération épervier en estimant que non seulement elle est un échec mais en plus elle « a perdu de sa crédibilité en mutant en une opération de règlement de comptes politiques, de vengeance au mépris des principes universels de justice et d’éthique.». Les voix qui se sont élevées et s’élèvent encore devraient logiquement conduire, dans un État qui se veut et se dit de droit, à une évaluation indépendante de l’opération épervier. Et il n’y a pas mieux que le Parlement pour réaliser un travail aussi délicat.
Pour des raisons évidentes, je me garderai de faire toutes appréciations personnelles sur la justice camerounaise. Ceci dit, dans une récente sortie médiatique (10/10/2012), l’ambassadeur des États-Unis au Cameroun, S.E. R. P. Jackson a eu le propos ci-après à l’égard du système judiciaire de notre pays et je cite: « En tant qu'institution, le système judicaire est actuellement en train d’aider à définir la réputation internationale du pays à travers le traitement des procès qui attirent l'attention générale, y compris les cas de droits humains. Au Cameroun, il existe de nombreux juristes compétents, honnêtes et travailleurs, mais leur travail n’influe pas nécessairement sur la qualité du système judiciaire en tant qu’institution […..]En refusant un accès adéquat aux éléments de preuve par les avocats de l’accusé, le tribunal a suscité des questions au sujet de ses motivations et de son objectivité, donnant ainsi raison aux critiques. Que ce soit à dessein ou non, le processus a également encouragé les critiques qui estiment que le pouvoir exécutif intervient, et donc affaiblit encore le système judiciaire camerounais. En plus, nous avons vu le pouvoir judiciaire être détourné pour annuler des prêts dument consentis par des banques, geler des comptes bancaires sur des motifs fallacieux et, à plusieurs reprises, reporter des procès ou des décisions. Encore une fois, ces mesures entravent les investissements étrangers dans le pays et ternissent l’image du Cameroun ».
Le pouvoir judiciaire étant l’un des trois pouvoirs constituant de l’État, nous devons nous sentir tous interpelés par ce « verdict » sans façon du diplomate américain : les magistrats (debout et assis), les auxiliaires de justice, les justiciables, les institutions publiques de contrôle des finances publiques et lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent, les autorités politiques chargées d’assurer et de garantir l’indépendance de la Justice ! Dans un souci de démocratie et de bonne gouvernance, il est impératif de pouvoir compter au Cameroun sur une justice répondant aux standards d’un véritable Etat de droit, à savoir un jugement équitable avec un juge impartial et indépendant et des droits de la défense respectés. Notre pays a donc besoin de passer d’un État de droit sur le plan formel à un État de droit dans les faits.