Détournements de fonds publics: où en est le Cameroun ?
18 FEV. 2011
© Romuald CAMLISO | Correspondance
© Romuald CAMLISO | Correspondance
Entre 1998 et 2004, les détournements
de fonds publics ont atteint des sommets faramineux et auraient pu
permettre de financer certains projets structurants et de nombreuses
initiatives socio-agricoles.
Alors que la croissance mondiale est en berne et que la tendance générale en matière de politique budgétaire est à la restriction des dépenses publiques, le Cameroun, comme souvent, donne l'impression d'avancer à contre courant. Trustant chaque année les sommets du palmarès de l’ONG « Transparence Internationale » sur la corruption, fléau qui a indiscutablement fait son lit dans le pays, le chef de l'État Paul Biya avait entamé en 2004, sous la pression des bailleurs de fonds, une opération de nettoyage baptisée « Épervier », espérant endiguer ce mal qui nuisait à la bonne gestion des affaires publiques.
Malheureusement, les récentes informations extraites du document de stratégie nationale de lutte contre la corruption (SNLCC) et remises au goût du jour par la presse internationale (elles datent de 2007 et ne sont pas nouvelles au demeurant) mettent en lumière l'ampleur qu'avait prise et qu'a certainement toujours eue la corruption au Cameroun, au regard de l'indécence des montants distraits du circuit des fonds publics. Près de 1845 milliards de francs CFA entre 1998 et 2004, soit près de 2.8 milliards d'euros, qui se sont ainsi évaporés des caisses de l'État camerounais.
Ces sommes, qui posent par ailleurs l’éternelle question de la gouvernance dans notre pays, ne sont pas seulement extravagantes dans l'absolu. Elles sont surtout scandaleuses eu égard des impératifs nationaux qu'elles auraient permis de juguler en termes de santé, d'éducation et d'infrastructures, améliorant ainsi le quotidien de nombreux Camerounais. 40% de nos compatriotes continuent de vivre, faut-il encore le rappeler, dans une indigence inacceptable avec moins de 2 dollars par jour, soit moins de 1200 francs CFA.
Et en l'espèce, 1845 milliards de CFA, à défaut d'enrichir une poignée de citoyens véreux et quelques fonctionnaires embourgeoisés, auraient pu financer une bonne part des projets structurants qui font actuellement l’actualité économique de notre pays (comme si la manne pour les lancer nous était subitement tombée du ciel). A titre d’exemple, et en se basant sur les chiffres rendus publics dans le Document de Stratégie pour la Croissance et l'Emploi en début d’année dernière, le Cameroun aurait été capable, depuis sept ans, de mettre en œuvre les chantiers suivants :
1– la construction du deuxième pont sur le Wouri à hauteur de 85 milliards de francs CFA, projet dont on parle depuis plus de 20 ans déjà. On aurait ainsi désengorgé le tronçon qui sépare Douala et sa banlieue de Bonabéri, casse tête quotidien pour les transporteurs et les particuliers, et fluidifié le transport de marchandises avec les zones rurales.
2– la construction de l’autoroute Douala-Yaoundé pour un montant de 600 milliards de francs CFA. Ce projet, datant de plusieurs années lui aussi, aurait permis d’avoir enfin une route de qualité entre les deux plus importantes métropoles du pays. L’insécurité routière aurait par ailleurs considérablement diminué compte tenu de la disparition de l’axe lourd tel qu’il est conçu actuellement.
3– la construction du barrage hydroélectrique de Memve’ele pour 145 milliards de francs CFA et celui de Lom Pangar, dont on parlait déjà en 1993, pour un montant de 140 milliards de francs CFA. A titre de rappel, malgré le potentiel hydroélectrique de notre pays, le troisième d’Afrique derrière la RDC et l’Ethiopie, il reste l’un de ceux où l’électricité est la moins bien distribuée et où les coupures sont encore aussi intempestives, ce même dans les deux grandes villes que sont Douala et Yaoundé.
4– la construction du port en eaux profondes de Kribi pour un montant de 300 milliards de francs CFA, permettant d’augmenter les capacités portuaires de notre pays en désengorgeant le port de Douala et en accueillant le trafic maritime lié aux projets industriels déployés dans le sud du pays et ses environs.
En outre, hormis le financement de ces chantiers qui représentent la bagatelle de 1270 milliards de francs CFA (encore loin du montant de 1845 milliards), les fonds détournés nous auraient évité la fastidieuse phase de recherche de financements et la signature de partenariats aux conditionnalités parfois restrictives et pas toujours avantageuses pour la partie camerounaise, notamment en matière d’emploi de la main d’œuvre locale pour les projets soutenus par la Chine.
L’emprunt obligataire de 200 milliards de francs CFA, souscrit par l’Etat auprès de partenaires privés et dont s’est félicité le gouvernement il y a quelques temps, n’aurait pas eu de raison d’être tandis que les fonds restants auraient pu financer de nombreuses initiatives en faveur de l'agriculture, l'un des maillons faibles de la stratégie de développement mise en place par le gouvernement et incarnée dans le DSCE. Autre point important à noter, au delà des chantiers socio-économiques : ces 1845 milliards de CFA auraient pu simplement servir à éponger la totalité de la dette publique du Cameroun qui s'élevait, à la fin du dernier trimestre 2010, à 1510 milliards de FCFA selon la dernière note de conjoncture publiée par la caisse autonome d'amortissement.
Il serait loisible, aussi, de s’interroger sur la publication du document de stratégie nationale de lutte contre la corruption (SNLCC) seulement en ce début d’année alors que la CONAC est un organisme qui existe depuis cinq ans bientôt et effectivement opérationnel depuis Mars 2007. Elle avait par ailleurs déjà recensé la perte de 1845 milliards pour les périodes allant de 1998 à 2004. Pourquoi n’a-t-elle, dans son document rendu public ce mois de février, présenté les chiffres postérieurs à l’année 2004 pour que l'opinion puisse se rendre compte de l’évolution de la lutte contre les malversations financières dans notre pays depuis le démarrage de l’« Epervier »? Quelles ont été les résultats du gouvernement en la matière depuis sept ans ? La corruption a-t-elle diminué ou s’est-elle transformée et quelles en sont désormais les manifestations le cas échéant ?
A ces questions, nous n’avons malheureusement pas de réponse précise. Tout porte à croire cependant, avec la présentation de ce document de stratégie par Dieudonné Massi Gams, Vice-président de la CONAC, que le combat contre ce fléau ne fait que commencer dans notre pays. Si on peut toujours s’en réjouir malgré tout (il n’est jamais trop tard dit l'adage), on ne peut s’empêcher de questionner le timing de cette sortie – à quelques mois de l’élection présidentielle – et les délais qui se sont écoulés, depuis la création de la commission, pour élaborer cette fameuse stratégie qui est pourtant au cœur de la rénovation de notre rapport aux biens publics. Tous les indices laissent donc penser qu’il s’agit, là encore, d’une énième manœuvre pré-électorale du Président Biya.
Romuald CAMLISO
Alors que la croissance mondiale est en berne et que la tendance générale en matière de politique budgétaire est à la restriction des dépenses publiques, le Cameroun, comme souvent, donne l'impression d'avancer à contre courant. Trustant chaque année les sommets du palmarès de l’ONG « Transparence Internationale » sur la corruption, fléau qui a indiscutablement fait son lit dans le pays, le chef de l'État Paul Biya avait entamé en 2004, sous la pression des bailleurs de fonds, une opération de nettoyage baptisée « Épervier », espérant endiguer ce mal qui nuisait à la bonne gestion des affaires publiques.
Malheureusement, les récentes informations extraites du document de stratégie nationale de lutte contre la corruption (SNLCC) et remises au goût du jour par la presse internationale (elles datent de 2007 et ne sont pas nouvelles au demeurant) mettent en lumière l'ampleur qu'avait prise et qu'a certainement toujours eue la corruption au Cameroun, au regard de l'indécence des montants distraits du circuit des fonds publics. Près de 1845 milliards de francs CFA entre 1998 et 2004, soit près de 2.8 milliards d'euros, qui se sont ainsi évaporés des caisses de l'État camerounais.
Ces sommes, qui posent par ailleurs l’éternelle question de la gouvernance dans notre pays, ne sont pas seulement extravagantes dans l'absolu. Elles sont surtout scandaleuses eu égard des impératifs nationaux qu'elles auraient permis de juguler en termes de santé, d'éducation et d'infrastructures, améliorant ainsi le quotidien de nombreux Camerounais. 40% de nos compatriotes continuent de vivre, faut-il encore le rappeler, dans une indigence inacceptable avec moins de 2 dollars par jour, soit moins de 1200 francs CFA.
Et en l'espèce, 1845 milliards de CFA, à défaut d'enrichir une poignée de citoyens véreux et quelques fonctionnaires embourgeoisés, auraient pu financer une bonne part des projets structurants qui font actuellement l’actualité économique de notre pays (comme si la manne pour les lancer nous était subitement tombée du ciel). A titre d’exemple, et en se basant sur les chiffres rendus publics dans le Document de Stratégie pour la Croissance et l'Emploi en début d’année dernière, le Cameroun aurait été capable, depuis sept ans, de mettre en œuvre les chantiers suivants :
1– la construction du deuxième pont sur le Wouri à hauteur de 85 milliards de francs CFA, projet dont on parle depuis plus de 20 ans déjà. On aurait ainsi désengorgé le tronçon qui sépare Douala et sa banlieue de Bonabéri, casse tête quotidien pour les transporteurs et les particuliers, et fluidifié le transport de marchandises avec les zones rurales.
2– la construction de l’autoroute Douala-Yaoundé pour un montant de 600 milliards de francs CFA. Ce projet, datant de plusieurs années lui aussi, aurait permis d’avoir enfin une route de qualité entre les deux plus importantes métropoles du pays. L’insécurité routière aurait par ailleurs considérablement diminué compte tenu de la disparition de l’axe lourd tel qu’il est conçu actuellement.
3– la construction du barrage hydroélectrique de Memve’ele pour 145 milliards de francs CFA et celui de Lom Pangar, dont on parlait déjà en 1993, pour un montant de 140 milliards de francs CFA. A titre de rappel, malgré le potentiel hydroélectrique de notre pays, le troisième d’Afrique derrière la RDC et l’Ethiopie, il reste l’un de ceux où l’électricité est la moins bien distribuée et où les coupures sont encore aussi intempestives, ce même dans les deux grandes villes que sont Douala et Yaoundé.
4– la construction du port en eaux profondes de Kribi pour un montant de 300 milliards de francs CFA, permettant d’augmenter les capacités portuaires de notre pays en désengorgeant le port de Douala et en accueillant le trafic maritime lié aux projets industriels déployés dans le sud du pays et ses environs.
En outre, hormis le financement de ces chantiers qui représentent la bagatelle de 1270 milliards de francs CFA (encore loin du montant de 1845 milliards), les fonds détournés nous auraient évité la fastidieuse phase de recherche de financements et la signature de partenariats aux conditionnalités parfois restrictives et pas toujours avantageuses pour la partie camerounaise, notamment en matière d’emploi de la main d’œuvre locale pour les projets soutenus par la Chine.
L’emprunt obligataire de 200 milliards de francs CFA, souscrit par l’Etat auprès de partenaires privés et dont s’est félicité le gouvernement il y a quelques temps, n’aurait pas eu de raison d’être tandis que les fonds restants auraient pu financer de nombreuses initiatives en faveur de l'agriculture, l'un des maillons faibles de la stratégie de développement mise en place par le gouvernement et incarnée dans le DSCE. Autre point important à noter, au delà des chantiers socio-économiques : ces 1845 milliards de CFA auraient pu simplement servir à éponger la totalité de la dette publique du Cameroun qui s'élevait, à la fin du dernier trimestre 2010, à 1510 milliards de FCFA selon la dernière note de conjoncture publiée par la caisse autonome d'amortissement.
Il serait loisible, aussi, de s’interroger sur la publication du document de stratégie nationale de lutte contre la corruption (SNLCC) seulement en ce début d’année alors que la CONAC est un organisme qui existe depuis cinq ans bientôt et effectivement opérationnel depuis Mars 2007. Elle avait par ailleurs déjà recensé la perte de 1845 milliards pour les périodes allant de 1998 à 2004. Pourquoi n’a-t-elle, dans son document rendu public ce mois de février, présenté les chiffres postérieurs à l’année 2004 pour que l'opinion puisse se rendre compte de l’évolution de la lutte contre les malversations financières dans notre pays depuis le démarrage de l’« Epervier »? Quelles ont été les résultats du gouvernement en la matière depuis sept ans ? La corruption a-t-elle diminué ou s’est-elle transformée et quelles en sont désormais les manifestations le cas échéant ?
A ces questions, nous n’avons malheureusement pas de réponse précise. Tout porte à croire cependant, avec la présentation de ce document de stratégie par Dieudonné Massi Gams, Vice-président de la CONAC, que le combat contre ce fléau ne fait que commencer dans notre pays. Si on peut toujours s’en réjouir malgré tout (il n’est jamais trop tard dit l'adage), on ne peut s’empêcher de questionner le timing de cette sortie – à quelques mois de l’élection présidentielle – et les délais qui se sont écoulés, depuis la création de la commission, pour élaborer cette fameuse stratégie qui est pourtant au cœur de la rénovation de notre rapport aux biens publics. Tous les indices laissent donc penser qu’il s’agit, là encore, d’une énième manœuvre pré-électorale du Président Biya.
Romuald CAMLISO