A quelques heures de l’ouverture de son procès au Tribunal criminel spécial pour détournement de deniers publics, l’ancien ministre et ancien député nous a accordé un entretien exclusif depuis son exil.
Parlez-nous de votre séjour au Ministère des Travaux Publics, à quels types de difficultés avez-vous fait face ?
Un séjour particulièrement difficile. Déjà, je remplaçais à ce poste le
Ministre Jérôme Obi ETA, un ami personnel et un frère du Sud-ouest du
Premier Ministre Peter Mafany Musonge. Je dois dire que la côte d’amour
était nulle. Et comme si cela ne suffisait pas, il y a eu l’affaire
«Pokossy», l’ancien Directeur des Affaires Générales du Mintp. Pour la
petite histoire, encore peu connu physiquement de tous les
collaborateurs du Mintp, je suis allé au travail un samedi après mon
sport. Je conduisais ma camionnette et, arrivé à l’entrée du Ministère
en compagnie de l’Officier de Sécurité, j’ai trouvé 03 véhicules taxi
surchargé de matériels de bureau.
Quand je suis allé vers eux pour savoir ce qui se passait, l’un d’eux a crié « c’est le nouveau Ministre » et deux ont pu s’enfuir. L’officier a arrêté l’autre puis l’a conduit à la Gendarmerie …Il avait pour complice le Comptable matières de la Dag. J’ai déposé une plainte pour être conforme à la législation. C’est vers 20h, à mon cabinet ce samedi-là que M. Pokossy est venu me dire que c’est lui qui avait décidé d’aider le Comptable-matières pour son départ en retraite…Je lui ai demandé pourquoi n’est-il pas venu me voir plutôt, avant que la plainte formelle ne soit déposée ? N’ayant plus confiance en lui, j’ai pris des mesures conservatoires pour pourvoir à son remplacement.
La hiérarchie, du PM à la Présidence est tombée sur moi « à bras raccourci », comme si j’étais allé chercher des problèmes à un des « leurs »…J’ai eu chaud mais j’ai refusé de revenir sur ma décision. Les gens se dépassant, la procédure n’est allée nulle part et j’en ai payé le prix. Ensuite, mon drame aura été de prétendre lutter contre la corruption et de veiller à un minimum de transparence. J’ai pris des mesures courageuses et, à titre d’exemple j’avais affecté dans les services extérieurs en un seul jour 60 ingénieurs convaincus de manipulation des procédures de passation de marchés. Un de vos collègues journalistes a d’ailleurs affirmé que c’est là où j’ai «signé mon arrêt de mort». Déjà, le jour de la passation de service au Ministre Okouda, ces 60 Ingénieurs sont venus «m’acclamer». Deux mois après mon départ, un Président de Commission de Passation des Marchés que j’avais fait démettre de ses fonctions a été à nouveau nommé Président de la même Commission de Passation des Marchés. Bref, à lutter contre la corruption et les manoeuvres d’un lobby de personnes et des Ingénieurs du Mintp, j’ai vu la mort passer et dans des lettres anonymes qui m’étaient destinées, les rédacteurs m’ont prévenu qu’ils m’enverraient en prison.
Nous y sommes presque ! Enfin, on est venu cambrioler mon Cabinet juste un mois après l’élection présidentielle d’octobre 2004. Curiosité, le fameux cambrioleur était un personnel des forces de l’Ordre. Arrêté par un heureux concours de circonstances, il a déclaré être venu chercher de l’argent mais n’a rien trouvé. Pourtant, il a éventré toutes les armoires, fouillé tous les dossiers mais a laissé téléphones portables, montres de valeur, chemises, bref plein de choses que je recevais comme cadeaux. Ne me demandez surtout pas là où en est cette affaire….
Certains vous accusent d’avoir été à l’origine de
l’embastillement de Michel Thierry Atangana, on dit que vous l’avez
injustement accablé, tout en sachant que le poste de président du
Copisur vous reviendrait de droit, c’est selon vos contempteurs, la
raison pour laquelle vous avez été promu ministre des travaux publics…
C’est un mauvais procès. Il était clairement visé dans le texte que la
présidence du Comité serait assurée par le représentant des entreprises
impliquées dans la réalisation de ce projet. Et s’agissant de ma
nomination comme Ministre, je pense avoir suivi le cheminement classique
conduisant généralement au poste de Ministre : Ex-Igera, Présidence,
Secrétariat de Ministère.
Dites-nous en votre qualité d’ancien ministre et ancien
député, pourquoi faites-vous l’objet de poursuites judiciaires alors que
plusieurs autres prévaricateurs notoires, restent libres de leurs
gestes et faits, avez-vous été lâché par vos réseaux ?
Je voudrais répondre à votre question en rappelant les propos de
l’Honorable Jean Michel Nintcheu (Opposition- SDF). En réponse à une
question de votre confrère journaliste Monsieur Hugues Seumo
(17-09-2000) souhaitant connaître sa réaction par rapport à mon exil, il
a affirmé : « Je voudrais dire au sujet de mon collègue que
l’accélération qu’a connue la procédure ayant conduit à la levée de son
immunité est extrêmement suspecte parce que nous connaissons les
lenteurs judiciaires au Cameroun. En moins de quatre mois, son immunité a
été levée. Ceci a même provoqué la colère chez certains de nos Députés.
Le Député Dieudonné Ambassa Zang, Député de la Mefou et Afamba était
l’un des rares à l’Hémicycle qui prenait son travail au sérieux, il
animait les débats à l’Assemblée Nationale surtout face aux Ministres
que les Députés du Rdpc ne se levaient que pour féliciter. Idem pour
Monsieur Ayah Paul Abine, Député Rdpc de la Manyu qui est de ceux qui
posent les véritables problèmes aux Ministres lors des débats. Je pense
que ce qui s’est passé avec Dieudonné Ambassa Zang est une espèce de
règlements de comptes. Certaines mauvaises langues affirment même qu’il
appartiendrait au fameux G11. Est-ce que c’est cela qui explique cet
acharnement contre sa personne alors que je sais qu’il existe beaucoup
d’autres Députés du Rdpc que je ne veux pas citer qui se sont livrés
dans les malversations diverses à l’instar des marchés publics
non-livrés, des malversations diverses et dont la presse en fait l’écho
tous les jours. L’opération épervier s’est transformée en une espèce
d’opération escargot à tête chercheuse ». Cela se passe de commentaires.
Dans quelles circonstances, Dieudonné Ambassa Zang est-il parti du Gouvernement ?
Si déjà je ne sais pas comment j’y suis rentré, il m’est encore plus
difficile de savoir dans quelles circonstances j’en suis sorti.
Enumérez-nous quelques-unes de vos réalisations, en tant que ministre des travaux publics…
Beaucoup de réalisations et parmi les plus significatives pour moi :
-amélioration du cadre de travail par la construction des bâtiments
modernes tant au niveau de l’Administration centrale que des services
extérieurs, notamment Délégation Régionale du Littoral ; -la conduite
heureuse des projets d’infrastructures routières presque compromis :
Yaoundé/Soa ; Melong/Dschang ; Ayos-Bonis ; réhabilitation du pont sur
le Wouri ; Ngaoundéré/Touboro-Moundou : pont sur le Ntem ; pont sur le
Mungo (c’est moi qui ai trouvé le financement de 03 milliards de Fcfa) ;
pont de Makabaye ; -Conduite de la réforme pour la mise en place d’un
fonds routier de 2ème génération ; -Restructuration de l’École
supérieure des travaux Publics pour la mise en place du système LMD ;
-Lancement de la rencontre des Ministres des Travaux Publics des États
de la Cemac pour l’élaboration d’un plan Directeur Routier en Afrique
Centrale ;… Je ne peux tout citer mais beaucoup de choses ont été faites
en à peine deux ans, d’où la surprise de bon nombre de compatriotes et
de partenaires du développement du Cameroun lorsque l’on m’a sorti du
Gouvernement.
Après votre départ du Gouvernement, avez-vous été reçu par le Président Biya ?
Je n’ai pas pu avoir cette opportunité, même pas pendant mon séjour de 2 ans et 04 mois au Gouvernement.
Pourquoi le Copisur n’a-t-il pas fait long feu ?
Les projets portés par cette structure (Yaoundé/Kribi et Ayos/Bertoua)
étaient très attendus par les populations. Ils sont presque tous
réalisés aujourd’hui. Le Copisur a été asphyxié parce que le mécanisme
de financement qui était préconisé n’avait pas pu être finalement mis en
place, feu Ministre Justin Ndioro (Minfi) ayant mis en avant les
engagements avec les institutions de Bretton Woods dans le cadre du pas.
Tenant compte de cette contrainte majeure qui l’a conduite à une lente
agonie, je ne sais pas si on peut vraiment émettre un jugement. Comme on
le dit souvent, «en cas de doute, s’abstenir».
Au moment où s’ouvre votre procès au Tribunal Criminel
Spécial pour détournement des deniers publics, pouvez-vous nous dire
très exactement ce qui vous est reproché ? Donnez-nous les tenants et
les aboutissants de votre affaire…
De l’exploitation de l’Ordonnance de Renvoi du Magistrat Instructeur
Jérôme Kouabou, il ressort que je suis renvoyé devant le TCS pour un
détournement deniers publics présumé de 5.820.645.438 Fcfa. Avant d’en
venir aux chefs d’accusation, qu’il me soit permis de rappeler que aux
termes de la loi portant Code Pénal, le détournement est défini comme le
fait pour «Quiconque par quelque moyen que ce soit obtient ou retient
frauduleusement quelque bien que ce soit, mobilier ou immobilier
appartenant, destiné ou confié à l’Etat unifié, à une coopérative,
collectivité ou établissement, ou publics ou soumis à la tutelle
administrative de l’Etat ou dont l’Etat détient directement ou
indirectement la majorité du capital». Je souligne cela car les faits
retenus à ma charge, même si je ne suis pas professionnel du droit et
des prétoires, ne semblent pas réunir les éléments constitutifs de cette
infraction. Il y a manifestement confusion et amalgame entre faute de
gestion (loi 74/18 et ses modificatifs) et le détournement (Code Pénal).
Cela pose la question de compétence ratione materiae du Tribunal
criminel spécial (Tcs) au regard des chefs d’accusation pour lesquels je
suis renvoyé devant cette juridiction d’exception. Concernant les chefs
d’accusation, je vais les passer en revue, en donnant à chaque fois les
sommes en cause ainsi que l’analyse que j’en fais, étant entendu bien
sûr que je suis libre de me tromper mais rassurez-vous, je resterai
sincère : 1- Pénalités de retard irrégulièrement annulées (10.340.287
Fcfa). On me reproche de n’avoir pas requis l’avis préalable de la
Commission de Passation des Marchés des Travaux avant d’annuler les
pénalités notifiées aux Établissements Fralida. Tout d’abord le montant
n’est pas exact car la pénalité de retard notifiée par le Chef de
Subdivision des Travaux Publics de la Sanaga-Maritime (Maître d’oeuvre)
est de 6,5 millions de Francs Cfa. Ensuite, j’ai tenu une séance de
travail à mon Cabinet regroupant tous les acteurs, y compris ceux de la
Commission de Passation des Marchés car il y avait urgence, s’agissant
de l’aménagement de la voie d’accès à l’Evêché d’Edéa à réaliser sur les
hautes instructions de Monsieur le Président de la République. Et le
Magistrat Instructeur reconnait d’ailleurs dans son ordonnance de renvoi
et après audition de la Gérante de cette PME de l’entretien routier, la
pertinence des arguments avancés. 2- Préjudice au détriment du Trésor
Public pour la passation du marché de réhabilitation du pont sur le
Wouri à une entreprise en déconfiture et ne présentant pas les garanties
techniques et financières (4.891.407.226 Fcfa).