Dieu, paix, guerre, et l’Etat Biya.
Mardi, 29 Novembre 2011 08:27
Sindjoun Pokam
Sindjoun Pokam. Comment dire Dieu ? Comment penser
Dieu ? Est-il possible de faire une théorie de Dieu si nous admettons
qu’il n’est de Dieu que de théorie ?
Qu’est-ce que Dieu ici et maintenant, chez nous, au Cameroun ? Dieu
est-il pensable dans un Etat corrompu qui a installé le pays tout entier
dans un état de corruption généralisé ?
Dieu est-il corruptible ? Le couple Peuple/Dieu est désormais ce qui
pose à l’Etat de Biya la question de sa légitimité historique.
Après avoir érigé en programme politique le slogan idéologique : Paul
Biya choix du peuple où le concept de peuple se découvre être la source
de la légitimité du pouvoir, Paul Biya et ses idéologues doctrinaires
s’aperçoivent des limites d’une telle théorisation au sein de laquelle
le peuple occupe la position centrale et substituent au peuple le
concept de Dieu pensé comme source de légitimité du pouvoir politique.
Paul Biya confie son mandat à Dieu, écrit Cameroon-Tribune, la voix de
son maître.
Le peuple, pensé comme source historique de légitimité du pouvoir
politique est désormais exclu du champ politique de Paul Biya et des
idéologues de l’Etat qu’ils incarnent au profit d’un Dieu devant lequel
Paul Biya devra rendre compte. Ici, Paul Biya et ses idéologues
s’inscrivent dans une tradition idéologico-politique de continuité
aléatoire dont l’Etat de Paul Biya apparaît historiquement comme la
figure ultime. De cette tradition politico-idéologique qui exclut le
peuple camerounais comme source de légitimité du pouvoir politique au
Cameroun, le philosophe politique et théologien, EBOUSSI BOULAGA écrit :
«Une violence endémique depuis plus d’un siècle est caractéristique de
l’entité camerounaise. Le Cameroun connaît un cycle de violences liées
au changement de la puissance gouvernante et la nécessité pour la
nouvelle d’asseoir son pouvoir et sa légitimité par la force. […]. A ne
considérer que ces cycles de violences, on peut dire que depuis plus
d’un siècle, l’entité camerounaise n’a pas connu, en sa totalité, une
période de paix sociale ayant duré dix ans. La fin de chaque cycle
connaît un relâchement de la répression, un armistice mais non pas une
paix dûment conclue » .
Pour le philosophe Eboussi Boulaga, la paix, organiquement liée à la
question politique de la légitimité du peuple est historiquement exclue
du champ politique camerounais. D’où cette conclusion du philosophe : «
Saviez-vous que ce qu’on appelle Cameroun recouvre en réalité un
territoire dont les frontières ont varié à plusieurs reprises ? Loin
d’être stabilisées, elles alimentent des conflits avec les pays voisins.
Saviez-vous qu’en un siècle, ce pays n’a pas connu plus de douze années
de paix civile ? Chaque régime a dû commencer par la conquête et la
pacification armée avant d’obtenir de timides débuts de tranquillité et
un essor économique prometteur mais toujours éphémère ? Saviez-vous
qu’après l’indépendance, le régime colonial s’est prolongé pendant plus
de trente ans dans un état d’exception impitoyable, et que depuis quinze
ans, on y vit une crise de succession marquée par la poursuite d’une
introuvable légitimité ? » .
Pour le philosophe Eboussi Boulaga, le Cameroun, entité historique
récente est traversé par un cycle de violences continues d’où la paix
civile est historiquement exclue du champ politique. Ici, l’Etat Biya et
ses idéologues font la paix pour éviter la paix. La paix est convoquée
pour continuer la guerre contre le Peuple camerounais. La paix convoquée
dans le discours de Paul et de ses idéologues est un concept
idéologique destiné à assoir les intérêts d’une minorité qui s’est
historiquement emparée de l’Etat et l’a privatisé. Le Peuple camerounais
a cessé d’être la source légitime du pouvoir politique. En ses lieux et
places, Dieu est désormais requis comme instance suprême et ultime qui
fonde et légitime le pouvoir de l’Etat qu’incarne Paul Biya. De là,
l’urgence pour le philosophe de traquer les forces obscures et
réactionnaires à l’œuvre dans ce concept de Dieu qui désormais gouverne
la pensée théorique et pratique de Paul Biya et des idéologues de l’Etat
qu’il incarne.
C’est au sein de l’Eglise catholique que se déploient ces forces
obscures. D’où l’extrême urgence théorique et pratique à saisir
conceptuellement la question de Dieu telle que l’expriment les grands
penseurs et théologiens catholiques. Mais on convoquera aussi l’Idée de
Dieu à l’œuvre dans la tradition philosophique, théologique et éthique
négro-africaine. Ici, deux figures de pensée s’imposent à notre esprit.
Il s’agit de celle du théologien de la libération Jean Marc Ela et
celle du savant Cheikh Anta Diop. Mais avant de questionner les œuvres
théorico-pratiques de nos deux penseurs, écoutons à neuf les discours
programmatiques de Paul Biya, Président de la République et Président du
Parti. Une séquence idéologico-politique gouverne et ordonne
historiquement ces discours. Rigueur/Moralisation. Ce couple conceptuel
s’énonce de vouloir combattre un mal radical qu’est la corruption.
Rigueur/Moralisation/Corruption, tel est l’enjeu éthique et politique
d’une pensée en quête d’action. A ses ministres et dès son accession à
la magistrature suprême, Paul Biya prescrit : « A travers une telle
gestion, vous devez non seulement en donner l’exemple dans votre
comportement et vos activités, mais également combattre ces maux dont la
nation est à juste titre préoccupée et que le gouvernement s’est, avec
fermeté et persévérance engagé à enrayer : le tribalisme, le laxisme,
l’affairisme, les fraudes, l’enrichissement effréné et illicite, les
détournements des deniers publics, la corruption » . En effet, de 1982 à
1985, Paul Biya, dans ses discours politico-idéologiques ne cesse de
nous montrer l’ampleur du mal et les menaces de mort qu’il fait peser
sur le corps politique camerounais. A cet égard, le rapport de politique
générale que Paul Biya présenta au Congrès du Renouveau du 21-24 mars
1984 à Bamenda, apparaît historiquement comme le fondement de la
corruption en même temps qu’il nous indique le lieu depuis lequel elle
se déploie et les acteurs qui s’y emploient. Le Parti apparaît ainsi
comme l’épicentre de la corruption. Paul Biya note : « Aussi
condamnons-nous également l’incivisme fiscal, les trafics, les hausses
illicites des prix, les fraudes et toutes pratiques illégales qui
tendraient à fausser les principes de la justice sociale, et dans
lesquelles trop souvent malheureusement s’illustrent certains hommes
d’affaires» Et le Président du Parti de faire ce douloureux constat : «
A l’épreuve de la vérité à laquelle nous avons bien voulu nous livrer à
l’occasion de nos présentes assises, il nous faut alors procéder à un
douloureux constat. C’est bien souvent de la part de certains militants
de l’UNC, fonctionnaires et agents de l’Etat, installés derrière leurs
bureaux, quand ils ne font pas preuve d’un absentéisme chronique, que
l’administré trouve un mauvais accueil dans les services publics.
Il se troue également des militants de notre parti parmi les nouveaux
citoyens cités en justice pour détournement des fonds et autres procédés
illicites d’enrichissement.
Les fraudes, si constamment décriées, sont parfois le fait des
militants exerçant d’importantes responsabilités au sein du parti. Ces
fraudes ne sont-elles mêmes possibles que parce qu’il se sera établi un
réseau de complicité entre quelques fonctionnaires et hommes d’affaires,
tous également coupables de corruption, tous militants aussi de notre
grand parti national. » . Dans ce discours politique de Paul Biya, les
acteurs du mal radical qu’est la corruption sont parfaitement connus,
désignés, identifiés. Le lieu depuis lequel, sur l’autorité et la
couverture duquel ils opèrent est exactement désigne. C’est lieu, c’est
le parti. L’autre lieu historique, c’est l’Etat. Paul Biya note : « Qui
donc commet les abus de pouvoir, exerce des trafics d’influence et use
de passe-droits, sinon certains de nos compatriotes nantis de la
puissance publique ou politique, et qui sont les militants sinon les
responsables du parti ? Ceux qui ont emprunté aux banques et qui ne
croient pas devoir s’acquitter de leurs dettes se comptent également
dans les rangs du parti.» .
L’Etat/Parti, Parti/Etat, tel est le lieu historique et par excellence
depuis lequel la corruption s’est installé chez nous, au Cameroun.
L’Etat/Parti, incarné par Paul, justifié et légitimé par quelques
idéologues sans pensée et voués aux slogans creux, constitue ce haut
lieu historique où se déploie la corruption et ses acteurs connus,
désignés et identifiés par le prince héritier, Paul Biya. Rappelons
qu’il y a 27 ans que Paul Biya tenait ces discours idéologico-politiques
sur la corruption pensée et désignée comme mal radical et absolu et qui
menace mortellement le corps politique en cours de construction. Où en
est Paul Biya en 2011 ? Ecoutons encore à neuf, Paul Biya.
Un Etat aussi corrompu et qui vit de la corruption peut-il être réformé
? Ici, combattre la corruption, c’est en même temps combattre l’Etat
dont il est la substance. C’est devant cette insupportable et
insurmontable contradiction dialectique que Paul Biya et ses idéologues
doctrinaires font recours à Dieu comme puissance normative et source de
légitimité d’un Etat absolument corrompu. « De mon côté, je renouvelle
mon engagement à poursuivre une lutte inexorable et sans merci contre la
corruption.
La corruption est un crime et doit être traité comme tel.
La corruption est non seulement un crime moral, mais aussi un crime
économique, car elle ampute dans de larges proportions nos possibilités
financières et nous prive des fonds nécessaires à nos réalisations par
des détournements inacceptables. Dans cette lutte, personne ne pourra
plus jamais se prévaloir d’être au-dessus des lois» .
Est-il historiquement possible de réformer un Etat corrompu ?
L’Eglise catholique tient désormais lieu de caution
idéologico-religieuse où se joue le nom de Dieu comme source légitime.
Dieu peut-il être au service d’un Etat corrompu ?
Cette question théologique/philosophique et politico-théologique
traverse et parcourt l’œuvre du théologien Jean Marc Ela. Jean Marc Ela
découvre dans l’immense œuvre historique et philosophique du savant
Cheikh Anta Diop le point nodal à partir duquel la pensée théologique,
philosophique, politique et scientifique africaine doit pouvoir se
déployer, se développer et s’affirmer. De l’œuvre de Cheikh Anta Diop,
Jean Marc Ela écrit : «Toute l’œuvre de Cheikh Anta Diop tend vers la
constitution d’une sorte de nouvel entendement en Afrique à partir de
l’Egypte nègre considérée comme un véritable concept opératoire. » . Et
voici une des thèses centrales du savant sénégalais, Cheikh Anta Diop : «
Le retour à l’Egypte dans tous les domaines est la condition nécessaire
pour réconcilier les civilisations africaines avec l’histoire, pour
pouvoir bâtir un corps de sciences humaines modernes, pour rénover la
culture africaine. Loin d’être une délectation sur le passé, un regard
vers l’Egypte antique est la meilleure façon de concevoir et bâtir notre
futur culturel. L’Egypte jouera, dans la culture africaine repensée et
rénovée, le même rôle que les antiquités gréco-latines dans la culture
occidentale. » .Cette thèse programmatique s’est historiquement
construite à partir d’une théorie scientifique rigoureusement et
vigoureusement établie sur l’Egypte antique pensée comme terre et
production historique nègre. Cheikh Anta Diop écrit : « Donc pour, le
fait nouveau, important, c’est moins d’avoir dit que les Egyptiens
étaient des Noirs à la suite des auteurs anciens, l’une de nos
principales sources que d’avoir contribué à faire de cette idée un fait
de conscience historique africaine et mondiale, et surtout un concept
scientifique opératoire : ce que n’avaient pas réussi à faire nos
prédécesseurs ». .De cette thèse scientifiquement établie, le savant
négro-africain tire les conséquences théoriques et pratiques qu’il nous
lègue. « Dans la mesure où l’Egypte est la mère lointaine de la science
et de la culture occidentales, comme cela ressortira de la lecture de ce
livre, la plupart des idées que nous baptisons étrangères ne sont
souvent que les images, brouillées, renversées, modifiées,
perfectionnées, des créations de nos ancêtres : judaïsme, christianisme,
islam […] » . Il suit de ce qui précède que nos ancêtres ont
historiquement élaboré une théorie de Dieu, un concept de Dieu qu’ils
ont transmis aux trois religions du Livre que sont le judaïsme, le
christianisme et l’islam. Le théologien chrétien Jean Marc Ela nous
livre cette Idée de Dieu telle qu’elle s’exprime et se déploie dans le
christianisme à travers la parole des Apôtres.
LE MESSAGE DE JEAN-BAPTISTE/DE LA CONVERSION A LA REFORME DANS LES
EGLISES AFRICAINES .C’est à partir de ce Texte théologique, écrit dans
la douleur que s’impose à Jean Marc Ela l’Idée de Dieu comme idée
régulatrice d’émancipation de l’homme négro-africain. « Dans la vie,
écrit-il, il faut parfois prendre le temps de s’arrêter et de voir les
questions qui se posent. Il appartient à chacun de faire le point de ses
choix et de ses projets. L’histoire qui se fait à travers l’Afrique est
le vrai désert où nous devons vivre, le lieu du combat décisif où Dieu
nous met à l’épreuve. Telle est la portée du message que nous livre le
prédicateur du Jourdain. Au centre de ce message, nous avons retenu
l’appel à la conversion. Mais cet appel doit être entendu à partir des
questions que les pauvres posent aux Eglises en cette fin de siècle.
Dans ce sens, nous entrons dans le temps du défi où aimer Dieu, c’est
aussi prendre la route pour libérer l’homme de la misère, de l’injustice
et de l’oppression. Il faut rester disponible à l’Esprit qui nous
renouvelle pour transformer le monde selon le dessein de Dieu » . Pour
le théologien Jean Marc Ela, c’est à partir de la position du pauvre
pensé comme victime de l’oppression qu’il faut poser la question de Dieu
pensé comme celui qui émancipe, libère l’homme de la misère et de la
faim organisées. L’Eglise en tant qu’institution a cessé d’être ce lieu
où Dieu parle et défend le pauvre. D’où cette remarque de Jean Marc Ela :
« Une minorité vit dans l’abondance tandis que la majorité est
abandonnée à la survie. Il n’est pas rare que des personnes ayant épuisé
leurs forces au service de l’Eglise soient condamnées à vivre dans le
dénuement et la solitude, oubliées par l’institution à laquelle elles
ont consacré leur vie. Tout cela donne à penser » . Penser, c’est
inscrire Dieu dans nos pratiques théoriques comme exigence
éthico-politique qui sauve l’homme voué à la mort. C’est aussi faire le
bilan historique de l’évangélisation en Afrique à partir des questions
suivantes : « Quelle transformation de la vie l’Evangile a-t-il opéré en
nous ? En quoi notre relation à Jésus-Christ dans la foi a-t-elle
modifié notre manière d’être au monde ? Après cent ans d’évangélisation,
il faut montrer les fruits de notre conversion à l’Evangile afin que
sur le visage des Eglises africaines l’on puisse lire quelque chose de
la passion de Dieu pour l’homme » . Repenser l’Eglise comme institution
et l’Idée de Dieu qui la fonde et la justifie, telle est la tâche,
théorique et pratique qui désormais s’impose au penseur négro-africain.
La tragédie historico-politique et philosophico-théologique qui
travaille l’Afrique requiert une telle pensée. « Devant les situations
dramatiques que vivent les peuples d’Afrique, l’on risque de succomber à
la tentation du découragement. Nous sommes dans l’impasse. Mais, en
dépit des apparences, nous ne pouvons oublier que l’Afrique espère plus
que jamais une réponse des Eglises. A partir des attentes des Africains
plongés dans les situations où les conflits internes, le pillage
organisé, la violence et la corruption généralisée portent atteinte à la
vie, comment lisons-nous l’Evangile et annonçons le salut de
Jésus-Christ ? Ce qui se passe autour de nous n’oblige-t-il pas les
Eglises à repenser leurs formules de foi, les formes de célébration de
culte, les institutions et les structures, les relations avec les
pouvoirs, bref, la mission dans l’Afrique d’aujourd’hui ? Il est
désormais difficile d’esquiver ces questions. Elles s’imposent par leur
ampleur et leur radicalité. Elles travaillent en profondeur de nombreux
chrétiens dans les bouillonnements en cours. Nous devons les aborder
avec courage. Ces questions nous font comprendre la nécessité de nous
dépouiller des vieilles structures et des modes de pensée hérités du
christianisme bourgeois. » . Rompre avec le christianisme bourgeois qui a
déclaré que Dieu est mort, et qui a soumis l’Afrique à la violence et à
la mort, tel est le risque théorique et pratique à courir et à assumer.
« Les Eglises d’Afrique doivent accepter de courir des risques dans les
sociétés où l’avenir des peuples épuisés par la colonisation et la
violence de l’Etat postcolonial passe par une transformation radicale
des conditions de vie » .
Inaugurée dans LE MESSAGE DE JEAN-BAPTISTE, précédemment évoqué, la
nouvelle théorie de Dieu trouve sa formule la plus élaborée dans
l’ouvrage intitulé : REPENSER LA THEOLOGIE AFRICAINE avec comme
sous-titre : LE DIEU QUI LIBERE. . On doit considérer cet ouvrage de
Jean Marc Ela comme la somme théologique de l’auteur. C’est un massif
philosophique et théologique. Dieu y est pensé comme figure de pensée
ultime qui libère. « Le seul message chrétien qui ait un sens
aujourd’hui pour l’homme africain est celui du Dieu qui libère » . Et le
théologien de proclamer : « A cet égard, le Dieu de Jésus-Christ est
pour nous l’unique Evangile. La capacité de l’Eglise de témoigner de la
crédibilité et de la pertinence de son message nous est apparue comme le
défi crucial du christianisme africain au cours du IIIe millénaire.
Cette question renvoie à celle de la signification de Dieu lui-même si
l’on veut bien se mettre à l’écoute des hommes et des femmes en quête de
vie et d’espoir » . Jean Marc Ela dessine alors une nouvelle
cartographie du concept de Dieu à partir de l’idée de résistance assumée
depuis la rue pensée comme espace public d’écoute du peuple. « Il nous
faut rester à l’écoute de la rue qui gronde dans les villes africaines
où se forge le visage d’un nouveau type d’homme et de femme. En tenant
compte de nouveaux acteurs qui s’interrogent sur leur avenir à partir
des enjeux sociopolitiques et économiques au sein des mutations
actuelles, nous avons montré l’urgence et la nécessité de redécouvrir le
Dieu auquel nous croyons. La soumission n’est pas le message central de
l’Evangile. Car le salut de l’homme en Jésus-Christ s’opère dans une
lutte et une résistance active qui nous fait porter dans la foi la
mission libératrice du Dieu crucifié » . Une nouvelle théorie de Dieu se
construit ici à partir du refus radical de la servitude volontaire.
Dieu ici pensé est la négation absolue de toute idée de soumission. «
Pour nous, le style des chrétiens et la présence de l’Eglise peuvent
devenir signifiants s’ils décident à témoigner de ce Dieu qui s’est
fait solidaire des victimes de l’histoire et nous appelle à assumer ce
scandale afin de rejoindre les crucifiés d’aujourd’hui » . C’est en
Afrique noire que ce concept de Dieu pensé comme figure de résistance
s’impose comme urgence et nécessité historique. « En effet, depuis la
Croix, nulle part le Dieu des chrétiens n’a été révélé d’une manière
aussi évidente que là où il se manifeste parmi les déshérités, les
opprimés, voire les impies. La Croix est le moment de la lutte suprême
de Dieu en Jésus-Christ pour le triomphe de la vie. Au sein de nos
Eglises, il nous faut revoir la manière dont Dieu est nommé et confessé,
annoncé, célébré et prié, loué et servi en Afrique. » . L’Afrique est à
la recherche d’un nouveau concept de Dieu construit à partir de la
situation tragique où se joue son destin historique. « Dans ce
continent, ce que les gens cherchent depuis des siècles, c’est un Dieu
qui, devant leur destin menacé et tragique, prend parti pour l’être
humain affronté au drame de la vie et de la mort. En ce nouveau siècle
où les nouvelles générations font face à des formes de servitude et
d’exclusion qui leur ferment l’avenir, notre foi d’Africain nous appelle
d’urgence à refonder la mission de l’Eglise sur le Dieu des pauvres et
des opprimés dont Jésus-Christ est le révélateur ultime. Hors de là,
Dieu ne signifie rien et les Africains n’en ont que faire. »
Entre le Dieu du pauvre et le Dieu du riche, il faut choisir. Lequel de
ces deux Dieux qui s’excluent dialectiquement l’Eglise catholique a
choisi en accueillant Paul Biya, Président d’un Etat corrompu absolument
et voué à la défense et à la protection des intérêts des riches ?
Jean Marc Ela nous somme d’avoir à choisir entre le pauvre et le riche
et de nous engager politiquement et socialement à partir de l’idée que
nous nous faisons de Dieu. « Dans les sociétés où des millions
d’Africains vivent dans l’attente du Messie sauveur, nous devons nous
interroger sur la pertinence des signes qui inaugurent le Royaume. A la
limite, il s’agit de savoir si la conversion à Dieu ne passe pas par la
conversion aux hommes qui souffrent de la misère et de l’oppression sous
toutes les formes. Au milieu des apartheids indigènes où la violence et
l’arbitraire règnent tandis que les injustices et les disparités
socio-économiques s’aggravent, nous ne pouvons vivre la conversion qu’en
nous engageant au service des pauvres et des faibles, en nous
impliquant dans les choix de vie et les risques en faveur des oubliés de
l’Etat postcolonial . Il nous faut aujourd’hui chercher à produire les
fruits de la conversion au sein des régimes où se développe une culture
de la terreur et une économie de la violence liées à un processus
d’accumulation des ressources à partir des appareils de pouvoir
confisqués par un petit club de nantis. Dans ce contexte, la conversion
est inséparable de l’engagement sociopolitique » .
Revenons pour terminer au couple conceptuel Cheikh Anta Diop/Jean Marc
Ela, c’est-à—à-dire aux liens d’affinité élective qui se sont noués
entre le savant et le théologien. Entendons encore à neuf le savant. «
Dans la mesure où l’Egypte est la mère lointaine de la science et de la
culture occidentales, comme cela ressortira de la lecture de ce livre,
la plupart des idées que nous baptisons étrangères ne sont souvent que
les images, brouillées, renversées, modifiées, perfectionnées, des
créations de nos ancêtres : judaïsme, christianisme, islam, […]. » .
Pour la première fois, les sources négro-africaines, égypto-nubiennes
de trois religions monothéistes nous sont révélées. Le savant aura ainsi
indiqué au théologien le lieu originaire depuis lequel il peut
légitimement penser le concept de Dieu qui libère.
VIE/JUSTICE/ORDRE/VERITE, tels sont les concepts fondamentaux à partir
desquels ce Dieu qui libère est saisi. Historiquement il porte le nom de
Maat. Il est traversé par le conflit Horus/Seth. Horus est le bras armé
de la Maat en lutte permanente contre Seth, force de désordre. « Deux
types de conflits dominent l’imaginaire qui sous-tend le couple
pouvoir-religion. Ce sont, d’une part, le conflit qui accompagne la
création du monde et, d’autre part, le conflit qui a trait à la
transmission du pouvoir, avec les démêlés qui opposèrent Horus et Seth »
.De ce pouvoir théologique-pharaonique nègre, l’égyptologue Bernadette
MENU écrit : « Les documents des origines, la mythologie et l’idéologie
coïncident sur une idée essentielle :la vie est un combat et le combat
pour la vie est la vie. La création n’est pas une œuvre achevée, elle
doit, par une lutte perpétuelle à laquelle se livrent et les dieux et le
pharaon, défendre sans cesse ses acquis, procéder à une mise en ordre
toujours plus poussée de l’univers tout entier.
Qu’il s’agisse du dieu Rê en face du serpent Apopis ou qu’il s’agisse
du pharaon en face de ses ennemis, la création, l’organisation, doivent
triompher des forces destructrices. Au sein du corps social, l’évitement
du conflit est la règle. Il d’assurer le triomphe de la maât. Si le
conflit surgit malgré tout, c’est selon l’équité qu’il sera résolu, et
le règlement du conflit va crée du droit, puisque dans l’idéal on ne va
solliciter la justice que si l’on a une prétention défendable. Le
conflit, qu’il soit politique, social, judiciaire, n’est utile que s’il a
des résultats positifs, que s’il réalise une victoire de l’organisation
sur l’incréé » .
Tel est le système théologico-politique et éthico-philosophique que nos
ancêtres ont inventé et qu’ils nous ont légué. Il reste d’actualité.
Sindjoun pokam.
Philosophe.
sindjounpokam@yahoo.fr