Démonstration de force : Quand les militaires imposent leur loi
Les anciens de la Minusca ont tenu toutes les autorités de la capitale politique camerounaise en laisse ce 9 septembre. Jusqu’au président de la République qui a ordonné que leurs revendications soient satisfaites. Immédiatement. Sans réfléchir.
Plusieurs centaines d’anciens éléments du contingent de la Mission internationale des Nations unies de soutien en Centrafrique (Minusca), ont quitté leur base d’Ekounou, dans un quartier excentré de Yaoundé, et ont entamé une marche «pacifique» sur au moins 4km, vers le centre administratif de la capitale. Arborant fièrement leur tenue des forces des Nations unies. Ces marcheurs d’une autre dimension, sans obstruer la voie, ont choisi d’occuper la chaussée, créant tout de même d’énormes embouteillages à leur passage. Même comme ils n’étaient pas tous armés, leur déploiement dans les rues de Yaoundé a fait paniquer presque toute la capitale. Parce que rien n’indiquait que ceux qui étaient armés ne portaient que de simples jouets, inoffensifs. Ils ont pu investir des hauts lieux de la République, comme les services du premier ministre, le palais de l’Assemblée nationale, avant de s’établir chez eux, au quartier général. On a vu leurs camarades d’armes, qui n’ont pas eu la chance de faire partie de leur mission, descendre dans la rue, comme pour les contrer. Mais ils ont créé plus d’obstruction aux paisibles usagers qu’aux manifestants eux-mêmes.
Au terme des négociations qu’on dit serrées, avec leur hiérarchie, les manifestants ont regagné leur base. Sans casse. Et quelques heures après, au cours d’un point de presse, le ministre de la communication, Issa Tchiroma Bakary, va annoncer que le chef de l’Etat, Paul Biya, a demandé de débloquer, dans l’urgence, la somme de 6 milliards Fcfa correspondant au montant des primes et émoluments réclamés. Un ouf de soulagement presque pour tout le monde. Parce que tout est bien qui finit bien. Mais que de coulisses, de leçons et de questions.
Comment une bande de costauds gaillards clairement identifiés, fussent-ils des militaires revenus d’une mission internationale des Nations unies, peuvent prendre d’assaut les rues de la capitale, pendant plusieurs heures, marchent vers des objectifs sensibles, sans être inquiétés le moins du monde, dans le siège des institutions, fortement militarisé? Selon des informations des sources concordantes, les milieux sécuritaires de Yaoundé étaient bien informés de leur intention de descendre dans la rue. Et même le jour de la manifestation était connu, précisent les mêmes sources. Pourquoi ne les avoir pas dissuadés à leur base ? Pourquoi avoir attendu que ces manifestants d’un autre genre parviennent jusqu’à ces institutions symboles de l’Etat, pour entamer les négociations avec eux?
Ces pratiques, on s’en souvient, avaient été longtemps dénoncées pour la gestion des primes des militaires à Bakassi. Come par exemple celles des militaires camerounais qui ont été faits prisonniers par l’armée de Sani Abacha pendant trois années, de 1995 à 1998. Avant de rentrer au pays après échange de prisonniers entre le Cameroun et le Nigéria. Et même aujourd’hui, les hommes de troupe de la « grande muette qui combattent contre Boko Haram sont parfois obligés de brandir des menaces de grève de zèle, afin que les gestionnaires de leurs primes et autres ravitaillement fassent preuve de moins de goinfrerie. L’affaire des primes de ces éléments de la Minusca n’était dont plus un secret pour la hiérarchie militaire à Yaoundé. Le problème a-t-il été clairement posé au chef suprême des armées, Paul Biya ? Lui qui a réagi « au quart de tour » pour ordonner le déblocage de la rondelette somme de 6 milliards de F cfa pour satisfaire des manifestant qui ont piétiné toutes les lois, aussi bien professionnelles que celles encadrant les manifestations publiques. « Les militaires sont les militaires », pour reprendre cette formule circulaire de Paul Biya qui disait que « le Cameroun c’est le Cameroun ».
Les policiers et les gendarmes peuvent peut-être tenter leur chance comme ces soldats. Mais les retraités qui ont régulièrement dormi devant les établissements publics pendant des mois, les instituteurs contractualisés ou maitres des parents sans salaires, les anciens employés des sociétés d’Etat privatisées jamais désintéressés… peuvent penser qu’ils sont au cinéma, en regardant comment les militaires qui ont tout de même affronté des symboles forts de l’Etat, ont été si doucereusement traités.