Dernières heures avant la fin du monde ? Un dossier qui ne devrait pas survivre au 21 décembre 2012.
«La fin du monde s'est déjà produite»
(Mis à jour: )
Le 21 décembre 2012 ne sera jamais que la 183e fin du monde depuis la chute de l'Empire romain, a calculé Luc Mary (photo DR). Historien des sciences, il est l'auteur du Mythe de la fin du monde, de l'Antiquité à 2012 (ed. Trajectoire, 2009).
Le 21 décembre, gadget médiatique ou vraie peur ?
Jamais une prédiction de fin du monde n’avait été aussi médiatisée. Le 21 décembre est d’ores et déjà une date dont on se souviendra. L’important est moins que la fin du monde survienne vraiment que le fait que certains y croient, qu’on en parle. Dans le cas présent, ce phénomène a été largement amplifié par Internet, bien sûr, mais aussi par les producteurs du film 2012. C'est un très gros canular, mais l'on peut dire la même chose de toutes les prédictions qui ont précédé - 182 depuis la chute de l’Empire romain selon mon décompte. La dernière en date était celle de 2008, quand deux astrophysiciens avaient prédit que la mise en route du méga accélérateur de particules du Centre européen de physique nucléaire, à Genève, entraînerait un énorme trou noir qui avalerait la Terre.
Et la prochaine ?
Le 10 avril 2014. Celle-là, c’est une prédiction des adeptes de la Kabbale, qui assurent que ce jour-là ce sera la revanche du diable. Il y en a un tas d’autres qui suivent. A vrai dire, on a autant de prédictions de fin du monde devant nous que derrière.
L'homme a-t-il toujours craint la fin du monde ?
La fin du monde existe depuis le commencement du monde. C’est une permanence historique. Dans une perspective biblique, elle est même un mythe fondateur de l’humanité, puisque nous serions tous des rescapés du Déluge, c’est-à-dire d’une fin du monde. La fin du monde est étroitement liée aux religions monothéistes, qui ont une conception linéaire du temps, et non pas cyclique, comme c’est le cas des Mayas par exemple (qui soit dit en passant n’ont jamais prophétisé la fin du monde). L’Antiquité ne craignait pas non plus l’apocalypse, puisque les dieux du Panthéon grec faisaient partie du monde. Ils ont été engendrés par lui et non l’inverse. Pour les religions monothéistes, il y a la Genèse et le Jugement dernier. Dieu a créé le monde, Dieu le détruira. La peur de la fin du monde, c’est la peur du châtiment divin.
Le Déluge, Antonio Carracci, vers 1616-1618. (Musée du Louvre. A. Dequier - M. Bard)
N’est-ce pas l’espoir, aussi, d’un monde nouveau ? La fin d’un monde plutôt que la fin du monde ?
Oui, la fin du monde a deux faces. Elle est toujours d'un côté appréhendée comme un châtiment et de l'autre attendue comme une récompense, c’est toute son ambivalence. Le jugement dernier est un préambule à la résurrection des morts. Il y a donc l’idée du peuple élu. L’idée aussi de l’avènement d’un monde meilleur, plus juste, débarrassé de ses impuretés, de la luxure. C'était très présent notamment au moment des croisades. Au XIIe siècle, Joachim de Flore, un moine cistercien, prédit ainsi la fin du monde pour 1260. Inutile de dire que ça ne s'est pas produit. Dans les trois grandes religions monothéistes, il est question d’un âge d’or de l’humanité après le jugement dernier.
Y a-t-il dans l’histoire des pics de peurs de la fin du monde ?
Les périodes de crise sont bien sûr propices au prophétisme apocalyptique : famines, peste noire... Cela dit, tous les siècles sont égaux en matière eschatologique, tous ont eu leur lot de prédictions. Mais les XVIe et XXe siècles sont champions. Pour le XVIe siècle, cela s’explique par la crise de l’Eglise, doublée d’un mouvement de revendications sociales. Cela a alimenté l’aspiration à un monde créé sur d’autres bases. Pour les courants millénaristes allemands de cette époque, la révélation (apokalupsis signifie «la mise à nu, le dévoilement») rimait avec révolution. Le nouveau monde serait un monde juste, sans nobles ni nantis. La fin du monde se nourrit aussi d’utopies.
Au XXe siècle, la peur de l’homme se substitue à la peur de Dieu. Avec les deux guerres mondiales et l’apparition de la bombe atomique, l’homme a pris conscience du fait qu’il pouvait lui-même provoquer sa perte. La destruction de la planète est de l’ordre du possible. C’est le syndrome Hiroshima. La guerre froide a poussé à son paroxysme la peur de l’apocalypse nucléaire. Cela se retrouve dans les films de science-fiction des années 70. Mad Max, la Planète des Singes... Tous mettent en scène un monde postatomique.
A Nagasaki, le 9 août 1945. (Photo d'archive. Reuters)
Avec la chute de l’URSS, cette peur est retombée - il y a bien toujours la menace iranienne mais elle n’est pas de même nature. On est passé à une peur de la nature, du dérèglement climatique, amplifiée par la télévision qui nous inonde d’images apocalyptiques. Le tsunami de 2004, le séisme à Haïti, le cyclone Sandy, le séisme au Sichuan... On a l’impression que le monde est en catastrophe perpétuelle. En réalité, il n’y a pas plus de catastrophes qu’avant. Le tremblement de terre de Tangshan, en Chine, en 1976, ou l'éruption du Krakatoa, près de Sumatra, en 1883, ont été par exemple des catastrophes majeures, que l'on a relativement oubliées.
Le mémorial du tremblement de terre du 28 juillet 1976 à Tangshan, en Chine. (Photo Claro Cortes. Reuters)
Y a-t-il des constantes dans les scénarios de fin du monde ?
Oui, grosso modo l’apocalypse vient toujours du ciel ou des entrailles de la Terre. Tremblements de terre, éruptions volcanique, raz-de-marée, bolides divers qui foncent sur la Terre... Le 21 décembre, la planète Nibiru est ainsi censée nous tomber dessus. Je note qu'à l’heure qu’il est, on devrait déjà la voir puisqu’elle est censée faire cinq fois la Terre. Tout cela renvoie à la peur de l’inconnu, de l’invisible, de ce qu’on ne contrôle pas.
Ces croyances n’ont-elles pas reflué avec le développement de la science et le déclin des religions ?
Pas du tout, c’est même le contraire. D’abord parce que force est de constater que l'éducation scientifique n’est pas un acquis pour tout le monde, en tout cas pas pour nombre de prophètes de mauvais augure. Ensuite parce que l’astronomie nous a appris que l’univers n'était pas éternel. Le soleil a une fin. Une supernova peut nous exploser sur le coin de la figure la semaine prochaine. Bref, le cosmos est un milieu hostile. La fin du monde s’est d’ailleurs déjà produite, il y a 65 millions d’années, quand un astéroïde tombé au Mexique (déjà !) a provoqué la disparition de plus de 70% des espèces, dont les dinosaures.
L’humanité a-t-elle besoin de se faire peur ?
Oui, parce que dramatiser l’avenir est une façon de l’exorciser. Plutôt que d'imaginer le futur, on préfère le détruire.