Dieu, paix, guerre, et l’Etat Biya.

Mardi, 29 Novembre 2011 08:27 Sindjoun Pokam

Sindjoun Pokam. Comment dire Dieu ? Comment penser Dieu ? Est-il possible de faire une théorie de Dieu si nous admettons qu’il n’est de Dieu que de  théorie ?
 
Qu’est-ce que Dieu ici et maintenant, chez nous, au Cameroun ? Dieu est-il pensable dans un Etat corrompu qui a installé le pays tout entier dans un état de corruption généralisé ? 
Dieu est-il corruptible ? Le couple Peuple/Dieu est désormais ce qui pose à l’Etat de Biya la question de sa légitimité historique.
Après avoir érigé en programme politique le slogan idéologique : Paul Biya choix du peuple où le concept de peuple se découvre être la source de la légitimité du pouvoir, Paul Biya et ses idéologues doctrinaires s’aperçoivent des limites d’une telle théorisation au sein de laquelle le peuple occupe la position centrale et substituent au peuple le concept de Dieu pensé comme source de légitimité du pouvoir politique. Paul Biya confie son mandat à Dieu, écrit Cameroon-Tribune, la voix de son maître.
 
Le peuple, pensé comme source historique de légitimité du pouvoir politique est désormais exclu du champ politique de Paul Biya et des idéologues de l’Etat qu’ils incarnent au profit d’un Dieu devant lequel Paul Biya devra rendre compte. Ici, Paul Biya et ses idéologues s’inscrivent dans une tradition idéologico-politique de continuité aléatoire dont l’Etat de  Paul Biya apparaît historiquement comme la figure ultime. De cette tradition politico-idéologique qui exclut le peuple camerounais comme source de légitimité du pouvoir politique au Cameroun, le philosophe politique et théologien, EBOUSSI BOULAGA écrit : «Une violence endémique depuis plus d’un siècle est caractéristique de l’entité camerounaise. Le Cameroun connaît un cycle de violences liées au changement de la puissance gouvernante et la nécessité pour la nouvelle d’asseoir son pouvoir et sa légitimité par la force. […]. A ne considérer que ces cycles de violences, on peut dire que depuis plus d’un siècle, l’entité camerounaise n’a pas connu, en sa totalité, une période de paix sociale ayant duré dix ans. La fin de chaque cycle connaît un relâchement de la répression, un armistice mais non pas une paix dûment conclue » .
 
Pour le philosophe Eboussi Boulaga, la paix, organiquement liée à la question politique de la légitimité du peuple est historiquement exclue du champ politique camerounais. D’où cette conclusion du philosophe : « Saviez-vous que ce qu’on appelle Cameroun recouvre en réalité un territoire dont les frontières ont varié à plusieurs reprises ? Loin d’être stabilisées, elles alimentent des conflits avec les pays voisins. Saviez-vous qu’en un siècle, ce pays n’a pas connu plus de douze années de paix civile ? Chaque régime a dû commencer par la conquête et la pacification armée avant d’obtenir de timides débuts de tranquillité et un essor économique prometteur mais toujours éphémère ? Saviez-vous qu’après l’indépendance, le régime colonial s’est prolongé pendant plus de trente ans dans un état d’exception impitoyable, et que depuis quinze ans, on y vit une crise de succession marquée par la poursuite d’une introuvable légitimité ? » .
 
Pour le philosophe Eboussi Boulaga, le Cameroun, entité historique récente est traversé par un cycle de violences continues d’où la paix civile est historiquement exclue du champ politique. Ici, l’Etat Biya et ses idéologues font la paix pour éviter la paix. La paix est convoquée pour continuer la guerre contre le Peuple camerounais. La paix convoquée dans le discours de Paul et de ses idéologues est un concept idéologique destiné à assoir les intérêts d’une minorité qui s’est historiquement emparée de l’Etat et l’a privatisé. Le Peuple camerounais a cessé d’être la source légitime du pouvoir politique. En ses lieux et places, Dieu est désormais requis comme instance suprême et ultime qui fonde et légitime le pouvoir de l’Etat qu’incarne Paul Biya. De là, l’urgence pour le philosophe de traquer les forces obscures et réactionnaires à l’œuvre dans ce concept de Dieu qui désormais gouverne la pensée théorique et pratique de Paul Biya et des idéologues de l’Etat qu’il incarne.
 
C’est au sein de l’Eglise catholique que se déploient ces forces obscures. D’où  l’extrême urgence théorique et pratique à saisir conceptuellement la question de Dieu telle que l’expriment les grands penseurs et théologiens catholiques. Mais on convoquera aussi l’Idée de Dieu à l’œuvre dans la tradition philosophique, théologique et éthique négro-africaine. Ici, deux figures  de pensée s’imposent à notre esprit. Il s’agit de celle du théologien de la libération Jean Marc Ela et celle du savant Cheikh Anta Diop. Mais avant de questionner les œuvres théorico-pratiques de nos deux penseurs, écoutons à neuf les discours programmatiques de Paul Biya, Président de la République et Président du Parti. Une séquence idéologico-politique gouverne et ordonne historiquement ces discours. Rigueur/Moralisation. Ce couple conceptuel s’énonce de vouloir combattre un mal radical qu’est la corruption. Rigueur/Moralisation/Corruption, tel est l’enjeu éthique et politique d’une pensée en quête d’action. A ses ministres et dès son accession à la magistrature suprême, Paul Biya prescrit : « A travers une telle gestion, vous devez non seulement en donner l’exemple dans votre comportement et vos activités, mais également combattre ces maux dont la nation est à juste titre préoccupée et que le gouvernement s’est, avec fermeté et persévérance engagé à enrayer : le tribalisme, le laxisme, l’affairisme, les fraudes, l’enrichissement effréné et illicite, les détournements des deniers publics, la corruption » . En effet, de 1982 à 1985, Paul Biya, dans ses discours politico-idéologiques ne cesse de nous montrer l’ampleur du mal et les menaces de mort qu’il fait peser sur le corps politique camerounais. A cet égard, le rapport de politique générale que Paul Biya présenta au Congrès du Renouveau du 21-24 mars 1984 à Bamenda, apparaît historiquement comme le fondement de la corruption en même temps qu’il nous indique le lieu depuis lequel elle se déploie et les acteurs qui s’y emploient. Le Parti apparaît ainsi comme l’épicentre de la corruption. Paul Biya note : « Aussi condamnons-nous également l’incivisme fiscal, les trafics, les hausses illicites des prix, les fraudes et toutes pratiques illégales qui tendraient à fausser les principes de la justice sociale, et dans lesquelles trop souvent malheureusement s’illustrent certains hommes d’affaires»  Et le Président du Parti de faire ce douloureux constat : « A l’épreuve de la vérité à laquelle nous avons bien voulu nous livrer à l’occasion de nos présentes assises, il nous faut alors procéder à un douloureux constat. C’est bien souvent de la part de certains militants de l’UNC, fonctionnaires et agents de l’Etat, installés derrière leurs bureaux, quand ils ne font pas preuve d’un absentéisme chronique, que l’administré trouve un mauvais accueil dans les services publics.
 
Il se troue également des militants de notre parti parmi les nouveaux citoyens cités en justice pour détournement des fonds et autres procédés illicites d’enrichissement.
Les fraudes, si constamment décriées, sont parfois le fait des militants exerçant d’importantes responsabilités au sein du parti. Ces fraudes ne sont-elles mêmes possibles que parce qu’il se sera établi un réseau de complicité entre quelques fonctionnaires et hommes d’affaires, tous également coupables de corruption, tous militants aussi de notre grand parti national. » . Dans ce discours politique de Paul Biya, les acteurs du mal radical qu’est la corruption sont parfaitement connus, désignés, identifiés. Le lieu  depuis lequel, sur l’autorité et la couverture duquel ils opèrent est exactement désigne. C’est lieu, c’est le parti. L’autre lieu historique, c’est l’Etat. Paul Biya note : « Qui donc commet les abus de pouvoir, exerce des trafics d’influence et use de passe-droits, sinon certains de nos compatriotes nantis de la puissance publique ou politique, et qui sont les militants sinon les responsables du parti ? Ceux qui ont emprunté aux banques et qui ne croient  pas devoir s’acquitter de leurs dettes se comptent également dans les rangs du parti.» .
 
L’Etat/Parti, Parti/Etat, tel est le lieu historique et par excellence depuis lequel la corruption s’est installé chez nous, au Cameroun. L’Etat/Parti, incarné par Paul, justifié et légitimé par quelques idéologues sans pensée et voués aux slogans creux, constitue ce haut lieu historique où se déploie la corruption et ses acteurs connus, désignés et identifiés par le prince héritier, Paul Biya. Rappelons qu’il y a 27 ans que Paul Biya tenait ces discours idéologico-politiques sur la corruption pensée et désignée comme mal radical et absolu et qui menace mortellement le corps politique en cours de construction. Où en est Paul Biya en 2011 ? Ecoutons encore à neuf, Paul Biya.
 
Un Etat aussi corrompu et qui vit de la corruption peut-il être réformé ? Ici, combattre la corruption, c’est en même temps combattre l’Etat dont il est la substance. C’est devant cette insupportable et insurmontable contradiction dialectique que Paul Biya et ses idéologues doctrinaires font recours à Dieu comme puissance normative et source de légitimité d’un Etat absolument corrompu. « De mon côté, je renouvelle mon engagement à poursuivre une lutte inexorable et sans merci contre la corruption. 
La corruption est un crime et doit être traité comme tel.
 
La corruption est non seulement un crime moral, mais aussi un crime économique, car elle ampute dans de larges proportions nos possibilités financières et nous prive des fonds nécessaires à nos réalisations par des détournements inacceptables. Dans cette lutte, personne ne pourra plus jamais se prévaloir d’être au-dessus des lois» .
Est-il historiquement possible de réformer  un Etat corrompu ?
L’Eglise catholique tient désormais lieu de caution idéologico-religieuse où se joue le nom de Dieu comme source légitime. Dieu peut-il être au service d’un Etat corrompu ? 
 
Cette question théologique/philosophique et politico-théologique traverse et parcourt l’œuvre du théologien Jean Marc Ela. Jean Marc Ela découvre dans l’immense œuvre historique et philosophique du savant Cheikh Anta Diop le point nodal à partir duquel la pensée théologique, philosophique, politique et scientifique africaine doit pouvoir se déployer, se développer et s’affirmer.  De l’œuvre de Cheikh Anta Diop, Jean Marc Ela écrit : «Toute l’œuvre de Cheikh Anta Diop tend vers la constitution d’une sorte de nouvel entendement en Afrique à partir de l’Egypte nègre considérée comme un véritable concept opératoire. » . Et voici une des thèses centrales du savant sénégalais, Cheikh Anta Diop : « Le retour à l’Egypte dans tous les domaines est la condition nécessaire pour réconcilier les civilisations africaines avec l’histoire, pour pouvoir bâtir un corps de sciences humaines modernes, pour rénover la culture africaine. Loin d’être une délectation sur le passé, un regard vers l’Egypte antique est la meilleure façon de concevoir et bâtir notre futur culturel. L’Egypte jouera, dans la culture africaine repensée et rénovée, le même rôle que les antiquités gréco-latines dans la culture occidentale. » .Cette thèse programmatique s’est historiquement construite à partir d’une théorie scientifique rigoureusement et vigoureusement établie sur l’Egypte antique pensée comme terre et production historique nègre. Cheikh Anta Diop écrit : « Donc pour, le fait nouveau, important, c’est moins d’avoir dit que les Egyptiens étaient des Noirs à la suite des auteurs anciens, l’une de nos principales sources que d’avoir contribué à faire de cette idée un fait de conscience historique africaine et mondiale, et surtout un concept scientifique opératoire : ce que n’avaient pas réussi à faire nos prédécesseurs ». .De cette thèse scientifiquement établie, le savant négro-africain tire les conséquences théoriques et pratiques qu’il nous lègue. « Dans la mesure où l’Egypte est la mère lointaine de la science et de la culture occidentales, comme cela ressortira de la lecture de ce livre, la plupart des idées que nous baptisons étrangères ne sont souvent que les images, brouillées, renversées, modifiées, perfectionnées, des créations de nos ancêtres : judaïsme, christianisme, islam […] » . Il suit de ce qui précède que nos ancêtres ont historiquement élaboré une théorie de Dieu, un concept de Dieu qu’ils ont transmis aux trois religions du Livre que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam. Le théologien chrétien Jean Marc Ela nous livre cette Idée de Dieu telle qu’elle s’exprime et se déploie dans le christianisme à travers la parole des Apôtres.
 
LE MESSAGE DE JEAN-BAPTISTE/DE LA CONVERSION A LA REFORME DANS LES EGLISES AFRICAINES .C’est à partir de ce Texte théologique, écrit dans la douleur que s’impose à Jean Marc Ela l’Idée de Dieu comme idée régulatrice d’émancipation de l’homme négro-africain. « Dans la vie, écrit-il, il faut parfois prendre le temps de s’arrêter et de voir les questions qui se posent. Il appartient à chacun de faire le point de ses choix et de ses projets. L’histoire qui se fait à travers l’Afrique est le vrai désert où nous devons vivre, le lieu du combat décisif où Dieu nous met à l’épreuve. Telle est la portée du message que nous livre le prédicateur du Jourdain. Au centre de ce message, nous avons retenu l’appel à la conversion. Mais cet appel doit être entendu à partir des questions que les pauvres posent aux Eglises en cette fin de siècle. Dans ce sens, nous entrons dans le temps du défi où aimer Dieu, c’est aussi prendre la route pour libérer l’homme de la misère, de l’injustice et de l’oppression. Il faut rester disponible à l’Esprit qui nous renouvelle pour transformer le monde selon le dessein de Dieu » . Pour le théologien Jean Marc Ela, c’est à partir de la position du pauvre pensé comme victime de l’oppression qu’il faut poser la question de Dieu pensé comme celui qui émancipe, libère l’homme de la misère et de la faim organisées. L’Eglise en tant qu’institution a cessé d’être ce lieu où Dieu parle et défend le pauvre. D’où cette remarque de Jean Marc Ela : « Une minorité vit dans l’abondance tandis que la majorité est abandonnée à la survie. Il n’est pas rare que des personnes ayant épuisé leurs forces au service de l’Eglise soient condamnées à vivre dans le dénuement et la solitude, oubliées par l’institution à laquelle elles  ont consacré leur vie. Tout cela donne à penser » . Penser, c’est inscrire Dieu dans nos pratiques théoriques comme exigence éthico-politique qui sauve l’homme voué à la mort. C’est aussi faire le bilan historique de l’évangélisation en Afrique à partir des questions suivantes : « Quelle transformation de la vie l’Evangile a-t-il opéré en nous ? En quoi notre relation à Jésus-Christ dans la foi a-t-elle modifié notre manière d’être au monde ? Après cent ans d’évangélisation, il faut montrer les fruits de notre conversion à l’Evangile afin que sur le visage des Eglises africaines l’on puisse lire quelque chose de la passion de Dieu pour l’homme » . Repenser l’Eglise comme institution et l’Idée de Dieu qui la fonde et la justifie, telle est la tâche, théorique et pratique qui désormais s’impose au penseur négro-africain. La tragédie historico-politique et philosophico-théologique qui travaille l’Afrique requiert une telle pensée. « Devant les situations dramatiques que vivent les peuples d’Afrique, l’on risque de succomber à la tentation du découragement. Nous sommes dans l’impasse. Mais, en dépit des apparences, nous ne pouvons oublier que l’Afrique espère plus que jamais une réponse des Eglises. A partir des attentes des Africains plongés dans les situations où les conflits internes, le pillage organisé, la violence et la corruption généralisée portent atteinte à la vie, comment lisons-nous l’Evangile et annonçons le salut de Jésus-Christ ? Ce qui se passe autour de nous n’oblige-t-il pas les Eglises à repenser leurs formules de foi, les formes de célébration de culte, les institutions et les structures, les relations avec les pouvoirs, bref, la mission dans l’Afrique d’aujourd’hui ?  Il est désormais difficile d’esquiver ces questions. Elles s’imposent par leur ampleur et leur radicalité. Elles travaillent en profondeur de nombreux chrétiens dans les  bouillonnements en cours. Nous devons les aborder avec courage. Ces questions nous font comprendre la nécessité de nous dépouiller des vieilles structures et des modes de pensée hérités du christianisme bourgeois. » . Rompre avec le christianisme bourgeois qui a déclaré que Dieu est mort, et qui a soumis l’Afrique à la violence et à la mort, tel est le risque théorique et pratique à courir et à assumer. « Les Eglises d’Afrique doivent accepter de courir des risques dans les sociétés où l’avenir des peuples épuisés par la colonisation et la violence de l’Etat postcolonial passe par une transformation radicale des conditions de vie » . 
 
Inaugurée dans LE MESSAGE DE JEAN-BAPTISTE, précédemment évoqué, la nouvelle théorie de Dieu trouve sa formule la plus élaborée dans l’ouvrage intitulé : REPENSER LA THEOLOGIE AFRICAINE avec  comme sous-titre : LE DIEU QUI LIBERE.  . On doit considérer cet ouvrage de Jean Marc Ela comme la somme théologique de l’auteur. C’est un massif philosophique et  théologique. Dieu y est pensé comme figure de pensée ultime qui libère. « Le seul message chrétien qui ait un sens aujourd’hui pour l’homme africain est celui du Dieu qui libère » . Et le théologien de proclamer : « A cet égard, le Dieu de Jésus-Christ est pour nous l’unique Evangile. La capacité de l’Eglise de témoigner de la crédibilité et de la pertinence de son message nous est apparue comme le défi crucial du christianisme africain au cours du IIIe millénaire. Cette question renvoie à celle de la signification de Dieu lui-même si l’on veut bien se mettre à l’écoute des hommes et des femmes en quête de vie et d’espoir » . Jean Marc Ela dessine alors une nouvelle cartographie du concept de Dieu à partir de l’idée de résistance assumée depuis la rue pensée comme espace public d’écoute du peuple. « Il nous faut rester à l’écoute de la rue qui gronde dans les villes africaines où se forge le visage d’un nouveau type d’homme et de femme. En tenant compte de nouveaux acteurs qui s’interrogent sur leur avenir à partir des enjeux sociopolitiques et économiques au sein des mutations actuelles, nous avons montré l’urgence et la nécessité de redécouvrir le Dieu auquel nous croyons. La soumission n’est pas le message central de l’Evangile. Car le salut de l’homme en Jésus-Christ s’opère dans une lutte et une résistance active qui nous fait porter dans la foi la mission libératrice du Dieu crucifié » . Une nouvelle théorie de Dieu se construit ici à partir du refus radical de la servitude volontaire. Dieu ici pensé est la négation absolue de toute idée de soumission. « Pour nous, le style des chrétiens et la présence de l’Eglise peuvent devenir signifiants s’ils  décident à témoigner de ce Dieu qui s’est fait solidaire des victimes de l’histoire et nous appelle à assumer ce scandale afin de rejoindre les crucifiés d’aujourd’hui » . C’est en Afrique noire que ce concept de Dieu pensé comme figure de résistance s’impose comme urgence et nécessité historique. « En effet, depuis la Croix, nulle part le Dieu des chrétiens n’a été révélé d’une manière aussi évidente que là où il se manifeste parmi les déshérités, les opprimés, voire les impies. La Croix est le moment de la lutte suprême de Dieu en Jésus-Christ pour le triomphe de la vie. Au sein de nos Eglises, il nous faut revoir la manière dont Dieu est nommé et confessé, annoncé, célébré et prié, loué et servi en Afrique. » . L’Afrique est à la recherche d’un nouveau concept de Dieu construit à partir de la situation tragique où se joue son destin historique. « Dans ce continent, ce que les gens cherchent depuis des siècles, c’est un Dieu  qui, devant leur destin menacé et tragique, prend parti pour l’être humain affronté au drame de la vie et de la mort. En ce nouveau siècle où les nouvelles générations font face à des formes de servitude et d’exclusion qui leur ferment l’avenir, notre foi d’Africain nous appelle d’urgence à refonder la mission de l’Eglise sur le Dieu des pauvres et des opprimés dont Jésus-Christ est le révélateur ultime. Hors de là, Dieu ne signifie rien et les Africains n’en ont que faire. » 
Entre le Dieu du pauvre et le Dieu du riche, il faut choisir. Lequel de ces deux Dieux qui s’excluent dialectiquement l’Eglise catholique a choisi en accueillant Paul Biya, Président d’un Etat corrompu absolument et voué à la défense et à la protection des intérêts des riches ?
 
Jean Marc Ela nous somme d’avoir à choisir entre le pauvre et le riche et de nous engager politiquement et socialement à partir de l’idée que nous nous faisons de Dieu. « Dans les sociétés où des millions d’Africains vivent dans l’attente du Messie sauveur, nous devons nous interroger sur la pertinence des signes qui inaugurent le Royaume. A la limite, il s’agit de savoir si la conversion à Dieu ne passe pas par la conversion aux hommes qui souffrent de la misère et de l’oppression sous toutes les formes. Au milieu des apartheids indigènes où la violence et l’arbitraire règnent tandis que les injustices et les disparités socio-économiques s’aggravent, nous ne pouvons vivre la conversion qu’en nous engageant au service des pauvres et des faibles, en nous impliquant dans les choix de vie et les risques en faveur des oubliés de l’Etat postcolonial . Il nous faut aujourd’hui chercher à produire les fruits de la conversion au sein des régimes où se développe une culture de la terreur et une économie de la violence liées à un processus d’accumulation des ressources à partir des appareils de pouvoir confisqués par un petit club de nantis. Dans ce contexte, la conversion est inséparable de l’engagement sociopolitique » .
Revenons pour terminer au couple conceptuel Cheikh Anta Diop/Jean Marc Ela, c’est-à—à-dire aux liens d’affinité élective qui se sont noués entre le savant et le théologien. Entendons encore à neuf le savant. « Dans la mesure où l’Egypte est la mère lointaine de la science et de la culture occidentales, comme cela ressortira de la lecture de ce livre, la plupart des idées que nous baptisons étrangères ne sont souvent que les images, brouillées, renversées, modifiées, perfectionnées, des créations de nos ancêtres : judaïsme, christianisme, islam, […]. » .
 
Pour la première fois, les sources négro-africaines, égypto-nubiennes de trois religions monothéistes nous sont révélées. Le savant aura ainsi indiqué au théologien le lieu originaire depuis lequel il peut légitimement penser le concept de Dieu qui libère.
VIE/JUSTICE/ORDRE/VERITE, tels sont les concepts fondamentaux à partir desquels ce Dieu qui libère est saisi. Historiquement il porte le nom de Maat. Il est traversé par le conflit Horus/Seth. Horus est le bras armé de la Maat en lutte permanente contre Seth, force de désordre. « Deux types de conflits dominent l’imaginaire qui sous-tend le couple pouvoir-religion. Ce sont, d’une part, le conflit qui accompagne la création du monde et, d’autre part, le conflit qui a trait à la transmission du pouvoir, avec les démêlés qui opposèrent Horus et Seth » .De ce pouvoir théologique-pharaonique nègre, l’égyptologue Bernadette MENU écrit : « Les documents des origines, la mythologie et l’idéologie coïncident sur une idée essentielle :la vie est un combat et le combat pour la vie est la vie. La création n’est pas une œuvre achevée, elle doit, par une lutte perpétuelle à laquelle se livrent et les dieux et le pharaon, défendre sans cesse ses acquis, procéder à une mise en ordre toujours plus poussée de l’univers tout entier.
 
Qu’il s’agisse du dieu Rê en face du serpent Apopis ou qu’il s’agisse du pharaon en face de ses ennemis, la création, l’organisation, doivent triompher des forces destructrices. Au sein du corps social, l’évitement du conflit est la règle. Il d’assurer le triomphe de la maât. Si le conflit surgit malgré tout, c’est selon l’équité qu’il sera résolu, et le règlement du conflit va crée du droit, puisque dans l’idéal on ne va solliciter la justice que si l’on a une prétention défendable. Le conflit, qu’il soit politique, social, judiciaire, n’est utile que s’il a des résultats positifs, que s’il réalise une victoire de l’organisation sur l’incréé » .
Tel est le système théologico-politique et éthico-philosophique que nos ancêtres ont inventé et qu’ils nous ont légué. Il reste d’actualité.
 
Sindjoun pokam.
Philosophe.
sindjounpokam@yahoo.fr


29/11/2011
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