Démocratie de partage ou impasse: Pour qui roulent l’offre Orange et ses partisans?

Écrit par Jean Takougang | Yaoundé
Jeudi, 09 Décembre 2010 19:45

Dans un pays démocratique, l’élection, une compétition loyale arbitrée par le droit, permet de dégager une majorité qui exerce le pouvoir, et une minorité qui constitue l’opposition. Mais pour que la compétition soit loyale et que la  majorité qui s’en dégage ne soit pas seulement légale mais aussi légitime, il faut une incontournable implication des partis politiques, des candidats et de la Société Civile à toutes les étapes du processus électoral.

 

En d’autres termes, toutes les parties prenantes doivent s’asseoir autour d’une table pour élaborer ensemble des règles de jeu et de comportements qui s’imposent à tout le monde : il s’agit de ce qu’on a appelé en Afrique de l’Ouest des Concertations Nationales sur le Cadre Institutionnel et Organisationnel des Elections et qui ont accouché de codes électoraux et des de conduite consensuels à même d’humaniser la conduite des processus électoraux et de garantir des résultats vecteurs de paix et d’harmonie post-électorales. Il n’y a pas de démocratie pluraliste sans tolérance réciproque et sans reconnaissance de la vérité et de la pertinence des idées  d’où qu’elles viennent. Ce n’est qu’ainsi que l’élection recouvre tout son sens de « compétition loyale arbitrée par le droit », pas le droit du plus fort, mais un droit résolument tourné vers l’intérêt général et la satisfaction des besoins du plus grand nombre. La contestation du cadre institutionnel et organisationnel d’une compétition entraîne fatalement la contestation des résultats et porte en elle les germes récalcitrants des troubles post-électoraux. C’est dans ce sens qu’on peut comprendre le cri patriotiquement pathétique du Professeur Alain Didier Olinga qui, dans un article intitulé « Politique et Droit Electoral au Cameroun : Analyse Juridique de la Politique Electorale » interpelle en épigraphe celui que l’Histoire jugera comme comptable du destin de notre pays depuis le 06 novembre 1982 en ces termes :

            « Monsieur le Président, et le Consensus ? On ne peut évoluer sans Consensus s’il vous plaît » ! Remarquez que le mot « consensus » est à juste titre personnifié par la majuscule, puisque considéré comme un acteur incontournable de l’évolution. Je ne reviendrai plus sur les nominations de Burkinabé et de Malien par les militaires guinéens pour crédibiliser leur Commission Electorale en la rendant incontestablement neutre et indépendante, ni sur les compromis d’un Laurent Gbagbo qui,  a rendu des visites impromptus aux domiciles de ses principaux concurrents et qui, entre autres, sachant qu’il gagnerait sans coup férir dans une élection à un tour, a quand accepté un système à deux tours pour mieux légitimer le choix des Ivoiriens par une participation raisonnable, au risque de se voir battre par l’alliance contre-nature des frères ennemis houphouetistes d’hier.

            Au Cameroun, rien de tel entre le pouvoir et l’opposition ! L’appel hautement nationaliste du professeur Olinga et encore moins ceux des autre parties prenantes n’ont pas ému le RDPC et resteront encore pour longtemps les voix qui crient dans le désert, puisque depuis le retour au multipartisme, le parti au pouvoir n’a jamais rien cédé sur sa farouche détermination à rester au pouvoir par tous les moyens. Seulement, ce parti qui se targue d’avoir apporté la paix (comme si à son avènement le pays était en guerre !) oublie que presque partout où les urnes ont échoué, les armes les ont remplacées, et les marchands de la mort sont partout tapis dans l’ombre, toujours au rebond et prêts à les livrer même à crédit, pour la macabre besogne.

            M. Hilaire Kamga, Secrétaire Permanent de la Plate-Forme de la Société Civile pour la Démocratie au Cameroun et promoteur de l’Offre Orange, en est fortement conscient et en appelle à l’ONU pour « Prévenir la paix et écouter toutes les parties prenantes à la prochaine élection présidentielle 2011…car au regard de l'incongruité de l'encadrement juridique électoral, au regard du comportement de plus en plus ambigu de certains acteurs politiques, au regard des enjeux déterminés par des facteurs aussi bien endogènes qu'exogènes, au regard des rapports de forces biaisés par une trop grande implication des réseaux plus ou moins mafieux dans l'évolution du jeu politique national, nous avons des fortes raisons de penser que le pays risque de basculer dans un réel trouble et même une instabilité dangereuse à l'horizon 2011. La mise en commun des éléments conjoncturels, structurels et même factuels ne rassure guère quant à l'impartialité et la transparence qui doivent encadrer le processus électoral tel qu'exigé dans toute démocratie qui se respecte. Dans ce domaine électoral, les lois et autres dispositions législatives et règlementaires en vigueur au Cameroun ne garantissent, ni une impartialité de l'organe en charge des questions électorales en l'occurrence ELECAM, ni une implication légale des acteurs en compétition, ni la transparence véritable de la future consultation compte tenu des différentes pesanteurs qui entrent en jeu dans le processus électoral camerounais.

            M. Hilaire Kamga et tous ceux qui exhortent les Camerounais « à aller s’inscrire en masse pour défendre leur vote le moment venu », sont bel et bien conscients de ce qu’organisées dans les circonstances actuelles avec un ELECAM configuré comme il est, les élections n’ont aucune chance d’être transparentes et que le pays pourrait basculer dans un embrasement général. C’est pourquoi, en tout état de cause, il exhortait l’ONU  à intercéder pour l’obtention d’un consensus préalable aux élections (écouter toutes les parties prenantes à l’élection). Cette analyse est partagée par la plupart d’acteurs nationaux et même par des observateurs étrangers tels le Crisis Group. Mais là où M. Kamga et les siens deviennent insaisissables, c’est lorsque, conscients d’un danger aux allures de cataclysme national, sans attendre que le régime ait fait la moindre concession dans le sens exigé, ils crient à hue et a dia pour amener les gens à s’inscrire et à voter, sans se gêner de diaboliser urbi et orbi tous ceux qui pensent qu’on n’amène pas des partis respectables et des dignes citoyens aux élections en victimes résignées, comme des bœufs à l’abattoir.

            Depuis 1990,  le combat pour une Commission Electorale Indépendante consensuelle a été celui de tous les instants, la preuve de la collusion entre le MINATD et le RDPC ayant été établie au-delà du moindre doute.  Mais dans sa roublardise habituelle, pour gagner du temps, le gouvernement refuse toute structure indépendante et s’accroche au MINAT et sa machinerie de fraudes infaillible. La Plate-Forme du Citoyen H. Kamga reconnaît avoir aussi participé à cette lutte:

            « Malgré nos protestations et notre exigence pour une structure plus crédible dès la conception, ELECAM a été mis en place et l'encadrement juridique de tout le système électoral camerounais est resté incongru, opaque et inopérationnel. Il est évident que la démocratie, et partant, le processus menant à une alternance au pouvoir dans la paix, est gravement menacé au Cameroun. Ce qui commande une action urgente, efficace et judicieuse dans la perspective d'une réelle préservation de la paix et la stabilité dans ce pays».

            Entretemps, de nouvelles révélations nous ont confortés dans la conviction qu’ELECAM n’est là que pour faire la volonté de son maître. L’Honorable J. Jacques Ekindi, dans un excellent article intitulé « Listes électorales : inscriptions en eaux troubles »  nous cite deux occasions qui ont été données à Elecam pour faire la preuve de son indépendance : premièrement, la modification par le gouvernement sans consultation aucune de son statut et de ses missions pour remettre l’administration en selle dans les opérations électorales en violation des dispositions de l’article 7 de la loi N°2006/011 portant création de Elections Cameroon qui dispose :  « Dans le cadre de ses missions, le Conseil Electoral émet un avis ou formule des suggestions sur tout projet de texte qui lui est soumis dans le domaine des élections ». M. Ekindi conclut fort opportunément que la « non-réaction d’Elecam indiquait très clairement qu’il n’avait pas la force de défendre son indépendance face aux agressions du parti au pouvoir et de son administration ». Deuxièmement, le refus d’organiser la refonte électorale comme exigée par la plupart des opérateurs politiques sous le prétexte entre autres que la loi ne le leur permettait pas, alors que l’article 4.1et 2 de la loi sus-citée dispose : «  Elections Cameroon est chargé de l’organisation, de la gestion et de la supervision du processus électoral et référendaire. (2) A cet effet, Elections Cameroon est investi de tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de ses missions ». 

 

Ces exemples montrent à suffisance qu’Elecam a refusé d’assumer et de défendre son indépendance et a déjà choisi sa voie : celle de suivre, contre vents et marées, les volontés et les injonctions du gouvernement et du parti au pouvoir. On ne peut donc plus rien en attendre et le Citoyen Kamga le sait. Mais il n’a pas changé de stratégie qui est et demeure celle de réunir les partis qui adoptent l’Offre Orange et d’organiser des Primaires pour choisir celui qu’il offrira en holocauste sur l’hôtel d’une élection d’avance perdue, car l’analyse qu’il fait de l’environnement électoral au Cameroun, montre que la participation des partis politiques aux élections, en dehors de contribuer à la légitimation d’une imposture et de la dictature en place, n’est rien d’autre que le combat de Don Quichotte contre les  moulins à vent. Lisez plutôt :

            « Permettez nous donc de vous faire part de certaines de nos principales inquiétudes par rapport à l'hypothétique justesse de la prochaine élection présidentielle :


Pourra-t-on parler d'Elections justes :

-          lorsqu'un potentiel candidat maîtrise seul le calendrier électoral ?

-          lorsque la structure d'organisation des élections (ELECAM), émanant d'un seul parti politique est contestée par l'ensemble des autres protagonistes ?

-          si la loi électorale reste incongrue et porte en elle-même des dispositions contradictoires et inopérationnelles?

-          si l'un des partis en compétition s'arroge le droit de détourner et de mobiliser, pour sa campagne électorale, tout le dispositif humain et matériel de l'administration publique?

-          si les médias publics sont essentiellement au service du parti au pouvoir et de son candidat ?

-          si un seul potentiel candidat confisque à dessein le résultat du recensement de la population ?

-          lorsque la loi portant financement des partis politiques n'est pas respectée ?

-          Lorsque tout le mécanisme de financement de ces partis est défini par un seul potentiel candidat et que l'argent destiné à la campagne électorale est souvent déboursé aux candidats seulement la veille du scrutin?

-          si un potentiel candidat gère en exclusivité, grâce à ses excroissances, tout le processus électoral ?

-          si les libertés de manifestation et de réunion, pourtant juridiquement bien encadrées, sont mises à l'épreuve par des agents à la solde d'un seul potentiel candidat ? NON !!!!

 

Cette analyse qui est des plus pertinentes, des plus exhaustives et des plus méticuleuses ne laisse pas place à la moindre illusion de battre le parti au pouvoir dans une quelconque élection, qu’elle soit présidentielle ou locale. En un mot comme en mille, elle ferme la porte à tout rêve d’alternance par les urnes. Pourtant le Citoyen Kamga et les siens n’ont pas changé de stratégie et tiennent toujours à battre campagne pour les inscriptions, à organiser les primaires et à amener les partis politiques aux élections d’octobre 2011 pour le triomphe de l’Offre Orange.

Drôle de posture pour une Association se disant de la Société Civile qui doit être farouchement apolitique ! Si le Citoyen Kamga dit sincèrement que la Plate Forme «  est une institution qui œuvre (…) particulièrement pour une ALTERNANCE DANS LA PAIX ET PAR LES URNES », et qu’il ne dispose pas d’une botte secrète ou d’un deus ex machina qui descendra du ciel le moment venu pour lui donner la victoire, qu’il nous dise d’abord comment il procèdera pour éviter la guerre et le chaos inéluctables après une élection fatalement truquée et ensuite ce qu’il entend par  : 

 « Il n'est pas inutile de signaler que la prochaine élection présidentielle de 2011 n'est pas une élection comme les autres. (  ) Les citoyens de la Nouvelle génération ne sont aucunement disposés à rester les bras croisés face à toute tentative de détournement de l'expression de la souveraineté du peuple lors de cette élection. C'est une question de survie générationnelle. Il est donc dans l'intérêt de toutes les parties prenantes que l'élection présidentielle de 2011 se passe en toute transparence et à l'échéance constitutionnelle prévue ». Le pacifisme déclaré n’est-il donc que le gant de velours qui cache une logique insurrectionnelle déjà en marche ?

 

« Par ailleurs, nous n'avons pas de sérieuses raisons de douter de la prédisposition de l'actuel Président de la République du Cameroun à œuvrer pour la paix et surtout pour la pérennisation de la stabilité dont il a eu le mérite d'être le garant au cours de sa trentaine d'années de règne. Nous ne doutons pas non plus de la prédisposition de S.E Paul Biya à contribuer à une alternance paisible et par les urnes à la fin de son règne en 2011.


Malheureusement, nous sommes convaincus que plusieurs réseaux, souvent mafieux, contrôlant des parcelles (plus ou moins importantes) de pouvoir, pour des raisons de dauphinat non clarifiées, s'organisent pour éloigner le Cameroun d'une possibilité d'alternance paisible en 2011.
Diable ! On croirait entendre parler M. Issa Tchiroma ou n’importe quel autre thuriféraire du régime. Nous ne pouvons nous empêcher de penser à « l’âne vêtu de la peau du lion » de La Fontaine. Cette phrase est-elle le bout débordant de l’oreille qui trahit le faux lion ? L’histoire nous le dira !


             

 

 

Pr TAKOUGANG Jean

Expert en Dialogue Social

Traducteur Principal

 

 

Nota : Les passages cités sont extraits d’une lettre signée du Citoyen Hilaire Kamga en sa qualité de Secrétaire Permanent de la Plate-Forme de la Société Civile et adressée au Secrétaire Général de l’ONU.

 Si c’est un parti d’opposition qui avait fait cette analyse et appelait les gens aux inscriptions, lui qui est si prompt à traiter l’opposition de tous les maux et à trouver toute position autre que la sienne « ambiguë » aurait déjà crié à la trahison et aurait demandé pour qui il roule. Nous lui retournons cette même question, car malgré cette analyse au vitriol qui aurait découragé le plus hardi des partis politiques à se présenter à une quelconque élection dans les conditions actuelles, le Citoyen Kamga trouve encore suffisamment de ressources pour chanter les louanges de celui qui est à l’origine de tous les maux qu’il dénonce et à n’accuser que son entourage:
 Que le Conseil Electoral d’Elecam nous démontre que de ces pouvoirs sont exclus ceux de choisir l’organisation de la révision ou de la refonte selon que l’une ou l’autre sont jugées « nécessaire à l’exercice de ses missions » et ce, d’autant plus que depuis le décret constatant sa mise en place effective, toutes les dispositions antérieures contraires sont et demeurent abrogées.


11/12/2010
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres