Dans le monde de la finance, garder l’argent chez soi est qualifié d’économie de bât de laine. Les prévaricateurs de la fortune publique y excellent. Les confidences de pénates font état de ce qu’il s’agit de l’effort de guerre dans la perspective de l’inévitable alternance au pouvoir.
I- La peur des enquêtes ou le manque de justificatifs
Ces derniers temps, on parle de ces ministres, directeurs généraux de sociétés d’Etats et autres hauts responsables du pays qui sont victimes de vols d’importantes sommes d’argent dans leurs domiciles. On cite le ministre de la Santé publique André Mama Fouda dont des dizaines de millions se seraient volatilisés dans sa résidence du quartier Obobogo, dans l’arrondissement de Yaoundé IIIe, on parle du directeur général de la Caisse autonome d’amortissement (Caa), Dieudonné Evou Mekou, neveu du président Paul Biya qui ne sait d’où sont passés douze millions de francs. Hier c’était le délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé, Gilbert Tsimi Evouna, qui était victime de vols d’argent sans s’en rendre compte, tellement il en avait. Dans son cas, les vols étaient perpétrés par un membre de la famille, un de ses fils. L’enfant avait découvert que son père gardait de l’argent dans une cantine et qu’il n’en connaissait pas le montant, alors il puisait à satiété, à pleines mains jusqu’au jour où le chauffeur du père a découvert le jeu et a menacé de lui en parler. Pour acheter son silence le fils a accepté de coopérer avec le chauffeur en lui donnant sa part.
Dans les autres cas, ce ne sont pas les membres de la famille qui sont les auteurs de ces coups de vols mais des employés de maison et autres personnels tels que les chauffeurs.
La pratique de garder de l’argent à la maison est vieille au Cameroun. Sous Ahmadou Ahidjo, elle se faisait à grande échelle parmi les membres du gouvernement, les directeurs généraux, les hauts responsables de l’administration publique. Ces responsables ne gardaient à la banque que les revenus issus de leurs fonctions, ce qui venait d’ailleurs c’est-à-dire détournement des deniers publics, corruption et autres mauvaises pratiques étaient gardé à la maison, dans les matelas et les oreillers, sous les lits, dans les plafonds, les armoires ou dans un trou aménagé dans la terre. Ainsi donc il y avait des responsables qui ne gagnaient pas grand’chose mais qui étaient pourtant fort riches parce qu’ils gardaient leur argent à la maison. Sous Ahmadou Ahidjo, un compte bancaire bien fourni appartenant à un ministre ou un directeur général de société d’Etat donnait lieu à l’ouverture d’une enquête ou à un limogeage pur et simple dudit responsable. Il fallait justifier la provenance de fonds qu’on avait dans une institution bancaire quand on était ministre d’Ahidjo. Ce qui avait amené les hauts responsables à cultiver et à perfectionner l’art de la dissimulation.
II- La peur de la fin du régime Biya
La pratique a continué sous Paul Biya mais avec une nuance de taille : les hauts responsables publics ne gardent pas leur argent à la banque parce qu’ils craignent d’être rattrapés par l’opération épervier plutôt dans le souci d’en avoir de manière permanente pour pouvoir filer en douce au cas où le régime tomberait. Voilà la raison essentielle, fondamentale qui pousse les personnalités du régime Biya à garder de fortes sommes d’argent à la maison. Certains ministres et autres hauts responsables publics gardent leur argent à la banque quand ils font des affaires comme par exemple Jean-Baptiste Bokam, secrétaire d’Etat à la Défense mais cela ne les empêche pas de garder une bonne partie à la maison pour la raison que nous venons de donner plus haut.
Cette peur du coup d’Etat, de la disparition naturelle ou de l’effacement politique de Paul Biya fait en sorte que même les règles de fonctionnement normal d’un Etat moderne sont de plus en plus bafouées, foulées au pied. Comment en effet comprendre que les fonds qui étaient habituellement gardés au Cabinet civil de la présidence de la République prennent, le soir venu ou les week-ends, la direction de domiciles privés dans des mallettes. Cela veut dire que le régime doute de sa propre survie. Tous les hauts responsables du régime Biya, toutes régions et ethnies confondues gardent leur argent à la maison.
Le chef de l’Etat garde lui-même d’énormes quantités d’argent liquide ou par personnes interposées. En dehors des réserves qu’il y a au palais de l’Unité dans les services du directeur du Cabinet civil dont les coffres-forts sont presque toujours pleins ; il y a de l’argent mis à sa disposition 24 heures sur 24 à la trésorerie centrale de Yaoundé. Selon nos sources, les coffres de la trésorerie centrale doivent disposer d’au moins deux milliards de francs pour les besoins du président de la République. Cet argent doit être disponible à tout moment. C’est pour cette raison que certains responsables du ministère des Finances doivent toujours demander une permission pour quitter Yaoundé car on peut avoir besoin d’eux à tout moment pour fournir de l’argent frais au chef de l’Etat. C’est ainsi que le directeur général du trésor, le trésorier payeur général (Tpg) et le Caissier principal doivent toujours donner leur position.
Il arrive également que le chef de l’Etat donne son argent à des amis ou à des hommes d’affaires qui lui servent de prête-noms et à qui il peut avoir recours quand il a urgemment besoin de liquidités. On peut ainsi citer son vieil ami le milliardaire du quartier d’Obobogo à Yaoundé Damase Omgba. On raconte que Paul Biya avait remis à ce dernier une trentaine de milliards de nos francs et quand le chef de l’Etat voulait rentrer en possession de cet argent, Damase Omgba était incapable de le lui restituer dans les délais, ce qui évidemment avait créé un froid entre les deux amis. Paul Biya a une autre façon de garder de l’argent : c’est celui qu’il transporte dans des mallettes au cours de ses «courts séjours» privés en Europe. En effet, le chef de l’Etat voyage avec des milliards dans des mallettes qu’on dépose dans l’avion qui le transporte pour l’Europe avant qu’il n’y entre.
Cet argent est constitué de devises dont les euros constituent la plus grande partie. C’est certes lié à ses dépenses lors de ses séjours à l’étranger mais en mêmes temps une façon de dire à ses concitoyens que si la situation se détériore en son absence, il a de quoi vivre avant d’avoir recours à ses réserves bancaires de là-bas. Au total, les pontes du régime ne sont pas les seuls à prendre des dispositions pour éviter toute surprise désagréable en cas de mort du régime. Leur propre chef Paul Biya donne le bon ou mauvais exemple, c’est selon, en ayant de manière permanente de l’argent à portée de main ou sous le coude.