Victime de ses ambitions politiques, Edzoa Titus sera maintenu en prison tant que Paul Biya vivra. Ainsi en ont décidé les comploteurs de minuit.
Le 6 juillet 2012, le Tribunal de grande instance de Yaoundé doit livrer le verdict de l’un des plus anciens dossiers ouverts en son sein. Titus Edzoa et Michel Thierry Atangana Abega, inculpés de détournement et de tentative de détournement des deniers publics depuis plus de 15 ans et incarcérés depuis lors dans une cellule blindée du Secrétariat d’état à la défense, s’attendent à être fixés sur leur sort. Ils sont jugés en compagnie d’Isaac Njiemoun et M. Mapouna, rattrapés par l’accusation une dizaine d’années plus tard, qui comparaissent libres. Le collège des juges qui a connu de l’affaire depuis le 27 octobre 2009 va arriver à l’audience, imputé de l’un de ses magistrats. La veille au soir, le président de la Cour d’appel du Centre a notifié à Mme Itong son affectation au ministère de la Justice, pourtant décidée depuis avril. Elle ne peut plus agir comme juge. Le verdict rédigé et prêt à être lu, ne peut être prononcé, puisque la composition du Tribunal est jugée «irrégulière». Les juges ont été muselés.
On apprendra des sources internes au milieu judiciaire de Yaoundé que les trois juges de départ avaient montré des réticences à faire savoir leur décision avant son prononcé, en dépit de pressions intenses venues notamment de la Cour d’appel de Yaoundé. L’affectation subite de Mme Itong va être mise à profit pour extirper un autre magistrat du trio des juges : le président de la Cour d’appel semble s’être enfin rendu compte que M. Batoum ne peut plus cumuler ses fonctions de juge et de juge d’instruction. Deux nouvelles dames vont être désignées pour compléter la collégialité ainsi cassée. Et, le 04 octobre 2012 après quatre mois de reports, une condamnation à 20 ans de prison ferme et au paiement des dommages et intérêts est prononcée à l’égard de Titus Edzoa et Michel Thierry Atangana. Deux des trois magistrats qui assument ce verdict n’ont rien connu des débats et des plaidoiries : la décision est prise « à la majorité », ce qui signifie que ce sont deux magistrats, sur les trois que comptait le collège, qui ont décidé du sort des deux prisonniers du Sed.
« Nous avons eu aujourd’hui la confirmation juridique et judiciaire que ce procès est le fruit d’une grande manipulation du système judiciaire camerounais, et c’est extrêmement grave », déclare ce jour-là Charles Tchoungang, l’ancien Bâtonnier de l’ordre des avocats constitué pour les intérêts de Michel Thierry Atangana. « Nous avons demandé qu’on nous indique la position du juge dissident, poursuit-il, pour que nous puissions démontrer au monde entier que, dans cette affaire, on a retiré deux juges qui étaient contre, pour condamner des innocents ». L’affaire fait grand bruit mais, pour le pouvoir de Yaoundé, le but est atteint : Titus Edzoa ne sera pas libéré tant que M. Biya est président de la République. Ses compagnons d’infortune vont devoir ronger leur frein en prison avec lui.
Ce verdict n’est en fait qu’un énième épisode des manipulations judiciaro-policières connues par l’ancien Secrétaire général de la présidence de la République, ancien très proche collaborateur de Paul Biya depuis sa démission du gouvernement en avril 1997. Ministre de la Santé publique au moment où il officialise son divorce avec le Renouveau, M. Edzoa va connaître une descente aux enfers des plus brutales. L’annonce de sa candidature à l’élection présidentielle qui se profile à l’horizon en fait l’un des plus résolus adversaires du système. Pour empêcher sa communion avec les citoyens organisée autour de lettres ouvertes et d’interviews publiées par la presse, il est placé en résidence surveillée dans sa villa du quartier de Bastos par le préfet du Mfoundi, actuel ministre de la Défense.
Rouleau compresseur
Des hommes du régime vont réfléchir à la «sanction» à lui administrer. Edouard Akame Mfoumou, très influent ministre d’Etat en charge de l’Economie et des Finances, et Amadou Ali, secrétaire général de la présidence de la République, mettent alors au point la technique dite du « rouleau compresseur » pour venir à bout de leur ancien homologue. Ils recrutent des alliés et organisent une recherche minutieuse dans les actes supposés de mauvaise gestion de l’ancien ministre et décident de lui réserver des procès à cadences afin de le garder le plus longtemps possible en prison. Michel Thierry Atangana Abéga, bref fiancé de la fille de M. Akame Mfoumou et coupable d’être de l’entourage de Titus Edzoa va lui aussi subir les foudres des comploteurs. Il est le premier à être interpellé et gardé à la Direction de la police judiciaire.
En juillet 1997, une information judiciaire est ouverte contre Titus Edzoa au sujet de la gestion du Comité de pilotage des projets routiers mis sur pied par arrêté du président de la République et dont Michel Thierry Atangana est le président. L’ancien ministre est incarcéré à la prison de Kondengui. Mais les journées du Professeur de chirurgie à l’intérieur du pénitencier, faites de soins administrés aux malades, ne sont pas du goût de M. Amadou Ali. En sa double qualité de secrétaire général de la présidence de la République et secrétaire d’Etat à la défense (Sed) chargé de la gendarmerie, il décide du transfert de M. Edzoa et de son compagnon d’infortune dans une cellule presque close du Sed où les deux accusés ne connaissent pas la différence entre le jour et la nuit. Là-bas, une bonne douzaine d’autres chefs d’inculpation leurs seront notifiés.
Alors qu’après toutes les recherches d’usage, un pouvoir spécial a été délivré à Me Ngwé Gabriel, huissier de justice à Yaoundé, pour procéder à la saisie de l’immeuble «objet du titre foncier n°7890/Mfoundi» appartenant à Titus Edzoa, les avocats de l’Etat ne vont fixer leurs yeux que sur la villa de l’ancien ministre bâtie au quartier Bastos, qui fait l’objet d’une double inscription hypothécaire et ne peut faire l’objet d’une saisie immobilière. Mais la Communauté urbaine de Yaoundé va acheter l’immeuble vendu, en croyant qu’il s’agit de la villa. Mais rapidement, elle obtient que la décision constatant la vente aux enchères soit rectifiée par substitution du numéro du titre foncier dont la vente a été autorisée par le juge par le numéro du titre foncier de la villa dont la saisie est en l’état impossible. Cette décision a fait l’objet de recours judiciaire.
Parallèlement, les autres inculpations restées en veilleuse ont été ressorties. Mais le juge d’instruction qui a hérité du dossier va créer l’événement. Au terme de son enquête, Pascal Magnaguémabé décide d’élargir totalement Michel Thiéry Atangana, Isaac Njiemoun et Mapouna des accusations mises à leurs charges respectives. Seul Titus Edzoa était renvoyé devant les juges pour répondre du crime de «détournement » des voitures et du délit de «concussion». Mais la chambre de contrôle de l’instruction de la Cour d’appel du Centre, saisie à nouveau par le procureur de la République, dans un arrêt rendu le 3 février 2009, va réhabiliter tous les chefs d’inculpations initiaux. C’est l’examen de ces accusations par le Tribunal de grande instance de Yaoundé qui a donné lieu à la condamnation « à la majorité » de Titus Edzoa, Michel Thierry Atangana et Isaac Njiemoun.