Dépouille : Le rapatriement d’Ahmadou Ahidjo dans l’impasse
22 ans après sa mort, le fils aîné du défunt indique que rien n’est entrepris pour le retour de ses restes.
L’entretien
téléphonique d’hier entre le reporter de Mutations et Mohamadou Badjika
Ahidjo aurait pu faire passer le député de la Bénoué-Ouest, fils de
l’ancien chef de l’Etat camerounais pour Mister No, du nom du héros
d’une célèbre bande dessinée italienne créée en 1975 par Sergio Bonelli:
«Honorable, y a-t-il du nouveau dans la procédure de rapatriement de
la dépouille de votre père?». Réponse : «Non». «La famille [du défunt]
a-t-elle engagé une démarche dans ce sens?». Réponse : «Non». « Le
gouvernement a-t-il pris contact avec la famille pour rapatrier les
restes de votre père?». «Non, aucun contact».
Principal
enseignement de cet échange lapidaire : le rapatriement de la dépouille
mortelle est sinon dans l’impasse, du moins pas pour demain ; ceci alors
qu’on commémore demain, 30 novembre 2011, le 22e anniversaire du décès
du premier président de la République du Cameroun.
Mais d’où vient-il
qu’on en soit encore aujourd’hui au stade de la spéculation, alors
qu’on annonçait pour mars 2010 le retour des restes et des obsèques
officielles pour Ahmadou Ahidjo ; après une rencontre préparatoire de
l’opération, courant juin 2009, entre Martin Belinga Eboutou, alors
conseiller spécial du chef de l’Etat, Paul Biya, et le président de la
République du Sénégal (où repose Ahmadou Ahidjo), Abdoulaye Wade ? Faux,
rétorque-t-on au Cabinet civil. «M. Belinga Eboutou n’a jamais fait le
déplacement de Dakar pour une telle mission», soutient-on.
Des propos
qui ramènent, de toute évidence, à la case départ, du moins à la
polémique née des déclarations du Président Biya le 30 octobre 2007 sur
la chaîne de télévision française France 24 : «…Le problème du
rapatriement de la dépouille de l’ancien président est selon moi un
problème d’ordre familial (…). Si la famille de mon prédécesseur décide
de faire transférer les restes du président Ahidjo, c’est une décision
qui ne dépend que d’elle. Je n’ai pas d’objection, ni d’observation à
faire».
Réplique (à cette époque) de Mohamadou Badjika Ahidjo,
partagée par Germaine Ahidjo (la veuve du disparu) et d’autres leaders
d’opinion : «C’est bien le gouvernement qui doit prendre cette
initiative et nous sommes disposés à collaborer (…). J’estime que la
démarche revient à l’Etat».
Le 31 mars 2008, d’aucuns ont cru
déceler, dans l’audience qu’accorde alors Paul Biya à Emile Derlin
Zinsou (ancien Président béninois et fidèle ami d’Ahidjo) au palais de
l’Unité, «l’électrochoc» dans l’affaire du rapatriement des restes
d’Ahmadou Ahidjo. Rien n’y fera.
Plus préoccupant, Paul Biya, qui
vient d’engager son 3e septennat (probablement le dernier) ne donne pas
l’impression d’avoir inscrit cette question dans son agenda. D’ailleurs
pendant la campagne électorale, le champion du Rdpc n’a fait aucune
allusion au retour des restes de son «illustre prédécesseur».
En
face, des candidats de l’opposition, surfant sur la vague de la
réconciliation nationale, y trouvaient pourtant du grain à moudre.
«J’organiserai le rapatriement de la dépouille du premier président de
la République du Cameroun, Ahmadou Ahidjo, et des obsèques dues à son
rang. J'amnistierai tous ses proches encore vivants qui ont été bannis
du Cameroun. C'est comme cela que j’ouvrirai le processus du pardon et
de la réconciliation nationale», avait par exemple indiqué le candidat
de l’Alliance des forces progressistes (Afp), Bernard Achuo Muna.
En
rappel, après 25 ans de règne, Ahmadou Ahidjo avait démissionné le 4
novembre 1982, cédant la magistrature suprême à son successeur
constitutionnel, Paul Biya . Il est mort à 65 ans à Dakar, au Sénégal.
Par Georges Alain Boyomo
Ce que Ahmadou Ahidjo disait de Paul Biya
Je
l’ai pris, à la fin de ses études, auprès de moi, dans l’équipe de mon
cabinet. Je l’avais confié à un moment donné à M. Eteki Mboumoua, alors
ministre de l’Education, pour être son directeur de cabinet. Puis je
l’avais repris à mon cabinet, où il devait faire toute sa carrière.
Quoique je pense aujourd’hui de l’homme et de la grave erreur
d’appréciation que j’ai commise le concernant, rien ne m’empêche de dire
qu’il était sérieux, travailleur, pondéré, et selon toute apparence,
dévoué. Je n’ignore pas que ses camardes du séminaire l’appelaient
«mademoiselle», ni de ce que les ministres se plaignaient souvent de ce
qu’il ne tranchait jamais un problème de quelque importance, si cela
impliquait de prendre une responsabilité. Je me disais que, mis en
situation et la fonction aidant, il, je le croyais sincèrement, pourrait
devenir un président conformément aux espoirs que je mettais en lui
pour le plus grand bien du Cameroun.
Comme il n’était pas du
Nord, qu’il était chrétien, qu’il descendait d’une petite ethnie du
Centre-Sud, il m’a semblé qu’il pouvait, plus facilement que d’autres,
être un trait d’union dans le pays, que l’on ne m’accuserait pas de
privilégier le Nord, de confisquer le pouvoir aux mains des hommes du
Nord et de ma religion. Arrivé au pouvoir suprême, l’homme ne mit pas
longtemps à se découvrir, tel qu’en lui-même il était vraiment. Parvenu
au pouvoir, M. Biya ne courait pas d’autres risques que ceux inhérents à
sa charge et n’était pas plus menacé que les autres chefs d’Etat, des
pairs. La vérité, je l’avais dite dans la seule déclaration que j’ai
faite depuis le début de la rupture entre M. Biya et moi. Certains ont
trouvé mon propos excessif.
J’ai parlé des phobies des complots et
d’assassinats. J’aurai du dire hantise. Mais depuis, les choses n’ont
fait que croître. Tout le monde reconnaîtra que nous sommes maintenant
réellement en pleine phobie pour employer un euphémisme. Une véritable
psychose en tout cas. M. Biya est littéralement tenaillé par la peur
morbide de perdre le pouvoir et, depuis qu’il a monté son coup, par
celle d’être assassiné. C’est dommage, car chacun sait à quels actes
irresponsables sont conduites les personnes atteintes de ce mal.
Une
preuve supplémentaire de la panique dans laquelle vit M. Biya, je la
trouve dans la reforme constitutionnelle à laquelle il vient de procéder
quant aux modalités de remplacement du président de la République en
cas de vacance survenant au cours de son mandat. Comment quelqu’un qui
vient de se faire élire, étant déjà président et exerçant pleinement la
fonction avant et pendant les élections, peut-il trouver la chose
inacceptable quand il s’agit d’un autre ? Pourquoi ce qui est bon pour
lui ne le serait pas pour un autre, notamment pour le président de
l’Assemblée nationale assurant l’intérim, pendant la vacance, interdit
lui de candidature ! Parce qu’il croit ainsi être protégé contre la
perte de pouvoir et la perte de vie (…).
Notre parangon de justice,
de liberté, de l’égalité espère tromper tout le monde, promettant blanc
et faisant noir. Les faux espoirs qu’il a créés au sujet des partis et
des élections parlent éloquemment. (…) M. Biya devrait méditer les mots
d’Abraham Lincoln : «On peut tromper une partie du peuple tout le temps,
et tout le peuple une partie du temps. Mais l’on ne peut tromper tout
le peuple tout le temps». A bon entendeur salut !
Extrait du propos liminaire de Ahmadou Ahidjo à la conférence de presse donnée le 5 mars 1984 à Paris. Source :
L’oeil du Sahel N°458 du 28 novembre 2011.