Depuis la ligne de front, un soldat de la Marine Nationale dégaine contre ses supérieurs.
Lire l'intégralité de la lettre ouverte adressée au chef de l’État Camerounais, Paul Biya.
Sueram, 19 juillet 2015
Lettre ouverte au Président de la République du Cameroun
Objet : Réclamation de nos droits à l’endroit de nos chefs militaires au front
Excellence Monsieur le président de la République du Cameroun,
C’est par des mots de déception que je me penche sur ce format pour vous informer de notre quotidien depuis la ligne de front. Permettez Monsieur le président que je taise mon identité ici. Je voudrais que vous sachiez néanmoins que je suis un jeune soldat camerounais appartenant à la Marine Nationale. Au regard de tout ce qui se dit dans les médias nationaux et internationaux sur le déploiement des soldats à l’Extrême-Nord du Cameroun, j’ai l’impression que vous n’êtes pas au courant de nos misères dans la lutte contre le groupe Boko Haram. En faite, je voudrais vous faire part du mauvais traitement qui nous est infligé ici au front. Je parlerai uniquement de la situation des éléments de la Marine Nationale à laquelle j’appartiens.
D’emblée, sachez que nous croupissons dans le petit village Sueram, à quelque kilomètres de Fotokol, depuis neuf (9) mois déjà sans relève. Et pourtant pour que la mission soit efficace, nous étions censés faire trois mois de guerre et laisser les autres continuer. Ceci est une réalité chez les autres corps. En réalité, depuis notre arrivée ici, partant de Douala pour Maroua, et de Maroua pour la zone frontalière, où nous nous retrouvons actuellement, nos chefs n’ont jamais eu de considération pour nous. Notre calvaire commence à Maroua, dans un petit village appelé Mindif, où on nous a fait comprendre qu’on devait faire un recyclage sur la stratégie de guerre et la manipulation des armes lourdes. Mais rien de tout cela n’a été fait. On nous prenait pour une petite balade dans la brousse. Et à une certaine heure, on rentrait au casernement. Pendant notre séjour de deux semaines environ dans ce village, notre alimentation n’était pas au beau fixe. On nous nourrissait à chaud, c'est-à-dire que nos chefs ont choisi quelques éléments du contingent pour faire la cuisine. Notre menu était constitué du haricot, sauce d’arachide très mal préparés, avec un petit morceau de viande ou de poisson partagé entre deux militaires. Le matin, nous prenions une taxe de café et un bout de pain. Nous mangions comme ça une fois par jour. En principe, sur 300 soldats du contingent de la Marine Nationale, chacun devait recevoir 2000 FCFA de ration par jour.
Mais le Colonel nous faisait manger moins de 1000 FCFA à chaque soldat par jour. Et il nous narguait en disant qu’il est Colonel plein, il ne cherche plus de grade. Au sortir de ce village, ils nous ont déployés dans la zone rouge, en nous chargeant dans trois camions. Ces camions disposaient de 25 places chacun. Hors nous étions 300 soldats. On nous a entassés dans ces trois véhicules comme dans une boite de sardine. Nous étions également sans munitions pour nos armes individuelles, sans aucune défense, même pas une escorte. Les faits se déroulent le 17 novembre 2014. Mais grâce à Dieu Tout-puissant, rien de mal ne s’est produit pendant notre trajet. Chers Chef des Armées, Sans être très long, ce qui nous inquiète le plus, c’est le comportement de certains de nos chefs qui nous refusent tous nos avantages. Par exemple :
- Les permissions ne nous sont pas attribuées (si oui à ceux qui négocient sous forme de corruption).
- Les primes sont constamment restées impayées (alors que chaque soldat ne perçoit que 30 000 FCFA de prime de risque et 60 000 FCFA de prime d’alimentation chaque mois).
- Pas d’assistance sanitaire fiable (nous disposons d’un infirmier douteux qui vend des médicaments aux militaires et civils malades).
- Pas qu’équipements militaires adaptés au terrain.
- Pas assez d’armes lourdes et munitions au front (notre logistique n’est pas vraiment fiable, et nos fournisseurs ne sont pas honnêtes. Ils ne nous donnent pas ce qu’il faut).
Cher Chef de l’Etat, Ce qui nous fait le plus peur, c’est le désarmement progressif qui est appliqué sur certains éléments jugés indisciplinés. On se demande si les indisciplinés n’existent qu’à la Marine puisque nous camarades des autres corps n’ont pas ce problème. Dans notre armée, et surtout à la Marine Nationale, les éléments jugés indisciplinés sont ceux qui travaillent honnêtement et dans la vérité. Mais nos chefs ne les aiment pas. Et par contre ils aiment ceux qui coopèrent avec eux dans le réseau mafieux. Ils bénéficient en retour de plusieurs avantages au détriment de ceux qui travaillent bien. Ici au front, il y a une dizaine de soldats désarmés exposés aux ennemis. Ils ne peuvent plus défendre, ni se défendre. Pourquoi ne pas les renvoyer dans leurs unités respectives s’ils ne sont plus utiles ici aux postes avancés ? Je vous assure que si certains éléments ont des problèmes ici, c’est à cause de notre long séjour. Et cela a réveillé leurs mauvais côtés de la vie civile.
En faite, je crois que les chefs nous désarment parce qu’ils ont peur qu’on se révolte contre eux au regard du mauvais traitement qu’ils nous infligent. C’est la raison pour laquelle nous attirons votre attention. Monsieur le président, nous souhaitons que vous régliez ces multiples problèmes avant que le pire ne se produise. Enfin, Ici au front, il y a certains officiers qui relâchent des suspects contre forte rémunération, comme ce Capitaine chef de détachement de la Marine Nationale qui avait libéré l’un des marabouts de Boko Haram. Il aurait perçu 300 000 nairas, soit 900 000 FCFA avec la complicité des chefs du village Sueram. Cela s’est passé entre mars et avril 2015. Au même moment, un Amiral, inspecteur général des armées séjournait au village Sueram.
Je crois qu’il n’a pas été informé de la présence du marabout de Boko Haram, caché dans une case du village. C’est entre autres ce que nous vivons ici à Sueram, un village de Fotokol. Nos chefs militaires veulent un bilan inter-armé parce que la Marine Nationale est le seul corps qui n’a pas perdu d’homme jusqu’ici malgré ses offensives suicides et avec peu de moyen logistique, alimentaire et sanitaire à sa disposition. Au moment où le groupe terroriste fait recours à des nouvelles tactiques de guerre, nous souhaitons que nos chefs nous remettent nos armes car nous sommes exposés aux ennemis.
Veuillez agrée Monsieur le président de la République les salutations distinguées des soldats de la Marine Nationale au front. Depuis la ligne de front, Un soldat de la Marine Nationale